Page images
PDF
EPUB

LITTÉRATURE GRECQUE.

ODES DE PINDARE, unique traduction complette, en prose - poëtique, par P. L. C. GIN, ancien magistrat et membre

[ocr errors]

de la Société académique des sciences. A Paris, chez Arthur Bertrand, quai des Augustins, no 35, et Moutardier, même quai, no 28. 2 vol. in-8°.

ON a déjà du C. Gin plusieurs traductions de poëtes grecs. A l'Iliade, à l'Odyssée d'Homère, aux Œuvres de Théocrite, etc., il a voulu ajouter les Odes de Pindare. Le premier de ses traducteurs français, il a essayé de faire passer dans notre langue tout ce qui reste de ce poëte sublime, plus vanté et plus critiqué qu'il n'est lu.

Quelque poëtique qu'il ait pu rendre sa prose, il ne se dissimule pas la difficulté de représenter, même imparfaitement, dans une prose quelconque « l'harmonieuse mélodie, la mesure cadencée d'hymnes destinées (1) à être chantées en choeur avec l'accompagnement de la musique. Dans son introduction, qui est, à plus proprement parler, une préface, (2) il commence par adopter la conjecture de quelques savans qui veulent que la poësie des Hébreux, dans laquelle se trouvent les hymnes les plus anciens qui soient parvenus jusqu'à nous, ne consistât que dans l'expression du sentiment et dans la sublimité des pensées et des images, et qu'elle ne fût assujettie ni à des pieds ni à des mesures réglées.

(1) Le mot hymne, pour signifier un cantique en l'honneur de la Divinité, est du genre masculin. Il n'est du féminin qu'en parlant des hymnes qu'on chante à l'église. C'est une bizarrerie de la langue; mais c'est dans le second cas qu'est la bizarrerie. Hymne' est essentiellement masculin.

(2) On met une introduction en tête d'un traité ou d'une histoire, et une préface ou un discours préliminaire avant une traduction. Il est aisé de sentir la raison de cette différence.

[ocr errors]

C'était en effet l'opinion de Dacier qu'il cite, et de quelques autres qu'il ne cite pas: le plus grand nombre des érudits est d'accord quant aux pieds rhythmiques, qui manquaient tout à fait aux vers hébreux, mais non pas quant aux vers mesurés, en prenant seulement pour mesures le nombre de syllabes qui entraient dans un vers.; Ce serait ici le lieu d'une belle dissertation dans le genre d'autrefois, si ce genre qui consistait en compilations et en transcriptions de textes, plus qu'en raisonnemens et en résultats, n'était passé de mode, et s'il n'était maintenant convenu qu'on écrirait pour des Français, non en pages farcies d'hébreu, de grec et de latin, mais tout bonnement en français.

On verrait d'un côté Franciscus Gomarus dans son Nova David lyra, combattre pour la poësie rhythmique, soutenu par le célèbre Calmet et par d'autres savans tout aussi forts et aussi volumineux que lui; de l'autre une foule de doctes Juifs, et de doctes Hébraïsans, voire même de Saints, étayés de Joseph Scaliger, de Huet, de Fourmont et de Meibomius. Les premiers seraient battus sans ressource; mais les seconds ne prouveraient rien pour l'opinion embrassée par le nouveau traducteur de Pindare; car s'ils rejettent le vers métrique de la poësie des Hébreux, ils У admettent le vers harmonique ou rimé de différentes

mesures.

Leclerc, dans sa Bibliothèque universelle, a été plus bin; il a disposé en vers rimés le pseaume XL, et dans ses Commentaires philologiques sur le Pentateuque, il a réduit de même les deux cantiques qui se trouvent, l'un au chapitre XV de l'Exode, l'autre au XXII du Deuté

ronome.

L'abbé Garofalo qui a soutenu dans le dernier siècle, en Italie, le même sentiment contre le médecin juif Raffaël Rabben, ne s'est pas borné à citer ces deux cantiques, il y a joint, arrangés de la même manière, ceux de Débora, d'Anne, d'Habacuc, quelques pseaumes de David, quelques morceaux du cantique de Salomon, et

[ocr errors]

des lamentations de Jérémie. D'où il résulte évidemment que la poësie des Hébreux, ne consistait pas seulement dans la grandeur des pensées, des sentimens et du style, mais dans l'harmonie, la consonnance et le nombre dé terminé des syllabes; en un mot, dans tout ce qui constitue les vers harmoniques ou rimés, tels que ceux des Arabes, des Persans, et après eux des Provençaux, des Italiens et des Français.

On peut, sans entendre l'hébreu, juger de cette réduction en vers rimés et inégaux, par le quatrième verset du pseaume XXXIII que cite André Pinto-Ramirez, dans ses Prolegomènes sur le Cantique des Cantiques.

Darasthi eth Adonar

Veganani:

Umiccol meguro thaï
Hittsi lani.

