maine, tant que les Allemands n'augmenteront pas le nombre de leurs escales en France. De leur côté, les compagnies allemandes ne toucheront aucun port belge dans leurs services nord-américains; elles ne pourront faire relâche en Angleterre que trois cents fois en tout par an, soit soixante-quinze fois à l'aller et soixantequinze fois au retour pour chacune des deux compagnies. Cet état de choses ne peut être modifié que d'un commun accord entre les parties. En retour de ces engagements, les compagnies se prêteront un appui mutuel contre une concurrence extérieure. Qu'une ligne quelconque appartenant au trust se trouve menacée par la concurrence d'une ligne indépendante, elle devra être soutenue dans sa lutte par les six autres. << Pour les prix de passage d'Europe en Amérique, un tarif commun est établi, mais aucune convention ne règle le fret. Ce détail précise bien le véritable but de la convention. Si les Américains avaient voulu s'emparer de la navigation de l'Atlantique directement et pour elle-même, ils auraient établi des tarifs généraux pour le fret. Les Américains n'ont voulu qu'une chose, être maîtres d'une flotte commerciale suffisante pour assurer l'exportation de leur industrie. Le trust de l'Océan, estime M. Paul de Rousiers, spécialiste dans ces questions, est un prolongement du trust de l'acier. << La communauté d'intérêts entre le trust et les deux compagnies allemandes est réglée comme suit le trust remettra chaque année à chacune des deux compagnies six pour cent sur le quart de leur capital. En retour, chacune des deux compagnies remettra au trust le quart de ses bénéfices. << Les Américains n'étaient donc pas seulement les plus qualifiés pour cette entreprise colossale, ils étaient aussi les plus intéressés. Ils sont aujourd'hui les plus grands producteurs de houille, de fonte, d'acier. Et leurs méthodes leur permettent de faire dans ces domaines concurrence à l'Europe en donnant à leurs ouvriers des salaires beaucoup plus élevés que ceux des ouvriers européens similaires. Ils vendent leurs produits moins cher tout en payant leurs ouvriers plus cher. Mais pour faire concurrence à l'Europe, il faut une flotte commerciale. << Tant que les marchandises exportées par l'Amérique furent surtout d'origine agricole, les Américains ne se soucièrent pas de développer leur marine marchande. L'Europe avait besoin de leurs produits et pensait elle-même à les transporter. Mais maintenant ce ne sont plus des cultivateurs isolés, la plupart sans capital, qui ont besoin des transports maritimes, mais des industriels groupés, disposant de gros capitaux, et les produits qu'ils exportent, au lieu de combler des vides comme les blés ou la viande, ont la prétention de supplanter des produits européens. Dans ces conditions, il faut atteindre le consommateur par les voies les plus économiques. Depuis quarante ans, c'est-à-dire depuis la guerre de Sécession, ils ont négligé les transports maritimes. Il y reviennent avec une expérience perfectionnée des grandes combinaisons industrielles. L'organisation défectueuse de la navigation commerciale les choque et ils vont la renouveler par des méthodes empruntées à d'autres industries. « Le nouveau trust constitue un type inconnu jusqu'ici, moins artificiel que ses prédécesseurs, plus compréhensif, un trust international. Il en existe déjà, il est vrai, mais ils ne portent que sur certains produits spéciaux le pétrole, la soude, le borax. Ils sont dus soit à la rareté de certains gisements, soit à la supériorité d'une méthode de fabrication. Le trust de l'Océan est un organisme international, et non un organisme quelconque, mais l'organisme essentiel du commerce maritime. C'est le début d'une véritable révolution économique et politique. «Le public doit-il s'en alarmer? L'avenir le renseignera. Dans tous les cas, la concurrence ne sera écartée victorieusement par le trust qu'à la condition expresse qu'il servira l'intérêt général, qu'il n'abusera pas de sa situation prédominante pour rançonner la clientèle. Précisément parce qu'il ne s'appuie pas sur l'autorité publique, il faut qu'il trouve en lui-même toute sa force, et il ne la trouvera que si son organisation répond à l'objet qu'il se propose. << Au point de vue politique, le trust est américain; il