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brick sans se laisser reconnaître, et se réservant en cas de besoin de la faire changer de pavillon. A six heures du soir les deux bricks passèrent bord à bord, et leurs commandans, qui se connaissaient, s'adressèrent mutuellement la parole; celui du Zéphir demanda des nouvelles de l'Empereur, et l'Empereur lui répondit lui-même avec le porte-voix qu'il se portait à merveille.

"Les deux bricks, allant en sens contraire, furent bientôt hors de vue, sans que le Capitaine Andrieux se doutât de la précieuse proie qu'il laissait échapper.

"Dans la nuit du 27 au 28, le vent continua de fraichir. A la pointe du jour on reconnut un bâtiment de soixante-quatorze, qui avait l'air de se diriger sur St. Florent ou sur la Sardaigne; on ne tarda point à s'appercevoir que ce bâtiment ne s'occupait pas du brick."*

L'Empereur, avant de quitter l'île d'Elbe, avait préparé de sa main deux proclamations, l'une aux Français, l'autre à l'armée; il voulut les faire mettre au net. Son secrétaire et le Général

* Les passages marqués de guillemets sont copiés textuellement de la relation officielle publiée le 22 Mars: cette relation est l'ouvrage de Napoléon : j'ai cru ne pouvoir mieux faire que d'en emprunter les expressions.

Bertrand ne pouvant réussir à les déchiffrer furent les porter à Napoléon qui, désespérant lui-même d'y parvenir, les jeta de dépit dans la mer. Puis, après avoir rassemblé quelques momens ses idées, il dicta sur le champ à son secrétaire les deux proclamations suivantes.

PROCLAMATION.

Au golfe Juan, le 1er Mars, 1815.

NAPOLÉON, par la grace de Dieu et les constitutions de l'Empire, Empereur des Français, &c. &c. &c.

Soldats!

À L'ARMÉE.

Nous n'avons pas été vaincus: deux hommes sortis de nos rangs ont trahi nos lauriers, leur pays, leur Prince, leur bienfaiteur.

Ceux que nous avons vu pendant vingt-cinq ans parcourir toute l'Europe pour nous susciter des ennemis, qui ont passé leur vie à combattre contre nous, dans les rangs des armées étrangères, en maudissant notre belle France, prétendraientils commander et enchaîner nos aigles; eux qui n'ont jamais pu en soutenir les regards? Souffrirons-nous qu'ils héritent du fruit de nos glorieux travaux? qu'ils s'emparent de nos

honneurs, de nos biens, qu'ils calomnient notre gloire? si leur règne durait, tout serait perdu, même le souvenir de ces mémorables journées.

Avec quel acharnement ils les dénaturent! Ils cherchent à empoisonner ce que le monde admire; et s'il reste encore des défenseurs de notre gloire, c'est parmi ces mêmes ennemis que nous avons combattus sur les champs de bataille.

Soldats! dans mon exil, j'ai entendu votre voix; je suis arrivé à travers tous les obstacles, et tous les périls.

Votre Général, appelé au trône par le choix du peuple, et élevé sur vos pavois, vous est rendu: venez le joindre.

Arrachez ces couleurs que la nation a proscrites, et qui pendant vingt-cinq ans servirent de ralliement à tous les ennemis de la France. Arborez cette cocarde tricolore, vous la portiez dans nos grandes journées. Nous devons oublier que nous avons été les maîtres des nations; mais nous ne devons pas souffrir qu'aucune se mêle de nos affaires. Qui prétendrait être maître chez nous ? qui en aurait le pouvoir? reprénez ces aigles que vous aviez à Ulm, à Austerlitz, à Jena, à Eylau, à Wagram, à Friedland, à Tudéla, à Eckmülh, à Essling, à Smolensk, à la

Moscowa, à Lutzen, à Wurtchen, à Montmirail. Pensez-vous que cette poignée de Français, aujourd'hui si arrogans, puissent en soutenir la vue? ils retourneront d'où ils viennent, et là, s'ils le veulent, ils règneront comme ils prétendent avoir régné depuis dix-neuf ans.

Vos biens, vos rangs, votre gloire, les biens, les rangs et la gloire de vos enfans, n'ont pas de plus grands ennemis que ces Princes que les étrangers nous ont imposés. Ils sont les ennemis de notre gloire, puisque le récit de tant d'actions héroïques qui ont illustré le peuple Français, combattant contre eux, pour se soustraire à leur joug, est leur condamnation.

Les vétérans des armées de Sambre et Meuse, du Rhin, d'Italie, d'Egypte, de l'Ouest, de la grande armée sont humiliés; leurs honorables cicatrices sont flétries; leurs succès seraient des crimes; les braves seraient des rebelles, si, comme le prétendent les ennemis du peuple, des souverains légitimes étaient au milieu des armées étrangères. Les honneurs, les récompenses, les affections sont pour ceux qui les ont servis contre la patrie et nous.

Soldats, venez vous ranger sous les drapeaux de votre chef; són existence ne se compose que de la vôtre, ses droits ne sont que ceux du peuple et les vôtres; son intérêt, son honneur, sa

gloire ne sont autres que votre intérêt, votre honneur et votre gloire. La victoire marchera au pas de charge; l'aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre Dame. Alors vous pourrez

montrer avec honneur vos cicatrices, alors vous pourrez vous vanter de ce que vous aurez fait : vous serez les libérateurs de la patrie.

Dans votre vieillesse, entourés et considérés de vos concitoyens, ils vous entendront avec respect raconter vos hauts faits; vous pourrez dire avec orgueil: Et moi aussi je faisais partie de cette grande armée qui est entrée deux fois dans les murs de Vienne, dans ceux de Rome, de Berlin, de Madrid, de Moscou, qui a délivré Paris de la souillure que la trahison et la présence de l'ennemi y ont empreinte. Honneur à ces braves soldats, la gloire de la patrie! et honte éternelle aux Français criminels dans quelque rang que la fortune les ait fait naître ; qui combatirent vingt-cinq ans avec l'étranger pour déchirer le sein de la patrie.

Signé, NAPOLÉON.

Par L'Empereur.

Le Grand Maréchal, faisant fonctions de Ma

jor-genéral de la grande armée,

Signé, BERTRAnd.

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