Ge qui veut dire en français: J'ai recherché, ou j'ai supplié le Seigneur; il m'a exaucé; et il m'a délivré de tous mes maux ; et ce qu'on a rendu en quatre vers italiens, mesurés et rimés comine les quatre vers hébreux, avec l'aisance et l'exactitude qui n'appartiennent qu'à cette heureuse langue.

Vols' io i preghi al mio Signore

Egli udimmi

E di man d'ogni mio angore
Ei rapunmi (1).

Revenons au C. Gin. Il parcourt les révolutions qu'é prouva chez les Grecs la poësie rhythmique; il observe les inégalités qui existaient dans leurs vers lyriques, où le sens enjambait d'un vers sur l'autre, où même on voit souvent un mot décomposé se partager entre deux vers, où enfin la licence va quelquefois jusqu'à l'enjambement d'une strophe sur la strophe suivante; et il conclut qu'en divisant la période française de la même manière que la période grecque, par versets, comme le sont les pseaumes,

(1) V. le Quadrio. Stor e rag. d'ogni poesia. T. 1, p. 6.2.1

et conservant même dans quelques occasions, les enjam bemens des strophes ou stances l'une sur l'autre, sans naire à l'harmonie ou à la clarté, on peut parvenir à donner au lecteur une idée de son sublime original.

C'est en effet ainsi qu'est imprimée sa traduction, mais ce n'est pas sans doute ce qui la constitue prose poëtique. On n'a pas entendu jusqu'ici par ces mots de la prose divisée en plus ou moins d'alinea, mais de la prose distinguée par la force et la noblesse des mots, l'arrangement et l'harmonie des phrases et des périodes.

[ocr errors]

On peut au reste soutenir l'avantage des traductions de poëtes anciens ou étrangers en prose poëtique, quand on ne veut pas ou qu'on ne sait pas les traduire en vers; mais il ne faut pas ajouter que « C'est le seul style qui, semblable aux vers rimés des Anglais, représente avec quelque vérité le mécanisme de la versification grecque et latine; » attendu que rien ne représente moins un mécanisme et un rhythme régulier et sensible que l'absence totale de mesure, de mécanisme et de rhythme; et que les vers anglais non rimés, et les vers italiens de même espèce, loin de ressembler à de la prose, ont une harmonie très-marquée et sont soumis à des règles d'accent et de quantité, qui en font l'essence et le charme.

Sans nous arrêter davantage à ces questions, sur lesquelles on brocherait facilement et inutilement beaucoup de pages, venons à la traduction même ; et pour éviter l'embarras du choix dans les citations, prenons la première strophe des Olympiques et la première des Pythiques; et sans les examiner trop minutieusement, voyons comment le C. Gin les a rendues ; il aura sûreinent mis tout le soin dont il est capable à ces deux strophes célèbres, et qui sont les premières en vue; on pourra donc juger par-là du reste de son travail.·

Strophe première des Olympiques.

. L'eau est le meilleur des liquides; l'or brille comme

[ocr errors]

un feu ardent, sous les ombres de la nuit, dans la maison d'un homme riche.

» Son éclat l'emporte sur tout ce qui l'environne.

» Omon esprit, si tu as formé le projet de chanter les travaux des athlètes,

." Le sujet que te fournissent les jeux olympiques l'emporte autant sur tout ce qui est capable d'échauffer ton génie,

» Que la chaleur du soleil sur celle des astres qui : pendant le jour parcourent le vague de l'air.

» Un tel sujet excite une noble émulation, parmi les sages réunis dans la superbe maison d'Hiéron,

» Pour célébrer à l'envi la gloire du fils de Saturne. » Ce qui frappe d'abord dans cette strophe ainsi traduite, c'est qu'on n'y voit plus aucune liaison, aucun rapport du commencement avec la fin; et cependant cette incohérence n'est point réellement dans le texte ; on l'a reconnu depuis long-tems. Quelle est la première idée de Pindare? de vanter l'excellence des jeux olympiques. Il les met au-dessus de tous les jeux, comme l'eau est audessus de tous les élémens, l'or au-dessus de tous les métaux, comme le soleil excelle parmi les astres, et Jupiter entre les Dieux. Une traduction même littérale ferait sentir comment tous les membres de cette belle période poëtique contribuent à développer cette comparaison multiple : elle n'est nullement sensible daus la version par paragraphes du nouveau traducteur.

[ocr errors]

Si l'on examine ensuite cette version, sous le rapport de la fidélité, on pourra trouver que l'eau est le meilleur. des liquides, n'est pas exact; et que Pindare n'a point prétendu préférer l'eau aux autres liquides, au vin par exemple, mais aux autres élémens, sens plus général, plus noble, et conforme à la doctrine de Thalès et de quelques autres philosophes, qui regardaient l'eau comme la source commune et le principe universel.

On pourra trouver encore que ces mots : l'or brille comme un feu ardent, sous les ombres de la nuit, dans la

« PreviousContinue »