compte dans sa flotte des navires dont les uns battent pavillon américain, les autres pavillon anglais. L'Angleterre doit se résigner à voir des navires anglais possédés par une société américaine. Mais, depuis quelques années, l'Angleterre sait qu'elle ne peut plus prétendre à dominer le commerce maritime. Les Allemands, par la nature du contrat signé avec le trust, ont défendu avec un soin plus jaloux leur liberté d'action et la nationalité de leurs bâtiments. << Quant à l'opinion française elle n'est pas préparée à accepter de prendre part à cette combinaison. « Ce qui dans l'affaire du trust de l'Océan nous inquiète le plus,» écrit M. Baudin, ancien ministre des travaux publics, dans le Figaro, « c'est que nous n'en sommes pas ou qu'on ne nous a pas proposé d'en être. » << Comment en serait-il autrement,» répond M. de Rousiers, quand toute entente industrielle entre producteurs français soulève les défiances les plus injustifiées ?» << Nous n'avons pas encore compris qu'il n'est plus possible de faire de l'industrie et du commerce avec les méthodes d'autrefois; qu'on n'atteint pas la clientèle éloignée avec les armes à courte portée qui suffisaient il y a quarante ans ; que, si la concurrence libre est un grand progrès sur le privilège, la concurrence spontanément réglée par les intéressés au mieux du bien-être général est un non moindre progrès sur la concurrence désordonnée. » Du Temps, 3 octobre 1902: Angleterre, << Notre correspondant de Londres nous écrit à la date du 1er octobre: « Le gouvernement britannique a fait connaître, hier, les termes des arrangements qu'il a pris tant avec le trust de l'Océan qu'avec la Compagnie Cunard, son rival le plus puissant. 0 Celle-ci devra construire deux nouveaux paquebotscroiseurs à grande vitesse. Le gouvernement en avancera le prix de construction, à charge de le rembourser en vingt annuités avec 2 3/4 % d'intérêt. A partir du moment où ils commenceront à naviguer, la subvention de 700.000 francs que reçoit la compagnie sera portée à 3.750.000 francs. Il est entendu, en outre, que ses actionnaires et ses directeurs devront tous être sujets britanniques. « Le syndicat Morgan s'engage, de son côté, à laisser à ses paquebots leur pavillon actuel et à employer des officiers et un minimum fixe de matelots britanniques. La moitié au moins du tonnage qu'il ajoutera à la flotte qu'il possède déjà, devra porter aussi le pavillon anglais. En échange, il sera traité sur le pied d'une égalité parfaite avec les compagnies britanniques indépendantes. Ce traité, comme le précédent, est valable pour vingt ans. « Le bruit court, ce soir, que M. Pierpont Morgan s'efforce de décider une compagnie de chemins de fer anglaise à accorder des tarifs de faveur aux marchandises expédiées d'Amérique par l'intermédiaire de son trust. Il a échoué auprès de la London and North Western Company, mais il est prêt, dit-on, à abandonner Liverpool pour un autre point de départ et d'arrivée si une autre compagnie lui fait les concessions qu'il désire.» Du Matin, 3 octobre 1902: Un malentendu. << M. Charles Steele, membre de la maison J.-P. Morgan and Co, dit que M. Gerald Balfour a dû se tromper en disant que la majorité des directeurs seraient de nationalité anglaise. Il a vraisemblablement voulu dire que la majorité des directeurs des compagnies britanniques faisant partie du trust étaient anglais. << Il serait utile de faire remarquer que la liste des directeurs du trust Morgan comprend huit Américains contre cinq Anglais, tandis que le comité exécutif et le comité des finances se composent exclusivement d'Américains. << On rappelle en outre que l'accord intervenu entre le gouvernement britannique et la combinaison Morgan porte seulement que la majorité des directeurs des compagnies britanniques faisant partie de la combinaison doivent être toujours de nationalité anglaise. << Il est intéressant de noter d'ailleurs que le nom de M. Morgan ne figure pas dans la liste des directeurs : cependant, sir Clinton Dawkins, président du comité britannique, est l'un des associés de la Maison Morgan de Londres. << M. Bruce Ismay, l'un des directeurs anglais, est le chef de la White Star Line, l'importante compagnie anglaise faisant partie du trust. M. Pirrie est le chef de la |