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d'une reconnaissance dont on a souvent beaucoup de peine à se charger pour soi-même..

.. L'auteur du poëme de Narcisse, Malfilâtre, qui venait de rajeunir avec tant de talent et de succès une fable usée et dont les premiers essais promettaient à la France un poëte de plus, n'est count de Thomas que par ses vers et par sa détresse. Thomas emploie pour lui le crédit d'un ami puissant. Ses vœux et ceux de Malfilâtre allaient être comblés; une pension du gouvernement est accordée à ce poëte infortuné. Mais hélas! une mort soudaine lui dé fend d'en jouir, et à son bienfaiteur de le voir heureux..

J'ai dit ailleurs de quelle manière Thomas acquitta cette dette sacrée de services que la patrie est en droit d'exiger de tout citoyen. Ne le dissimulons point; la gloire, cette passion de tous les grands cœurs, fut aussi la sienne, et l'amour du devoir n'a pas été le mobile unique de ses travaux ; mais ne craignons pas d'assurer en même tems que le desir d'être utile l'emporta beaucoup dans son cœur sur celui de s'illustrer.

Aucun éloge, aucune couronne (il l'avouait ingénument lui-même) ne le touche plus que cette lettre, où un bon et simple pasteur lui annonce qu'il a réuni son troupeau dans le sanctuaire de la religion, et que là, pour inspirer à d'honnêtes et laborieux citoyens de l'estime et de l'attachement pour leur condition, il leur a lu, il leur a commenté l'Epitre au Peuple.

Thomas, si fidèle à ses devoirs, aurait-il négligé le plus important de tous, ce que l'homme doit à l'Etre tout puissant qui l'a créé et qui le conserve, au Dieu bon dont la main libérale s'ouvre sans cesse pour épancher mille dóns sur les humains! Non, et j'aime à pouvoir publier que Thomas fut religieux, tandis que d'autres, par l'abus le plus déplorable de leurs talens et de leurs lumières, s'efforcent dans de coupables écrits d'interrompre ce commerce doux et sublime entre la créature et son créateur; de ravir à l'ame innocente et malheureuse les consolations touchantes de la religion, d'en anéantir pour les

pervers les terreurs salutaires; Thomas, dans ses ouvrages et dans sa conduite, montre toujours pour elle le plus sincère respect. Le dogme de l'immortalité de l'ame est sa plus habituelle et sa plus consolante pensée; c'est dans ce dogme qu'il puise une grande idée de son étre; c'est en le méditant sans cesse qu'il s'excite à ne rien faire d'indigne de lui-même et du Dieu qui le voit et qui l'attend.

Il coulait des jours fortunés sur les bords où le Rhône reçoit dans son sein agité la Saône paisible. Là un prélat (2) savant et vertueux lui avait offert la plus aimablé des retraites et les douceurs de sa société. Thomas y jouissait avec délices de ces deux biens. Sa santé, que de longs et pénibles travaux avaient affaiblie, semblait se fortifiet de jour en jour; déjà même, présumant trop bien du rétablissement de ses forces, il avait osé reprendre cè poëmé attendu de l'Europe, et qui devait donner à la Henriade in rival et peut-être un vainqueur. Déjà il avait rappelé auprès de lui l'ombre de ce czar à la gloire duquel il lé consacrait, de ce fameux Pierre, le créateur plutôt encore que le réformateur de son peuple, qui présentait dans un seul homme tous les arts et tous les talens réunis, et qu'on eût dit doué d'un pouvoir magique et surnaturel, en voyant les prodiges que sa voix puissante opérait.

La mort frappe tout à coup Thomas; la France Tapprend; tous les vrais amateurs de la philosophie, de l'éloquence et de la vertu, s'affligent de sa perte comme d'une calamité publique ; ses proches, ses amis désolés ne peuvent tarir la source de leurs larmes.'

Et moi aussi je pleurai ta mort, homme illustre qui daignas jeter un regard de bonté sur ma jeunesse ; qui; franchissant l'espace immense ouvert entre ton vaste génie et l'esprit faible et borné d'un adolescent, daignas t'abaisser jusqu'à moi; qui, semblable à ces intelligences supérieures qu'on vit autrefois descendre aux communications les plus intimes avec de simples mortels, daignas

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me faire jouir si souvent de la sublimité de tes entretiens ; qui, sous ces berceaux (3) d'orangers, dont la nature em bellit les champs fortunés de ma. patrie, allumas dans mon ame, par tes exemples et par tes discours, l'innocente passion de l'étude et l'amour plus précieux de la vertu : et moi aussi je pleurai ta mort. Une lettre, cher et nouveau gage de ton amitié, m'avait porté, naguères d'utiles conseils, et les touchantes assurances d'un tendre intérêt, quand le bruit sinistre de ton trépas retentit soudain à mes oreilles. Dieu! quelle fut ma douleur ! la France, les lettres regrettaient un de leurs plus beaux ornemens ; je pleurais un ami, un guide, un bienfaiteur, un père.

