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Godin, par un avis spécial, en août 1870, signalait à l'ensemble des ouvriers de l'atelier de montage la nécessité de mieux soigner « le lissé des surfaces des appareils. de cuisine », la clientèle s'étant plainte de la défectuosité de certains produits. Si ces produits mêmes avaient, à l'exemple de l'oeuf du Danemark, porté une trace les rattachant à leur auteur, c'est à celui-ci seulement et non à tous les ouvriers, sans distinction, vigilants ou autres, que l'avis eût été donné et avec bien plus de chance de remédier à la négligence.

Evoquons l'autre aspect des choses: parfaite exécution du travail. Quelle incontestable démonstration d'accomplissement par l'ouvrier de son devoir envers la collectivité, et, conséquemment, quelle révélation de son droit acquis à une part des bénéfices (s'il y a lieu) provenant de l'acceptation du produit par le consommateur.

L'émulation dans la perfection des services rendus par l'individu à la collectivité, est le dernier mot du système.

Hors de l'organisation coopérative, les industries (1) qui pratiquent des modes similaires de rattachement du produit au producteur, afin de rendre, en cas de besoin, celui-ci responsable, et de maintenir la perfection de la fabrication, seront entraînées par la logique du principe - si ce n'est déjà fait — à rémunérer spécialement les producteurs hors ligne; la sélection des capacités se prépare ainsi socialement.

Le rattachement entre producteurs et consommateurs ne pouvait être conçu qu'à long terme, idéalement, à l'époque où Godin formulait ces indications pratiques : « Organiser les choses de manière à entraîner progressivement les hommes vers l'idéal, sans trop les gouverner ni les conduire. Faire que chacun se sente libre de ses

(1) Plaques photographiques; papiers lithographiques, etc.

mouvements, mais endosse en même temps toute la responsabilité morale et matérielle de ses actes. »

Ces conseils qu'il donnait à ses amis du Texas, Godin cherchait à les appliquer à mesure du possible dans son propre établissement; et c'est là qu'il nous faut revenir. Voyons donc nos plus anciens documents à cet égard.

En 1856, à l'époque où Godin est forcé par causes majeures de renoncer à toute idée d'expatriation au Texas, quelle est sa situation industrielle et sociale?

Il est à la tête de deux établissements de fabrication d'appareils de chauffage : l'un en France (Guise, Aisne); l'autre en Belgique (Forest près Bruxelles). Celui de France, fondé depuis quinze ans déjà (à Esquehéries, Aisne, en 1840) est de beaucoup le plus important. Celui de Belgique compte trois à quatre ans (1) et, dès qu'il prendra quelque importance, il sera transféré (en 1858) de l'autre côté de Bruxelles à Laeken, portion cédée aujourd'hui à la commune de Schaerbeek-Bruxelles.

Une lettre de Godin déjà publiée (1re partie, chap. XXXV, Le Devoir, janvier 1901, p. 9) a fixé au nombre de 200 à 300 les ouvriers occupés par lui, dans ses deux établissements, en avril 1855.

En 1857, une autre lettre de lui, celle adressée à Victor Calland (2e partie, chap. 1er, Le Devoir, mars 1902, page 134) parle de 300 ouvriers occupés alors par lui à Guise seulement.

A ce chiffre il faut ajouter une trentaine d'employés des bureaux de fabrication et comptabilité générale, pour avoir le chiffre total du personnel, dans l'établissement de Guise.

Passons à la fabrication même.

(1) 1re partie, chap. XIV, page 200. Le Devoir, tome 22, 1898.

Il a été établi : (1)

10 Qu'à la fin de 1852, Godin était possesseur de 14 brevets d'invention et certificats d'addition;

2o Que, sous le coup des persécutions qui frappaient alors les socialistes, Godin outré de la décision par laquelle la cour d'Amiens avait annulé trois de ses brevets, et convaincu qu'en l'état des choses les brevets non disputés encore ne pouvaient que servir de prétexte à procès nouveaux sans lui donner la moindre garantie, avait effacé le mot breveté de tous ses produits et était resté ensuite neuf ans (jusque et y compris 1861) sans prendre de nouveaux brevets. C'est dans cette phase que nous le retrouvons.

Quelques lignes de lui, peignant cette époque et non utilisées pour son volume Solutions sociales, nous paraissent devoir venir ici:

Je me retrouvai après mon échec devant la cour << d'Amiens et l'échec de l'Ecole sociétaire au Texas, « obligé de ne compter que sur mes propres forces.

<< Le temps et la réflexion me firent voir que si ce << que j'avais créé était aux mains de mes concurrents. << et s'ils avaient la richesse pour eux, la capacité res<< tait de mon côté j'avais, par conséquent, quelque << moyen de leur disputer le terrain mal acquis sur le<< quel ils avaient été légalement installés. »

Anticipant sur les faits, nous avons, dans notre chapitre XIV, reproduit le passage qui va suivre :

<< Mes concurrents avaient entre les mains dix fois plus de ressources en capital et en relations industrielles que je n'en possédais alors. Le fait était con<< sommé. J'étais amoindri, mais je subsistais; il n'y << avait de salut pour moi qu'en avançant assez rapide

(1) 1re partie, chap. XIV, p. 193 à 207, Le Devoir, avril 1898. Tome 22.

«ment dans la voie industrielle que j'avais prise pour « que mes adversaires ne pussent m'y suivre. J'y réus<< sis les obstacles qu'ils me créèrent ne purent m'ar« rêter.

<< Si la concurrence marchait sur mes traces, je la << devançai par les progrès que je réalisai chaque jour, «et je pus triompher du terrible échec qu'un instant << j'avais envisagé comme devant causer ma ruine en « m'enlevant l'industrie nouvelle que j'avais créée. »

Notons au passage qu'à l'Exposition universelle, Paris, 1855, Godin obtint, comme chef d'industrie, une mention honorable.

(A suivre).

Vve J.-B.-A. GODIN, née MORET.

Les « Trusts » et les « Industrial combinations >>

VI

Empruntons d'abord à « L'Illustration » quelques détails biographiques sur M. Pierpont Morgan, l'organisateur du Trust de l'Océan :

<< M. J. Pierpont Morgan, né à Hartford, en 1837, est un grand banquier de New-York et philanthrope à ses heures. Son nom avait été prononcé en 1870 à propos de l'emprunt Morgan. M. J. S. Morgan dont il fut si fort parlé en 1870, était le père de J. Pierpont Morgan et l'associé de George Peabody, banquier, qui avait la réputation d'un financier de premier ordre.

« M. Morgan père laissa à son fils une fortune considérable que celui-ci accrut encore.

<< M. J. Pierpont Morgan n'est pas, comme beaucoup de milliardaires américains, sorti des rangs par ses propres efforts; mais il a su conserver sa situation et l'augmenter. C'est d'ailleurs son esprit à la fois conservateur et réorganisateur que louent ses apologistes. Dans sa longue carrière il a remonté et remis sur pied des entreprises qui périclitaient et ses succès successifs dans cette tâche lui ont valu une réputation considérable.

« La meilleure preuve de la légitimité de cette réputation est la facilité avec laquelle il a conduit des opérations comme le trust de l'acier: M. Andrew Carnegie ayant projeté une fabrique de boulons sur les bords du lac supérieur va concurrencer M. J. P. Morgan; ce dernier, devant cette menace, syndique les sept plus puissantes sociétés métallurgiques des Etats-Unis, réussit à englober dans ce trust la terrible compagnie

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