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Paris, à peine revenu de la première frayeur que lui avaient inspiré les bandes indisciplinées de la Russie, fit éclater la satisfaction la plus vive en se voyant préservé des malheurs dont le menaçait de rechef la présence des Alliés et l'approche de l'armée Impériale.

Les départemens voisins, que l'ennemi se disposait à envahir, se félicitèrent de n'avoir plus à redouter le pillage et la dévastation.

Les départemens conquis entrevirent avec ivresse le terme de leurs souffrances.

La nation, il est vrai, abandonna Napoléon en 1814, mais ce ne fut point parce qu'elle était lasse et mécontente de son gouvernement: ce fut parce qu'une suite non interrompue de guerres désastreuses l'avait épuisée, abattue, démoralisée. Elle n'aurait pas mieux demandé que d'obéir encore: elle n'en avait plus la force ni le courage.

La véritable cause de la chûte de Napoléon est indubitablement sa haine contre l'Angleterre, et le systême continental qui en fut le résultat.

Ce système gigantesque, en oppressant l'Europe, devait finir par la soulever contre Napoléon et la France, et par amener dès lors la perte de la France et de Napoléon. "Rome," dit Montesquieu," s'était agrandie parce qu'elle n'avait eu que "des guerres successives; chaque nation, par un bonheur in"concevable, ne l'attaquant que quand l'autre avait été ruinée. "Rome fut détruite parce que toutes les nations l'attaquèrent à "la fois et pénétrèrent partout."

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Ainsi la France presque entière détourna les yeux des malheurs de son ancien souverain, pour s'abandonner à la joie d'être délivré des fléaux de la guerre et à l'espérance de jouir enfin des bienfaits de la paix.

Ce fut au milieu de cette effusion d'égoïsme que les sénateurs appelèrent au trône le frère de Louis XVI.; et ce choix, quoique contraire à l'attente publique, et aux vœux manifestés en faveur de l'Impératrice et de son fils, souffrit peu d'opposition parce que le rappel de Louis paraissait être le gage de la paix et que la paix était, avant tout, le premier vœu de la nation.

D'un autre côté, les Bourbons, sagement conseillés, s'étaient empressés de combattre par des proclamations les répugnances et les craintes qu'inspiraient leur retour: Nous garantissons, disaient-ils :

A l'armée ses grades, ses récompenses, ses honneurs ;

Aux magistrats, aux fonctionnaires, la conservation de leurs emplois et de leurs distinctions; Aux citoyens, l'oubli du passé, le respect de leurs droits, de leurs propriétés, de leurs institutions.

Les Français, si faciles à abuser, regardaient ces garanties comme inviolables, et se complaisaient à répéter ce mot si heureux du Comte d'Ar

tois:*Il n'y aura rien de changé en France; il n'y aura que quelques Français de plus.

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Cette sécurité naissante était soigneusement entretenue par les hommes qui avaient renversé la dynastie Impériale. Chaque jour de nouveaux écrits, répandus avec profusion, dépeignaient le chef de leur choix sous les couleurs les plus propres à lui concilier les suffrages: "C'est lui," répétait-on sans cesse, qui ouvre et lit toutes ses dépêches, qui seul y fait les réponses. "C'est lui, lorsqu'il est dans le cas de recevoir "des envoyés des puissances étrangères, qui les "entretient; qui entend le rapport de leur mis'sion, et qui leur donne ses réponses de vive voix, ou par écrit. C'est lui seul enfin qui traite, exclusivement, toutes les affaires de son “administration et de sa politique.

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"Si l'excellence et la bonté du cœur font "pressentir aux Français qu'ils vont retrouver "dans leur Roi un bon et tendre père, tant de lumières, une telle force de caractère, et cette

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aptitude à expédier les affaires, doivent les rassurer pour l'avenir."t

* Le Comte d'Artois avait dévancé dans Paris son auguste frère, et répondit par ces belles paroles aux félicitations que lui adressèrent, sur son retour, les autorités municipales de Paris. ↑ Journal des Débats. L'un des principaux propriétaires et

Les Français se félicitèrent donc de voir à leur tête un prince éclairé, un prince juste et bon, qui ne confierait qu'à ses propres mains les rênes de l'état; et leur imagination, prompte à s'enflammer, les faisait jouir d'avance des bienfaits que sa bonté, sa sagesse, et ses lumières allaient ménager et répandre sur eux. Quelques regrets, quelques doutes venaient-ils interrompre ce concert d'espoir et de confiance?-ils étaient aussitôt combattus, repoussés au nom de la patrie, au nom de Napoléon lui-même : n'avait-il point dit à ses braves: "Soyez fidèles au nou"veau souverain de la France; ne déchirez 'point cette chère patrie si long tems mal"heureuse"?

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Tout se réunissait donc, et même l'attrait de la nouveauté, pour rendre propice au Roi les esprits et les cœurs. Il parut: de nombreuses démonstrations d'alégresse et d'amour l'accueillirent et l'accompagnèrent jusques dans le palais de ses ancêtres.

Jamais changement de dynastie ne s'était opéré à la suite d'une contre-révolution sous d'aussi favorables auspices.

rédacteurs était M. Laborie, créature de M. de Talleyrand, et secrétaire intime du gouvernement provisoire.

Les Français, fatigués de leurs dissensions, de leurs revers, et même de leurs victoires, éprouvaient le besoin d'être tranquilles et heureux. Ces paroles mémorables du frère de leur Roi: "Oublions le passé, ne portons nos regards que sur l'avenir; que les cœurs se réunissent pour "travailler à réparer les maux de la patrie," ces paroles sacrées avaient retenti dans toutes les ames, et étaient insensiblement devenues la règle de tous les sentimens et de tous les devoirs.

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Cet accord subsista tant qu'il ne fut point question de mettre le gouvernement en action; mais quand l'heure fut venue de toucher à l'armée, à l'administration, à la magistrature, l'orgueil, l'ambition, l'esprit de parti se réveillèrent, et l'amour de soi-même l'emporta sur l'amour de la patrie.

Les Emigrés, qui depuis vingt-cinq ans avaient traîné chez l'étranger leur vie importune dans une honteuse et lâche oisiveté, ne pouvaient se dissimuler qu'ils n'avaient ni les talens ni l'expérience des hommes de la révolution; mais ils se figurèrent que la noblesse devait, comme autrefois, suppléer au mérite, et que leurs parchemins étaient des titres suffisans pour les autoriser à prétendre, de nouveau, à la possession exclusive de toutes les places.

Les hommes de la révolution, les nationaux,

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