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et si nous avons été riches en idées, en inventions, et malheureux ou insensés en pratique, il n'y a pas trop de quoi se vanter. Aussi la réclamation est-elle modeste, modérée.

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Le C. Lasteyrie cite l'Ami des Hommes, imprimé en 1759, où l'on trouve, tom. V, p. 251, une série de questions sur la population, le commerce, l'agriculture, beaucoup plus étendue que celle publiée par le Bureau de Londres les citoyens zélés y sont invités à répondre à ces questions, et à faire insérer leurs réponses dans le Journal économique. La Société d'Agriculture de Tours publia aussi dans ses Mémoires, pour l'année 1761, un corps de questions sur l'agriculture, qu'elle envoya dans les divers cantons de la province, etc.

Il y a sans doute une grande différence entre ces tentatives isolées et le mouvement régulier, l'action continue d'un établissement administratif; mais il ne s'agit ici que de la priorité de l'idée. Le C. Lasteyrie n'a pas pris tous ses avantages; car il aurait pu citer la Commission exécutive d'Agriculture et des Arts industriels, organisée par le Comité de Salut public, avant que le Bureau d'Agriculture fût institué par le Parlement d'Angleterre, laquelle Commission répandait avec profusion un grand nombre d'instructions excellentes, et mises à la portée de tout le monde, envoyait des commissaires éclairés sur les lieux, faisait circuler des questions, examinait les réponses, etc., enfin essayait tout ce qu'opère le Bureau d'Agriculture anglais, et obtenait aussi de grands résultats. Cette Commission, dout le plan ne le cède point à celui de l'Etabissement de Londres, ne lui était peut-être point inférieure en hommes. Elle fut dirigée par un homme qu'une mort prématurée a enlevé à la patrie, le C. Brunet, de Montpellier, l'un des esprits les plus vastes que l'on puisse rencontrer en administration, et des plus zélés en même tems pour le bien public; ensuite par le C. Berthollet, qui connaissait de même tous les rapports de cette administration avec la prospérité publique ; et à côté de ces administra

teurs travaillaient Gilbert, Huzard, Cels, Vilmorin, Rougier-LaBergerie, Tessier, Dubois, Molard, etc...... On pourrait citer beaucoup d'heureux effets de cette Commission et comparer avantageusement pour elle, son exercice avec des tems postérieurs. Elle fut fondue dans le ministère de l'intérieur, lors de l'organisation de la Constitution de l'an 3, et ses élémens qui étaient forts et actifs furent soumis, à l'influence des fréquens changemens de ministres, au systême de leur conduite politique, au contrecoup des prédilections pour d'autres parties du ministère, enfin à leur plus ou moins de capacité administrative, et aussi à la mesure de leur honnêteté et de leur ambition. Quoi qu'il en soit, la réclamation du C. Lasteyrie était fondée, et sa remarque subsiste. Revenons à la traduction du Traité des Constructions rurales, après avoir dit toutefois que le traducteur fait des voeux pour qu'on imite en France, à quelques modifications près, le Bureau d'Agriculture de Londres.

Le Traité des Constructions rurales est le résultat des renseignemens et des observations recueillis par ce Bureau. Le C. Lasteyrie y a joint des notes et 33 planches soigneusement gravées. Il annonce qu'il traduira plusieurs autres des ouvrages publiés par le même Bureau. On doit desirer qu'il accomplisse cette promesse, et nous nous empresserons, pour notre compte, de réclamer pour lui l'estime qui est due à des travaux aussi utiles. L. B.

ANTIQUITÉS FRANÇAISES.

EXTRAIT d'un Mémoire du C. LARUE sur l'origine de la fable qui attribue la fondation de Caen à Caïus sénéchal du roi Arthur, et chevalier de la Table-Ronde (1). ROUXEL, Halley, Lair et plusieurs autres poëtes latins de notre ville, l'historien Paul-Emile, de Bras dans

(1) Ce mémoire a été lu dans une des séances dɩ Lycée de Caen. Cette Société savante a ranimé le goût des sciences et des lettres

ses Antiquité's; Gosselin, dans son Historia veterum Gallorum, ont défendu ou propagé la fable de la fondation de Caen par Caïus.

Mais l'opinion de ces écrivains varie lorsqu'il faut déterminer quel est ce fondateur. Les uns nomment Caius, Julius-Cesar; les autres Caïus, sénéchal du roi Arthur, et tous sont dans l'erreur.

D'abord, ce ne peut être le premier empereur, puisqu'aucun des géographes grecs et latins ne parlent de Caen ; et César, dans ses Commentaires, gardant lui-même sur cette ville le silence le plus profond, l'impose également à tous les partisans de cette opinion.

Ce ne peut être non plus Caius, sénéchal du roi Arthur; l'histoire et la critique ne permettent pas de le croire tout ce qu'on peut dire, c'est que la prétendue fondation de Caen par Caïus est une vieille erreur, une trèsancienne fable.