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Ah! combien je maudis ce cruel devoir qui m'avait tenu éloigné de toi! combien j'enviai le bonheur de ceux qui à ton heure dernière, avaient pu te prodiguer de tendres mais de trop inutiles secours, qui avaient fermé tes yeux mourans et recueilli sur tes lèvres glacées tes dernières paroles et ton dernier soupir! Je fis, je fis alors le vœu d'aller, dès que je le pourrais, aux lieux où reposent tes cendres (4) t'offrir le tribut funèbre de mes regrets et de mes larmes, Je l'ai accompli, ce vœu sacré; mes pleurs ont, coulé sur le marbre froid qui couvre, ta tombe. Là, en présence de tes mânes, je pris l'engagement peut-être téméraire de rendre à tes talens à tes vertus un hommage solennel, d'exposer à l'admiration et à la reconnaissance publique, tes constans, tes glorieux efforts pour le bonheur de l'humanité.

Si le succès n'a point répondu à mon zèle, si j'ai peint avec des couleurs trop faibles tes utiles, tes immortelles pensées, les beautés touchantes et sublimes de ton éloquence, tes mœurs simples et pures, du moins, ombre chérie, j'aurai acquitté un devoir de tendresse et de gratitude, j'aurai satisfait mon coeur, j'aurai charmé les ennuis.

(3) Hyères.

(4) A Oullins, village près de Lyon, dans l'église paroissiale.

toujours renaissans que ta perte me cause, en parlant aujourd'hui de toi.

DEMORE, Sous-commissaire de marine à Toulon, membre de l'Athénée de Lyon.

LITTÉRATURE.

ELNATHAN OU LES AGES DE L'HOMME ; traduit du Chaldéen par A. BARTHÈS-MARMORIERS, etc.

(SECOND EXTRAIT..)

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On a vu, dans le premier extrait de cet ouvrage, comment l'auteur avait tracé toute l'histoire de la révolution' dans un cadre où l'on ne devait pas s'attendre à la trouver; comment il avait transporté à une époque très-éloi-' gnée de nous, des événemens dont nous avons été les témoins; comment il avait désigné par des noms bizarres des personnages dont plusieurs vivent encore, ou sont morts très-récemment. Il nous reste à considérer cette production, sous les rapports philosophique et littéraire. C'est à présent à la critique qu'il appartient de faire entendre son jugement. Nos lecteurs seraient fondés à se plaindre, et nous ne remplirions pas en effet les fonc-" tions de journalistes impartiaux, si nous n'ajoutions pas à l'extrait d'un ouvrage aussi étendu, aussi important, des réflexions propres à en donner une juste idée.

Nous blâmerons d'abord cette espèce d'amalgame que l'auteur, à l'exemple de quelques autres écrivains, a voulu faire de l'histoire moderne avec celle des tems anciens.

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Les mœurs les coutumes à des époques séparées de nous par un si long intervalle, étaient si différentes des nôtres, que tout lecteur, tant soit peu instruit, ne peut voir, sans quelque dépit, qu'on veuille les rapprocher, les comparer. Eh! n'est-il pas au moins ridicule de métamorphoser Louis XIV en Nabuchodonosor, et Louis XVI en Balthasar, de rappeler, dans un ouvrage Chal→

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déen, l'histoire du fameux collier, de rassembler dans Ba bylone, les notables, etc., etc.? Aussi voyez si dans ce singulier livre, les mœurs et les usages sont peints avec vérité! Babylone a, comme Paris, des théâtres, des actrices séduisantes, des promenades de Long-Champ, etc. Passe encore si tout cela était décrit gaîment, comme l'a fait Crébillon, dans le Sopha, et comme on en trouve des exemples dans quelques autres brochures mais rien de moins comique qu'Elnathan. C'est de sang-froid, c'est trèssérieusement que l'auteur prête aux Babyloniens nos ridicules, nos crimes, nos opinions, et jusqu'à nos costumes. On est tenté de lui demander, à chaque page, pourquoi cette précaution de rejeter ainsi en arrière J'histoire de nos jours? S'il y avait du danger à raconter des événemens connus de tout le monde, à parler d'hommes jugés depuis long-tems, son masque, son costume chaldéen ne le sauverait pas.

Mais peut-être voulait-il déguiser, nous répondra-t-on, des opinions politiques qui, publiées sans aucun ménagement, auraient pu choquer un grand nombre de lecteurs. Cette raison n'est pas admissible aujourd'hui. Les Français ont appris, à leurs dépens, à tolérer les opinions les plus contrastantes entre elles. On peut, dans un gros livre, se déclarer pour le gouvernement monarchique, aristocratique, même pour la démocratie, sans craindre la moindre persécution. Graces à la suprême Providence et au nouveau gouvernement, nous n'avons et n'aurons plus sans doute de tribunaux révolutionnaires.

C'est parce que toutes les opinions peuvent être émises aujourd'hui sans danger que, dans notre précédent extrait, nous n'avons cru porter aucun préjudice à l'auteur en rapportant sa manière de juger quelques évènemens de la révolution. Et certes cette opinion n'est ni la nôtre, ni celle de tous ceux qui ont desiré que la France pût jouir un jour d'une vraie et solide liberté, parce qu'il n'y a de florissans que les gouvernemens libres; enfin ce ne peut être celle de tout ami d'une République sagement orga

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