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conséquence a été de ruiner au profit de quelques loups cerviers de la Bourse deux ou trois cent mille familles et de laisser à l'état de projet les lignes de fer les plus importantes pour le commerce intérieur et pour le transit national.

C'est ainsi enfin, qu'après la révolution de Février, le Gouvernement provisoire, marchant d'un pas plus résolu que ses devanciers dans la voie anti-sociale du monopole de l'Etat, a voulu s'emparer à la fois nonseulement des chemins de fer, mais des banques, des mines, des assurances, etc., et a par ses folles tentatives ajouté une preuve de plus à celles qui établissaient déjà l'incapacité absolue des gouvernements dans la conception et dans la direction des travaux publics.

Il est temps de sortir de l'ornière où l'administration de la France est engagée depuis quarante ans. Liberté, association, telle est, en matière de travaux publics, comme en matière d'enseignement, comme en matière de charité, la double formule de l'avenir.

Il ne s'agit pas plus de détruire l'administration des Ponts-et-Chaussées que celle de l'Université. Il ne s'agit pas d'enlever au gouvernement central les moyens de surveillance et de police qui lui appartiennent, et dont il est temps d'user à l'égard des grandes compagnies pour les empêcher de tourner contre la masse des citoyens les priviléges dont elles sont investies. Mais il faut, dans les limites des règlements de police et des tarifs maxima, rendre aux associations une liberté complète, soit pour le choix et l'étude des travaux à exécuter, soit pour la conduite des entreprises, soit pour la perception des produits.

En matière de travaux publics comme en matière d'enseignement, la mission de l'État doit être réduite à deux points. Il doit surveiller les compagnies à l'aide des règlements de police et suppléer à leur impuissance par des secours habilement ménagés. La longue durée des concessions, la garantie d'intérêt, la subvention en argent, la subvention en travaux, telles sont les formes diverses sous lesquelles son intervention s'est exercée jusqu'ici. Chacune d'elles offre des avantages et des inconvénients. La plus efficace de toutes peut-être serait celle qui consisterait en des emprunts garantis par le département ou l'Etat selon la nature du travail, de telle sorte que les produits nets de l'entreprise fussent employés en premier lieu à desservir l'intérêt et l'amortissement du capital versé par les actionnaires, et que l'excédant fût appliqué au service des intérêts et de l'amortissement de l'emprunt.

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Les ultra-démocrates entendent les choses autrement. Ils voudraient, dans l'intérêt des ouvriers, supprimer les entrepreneurs. Ce sont, à leur sens, des parasites, d'inutiles intermédiaires entre l'Etat et les travailleurs. L'entrepreneur général, disent-ils ', vient soumissionner à des rabais souvent scandaleux la confection de tous les travaux. Or, la plupart du temps, cet individu est ignorant en matière de travaux publics. Ce n'est qu'un prête-nom, un intermédiaire, qui souvent même ne possède pas les capitaux néces saires et qui est obligé de les emprunter à un taux

1 Discours de M. Brunet dans la séance du 14 juillet 1848; propositions et discours de MM. Nadaud, Morellet, Bertholon, devant l'Assemblée législative.

onéreux. Par suité, pour exécuter les travaux, cet entrepreneur général est obligé d'admettre des sous-entrepreneurs pour chacune des spécialités qui constituent le projet général; et ces sous-entrepreneurs, étant dans une position semblable à celle de l'entrepreneur général, ont besoin de ce qu'on appelle des tachérons; de sorte qu'en réalité les travaux publics sont exécutés sous la direction d'hommes peu capables, peu moraux, et qui absorbent, aux dépens des ouvriers, la plus grande partie des bénéfices. »

Si la conclusion de ces critiques, qui ne manquent pas d'une certaine vérité, était qu'il faut exiger des · entrepreneurs de travaux publics plus de garanties de moralité et de solvabilité, et dégager le régime de l'entreprise de certains rouages dont on l'a inutilement compliqué, nous ne pourrions qu'y applaudir. Le plus grand fléau des entreprises de travaux publics, ce sont les compagnies d'agiōteurs. Ce qu'il faudrait exiger avant tout, cé sérait qu'aucune proposition de concessión ne fût soumise à l'Assemblée nationale qu'autant qu'elle serait appuyée d'une soumission en règle faité par une compagnie sérieuse à la suite d'une étude consciencieuse des tracés, et d'une appréciation exacte des recettes et des dépenses, et accompagnée de la liste des fondateurs, de l'acte dé société, de la liste des actionnaires, des plans d'étude, nivellements, devis et autres pièces tendant à justifier de tous les élements de l'entreprise.