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Pour en découvrir la source, le C. Larue laisse de côté les écrivains modernes, qui l'ont tous répétée sans discussion préalable: il passe aux auteurs du moyen âge.

en

Guillaume le Breton, poëte de Philippe-Auguste, est le premier qu'il trouve avoir débité cette fable. Dans son poeme latin, intitulé Philippidos, il raconte les victoires de ce prince, et lorsqu'il arrive à la prise de Caen, 1204, il décrit l'agréable position de cette ville, sa grandeur qu'il compare à celle de Paris, la beauté de ses édifices, la richesse de son commerce et les avantages de son port; enfin il termine la description en assurant que notre ville avait été fondée par Caïus, et qu'elle en avait reçu son nom :

Quam Caïus dapifer Arturi condidit olim ;

Unde domus Caii pulchre appellatur ab illo.

Mais est-ce le poëte qui imagine cette fondation, ou l'historien qui la rapporte, et dans ce dernier cas, quels

dans une ville qui se glorifie d'avoir donné Malherbe à la France. Le C. Larue, ancien professeur d'histoire à l'Université de cette ville, est un des hommes distingués qui la composent. Elle compte parmi ses associés plusieurs membres de l'Institut national.

sont ses garans? Le cit. Larue ne croit point aux fictions du chantre de Philippe-Auguste, parce que le délire poëtique a ses règles, et si elles permettent quelquefois de ne pas dire le vrai, elles prescrivent toujours de dire le vraisemblable, suivant la maxime d'Horace :

Fista voluptatis causa sint proxima veris.

Pénétrant donc plus avant dans les ténèbres du moyen âge, le C. Larue prouve que Guillaume le Breton avait pris la fabuleuse fondation de Caen par Caïus, dans un manuscrit du fameux roman du Brut d'Angleterre. Çet ouvrage avait été composé en Basse Bretagne, dans les premières années du 12° siècle. Robert de Caen, baron de Creuly, le fit traduire du bas-breton en latin, par Geoffroi de Monmouth, vers l'année 1130, et nous en avons deux éditions publiées par Badius - Ascensius, la première en 1508, et la seconde en 1517.

On y lit que le roi Arthur fit Caius comte d'Anjou et Bedver duc de Neustrie; que ce même roi fut un jour en guerre contre l'empereur Lucius; et après une ample description des préparatifs militaires, l'auteur raconte les horreurs du combat qui eut lieu en Basse-Bretagne, la défaite de l'empereur et la victoire d'Arthur. Bedver fut tné sur le champ de bataille, et son corps rapporté par les Neustriens, fut inhumé à Bayeux, ville bâtie par son bisayeul Bedver, premier de ce nom. Caïus, blessé mor tellement, fut transporté à Caen, ville qu'il avait fondée, continue le Brut, et quelque tems après y étant mort de ses blessures, il fut enterré dans un couvent d'hermites, bâti au milieu d'une forêt qui n'était pas éloignée de la ville.

Comme on ne trouve plus en France ni en Angleterre le texte primitif du roman du Brut, il est impossible de vérifier s'il renfermait tous les détails que nous venons de copier; on serait même tenté de croire que Geoffroy de Monmouth l'avait altéré en y insérant la fabuleuse fondation de Caen par Caïus; mais le cit. Larue discutant

Jes raisons qui peuvent le faire soupçonner, prouve qu'elles sont sans fondement, et justifie Geoffroy de Monmouth à cet égard.

La traduction du Brut ayant été faite par les soins du baron de Creuly, ce fut par les Normands que les Anglais connurent cet ouvrage, et comme il flattait infiniment leur orgueil national, il fit beaucoup de bruit dans leur ile. On crut aveuglément, au 12° siècle, dans la grande comme dans la petite Bretagne, toutes les fables que renferme le Brut. Pour le prouver, le C. Larue cite le témoignage d'Alfred de Beverley, dans la préface de son analyse du Brut, composée vers l'année 1150. « On ne parlait alors, disait-il, que de l'histoire du Brut, ou >> des rois Bretons, et on regardait comme un homme sans éducation, celui qui ne la connaissait pas. Les » jeunes gens la savaient par cœur, la racontaient agréa»blement, et me trouvant parmi eux, j'ai eu quelquefois » à rougir de mon ignorance. Cependant comme j'ai beau» coup de respect pour l'antiquité, j'ai voulu lire cet ou« vrage, j'en ai fait une analyse, et je n'y ai conservé a que tout ce qui m'a paru croyable, tout ce qui s'accorde avec le témoignage des autres historiens. »

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D'après ces expressions on a droit d'attendre qu'un écrivain qui annonce avoir fait en critique, l'analyse de cet ouvrage, n'y consiguera pas la fondation de Caen par Caius, et on est très-surpris de voir qu'en l'y transcrivant, il la consacre par-là même comme un fait authentique.

Alors le cit. Larue démontre par l'histoire, et par les monumens que tout est controuvé dans les détails imprimés de Geoffroy de Monmouth, et de son abréviateur Alfredde-Beverley.

Mais pour mieux connaître l'origine de la fabuleuse fondation par Caïus, l'auteur du mémoire a eu recours aux plus anciens manuscrits latins du roman du Brut; il en a compulsé jusqu'à treize exemplaires dans le Muséum de Londres, et il résulte de ses recherches que quatre de

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