Des compagnies ainsi constituées et qui, à l'exemple des compagnies anglaises, organiseront dans leur sein des ateliers de terrassiers, de maçons, de charpentiers,

entreprenant certaines parties de travaux, puis de simples ouvriers travaillant à la journée ou à la tâche, de telles compagnies offriront plus de garanties à l'État, imprimeront aux travaux une meilleure impulsion et viendront mieux en aide aux classes laborieuses qué les associations ouvrières, inventées par le socialisme. « Le système de l'entreprisé, dit M. Léon Faucher, dans son rapport sur la proposition de MM. Nadaud et Morellet, n'est pas certes à l'abri des critiques, et ne nous paraît pas l'idéal en matière de travaux publics; mais, comparé à cette ébauche informe d'organisation que l'on appelle aujourd'hui l'association des ouvriers, il présente plusieurs avantages. L'entreprise donné seule des garanties à l'État; car l'entrepreneur est responsable dans sa fortune, dans son crédit, dans sa considération. L'Etat peut lui demander compte à toute heure de ce qu'il fait et de ce qu'il ne fait pas; s'il n'exécute pas ou s'il exécute mal le contrat d'adjudication, le recours est prompt et facile. Les travaux marchent avec ensemble, grâce à l'unité d'impulsion qui y préside; l'Etat n'a plus qu'à indiquer la distribution et la durée des travaux; car il y a quelqu'un qui appelle, rassemble et choisit les ouvriers, qui répond du complet et de la bonne tenue des chantiers, qui fournit et répare le matériel, qui commande et dirige les officiers de cette armée industrielle, qui animé tout de son intérêt et de sa présence.

On reconnaît que les associations d'ouvriers ont un champ d'opération très-limité : qu'elles ne peuvent aborder que des travaux dans lesquels la main-d'œuvre est facile, sans mélange, et qui ne sont pas trop éten

dus. Il convient d'ajouter que, même dans ces circonstances, en faisant aux associations d'ouvriers un traitement de faveur, en mesurant le vent à ces nouveaunés de l'industrie, on n'obtiendra pas encore une solution très-satisfaisante. Les travaux manqueront toujours de direction; l'exécution et la durée de l'exécution seront également incertaines; l'Etat n'aura pas de garanties, car la responsabilité, en se divisant, s'efface; la mobilité du personnel, à laquelle l'entrepreneur doit parer dans le système ordinaire, troublera directement l'organisation des travaux, compliquera la comptabilité des ingénieurs, et établira l'anarchie en permanence sur les chantiers. Ce défaut de lien, d'intelligence et d'expérience se fera sentir à chaque coup de pioche. L'Etat subira tous les inconvénients et n'aura pas les avantages des travaux exécutés en régie.

« Le véritable progrès pour l'ouvrier dans les travaux publics, c'est le marchandage. Lorsqu'il se rencontre des terrassiers éprouvés, des maçons habiles ou des charpentiers intelligents, ils peuvent se concerter à dix ou vingt pour entreprendre à forfait un lot d'une faible importance. Dans ces cas-là, qui ne sont pas rares, un groupe d'ouvriers fait office de tàcherons. L'ouvrier qui réussit et qui épargne peut, avec le temps, monter plus haut et se classer parmi les instructeurs du travail. Voilà le chemin naturel que suivent la bonne conduite et l'intelligence Une bonne organisation du travail ne supprimera pas les degrés intermédiaires, elle se bornera à les simplifier et à les rendre accessibles; c'est à chacun ensuite à conquérir le rang auquel il a droit. »

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