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tants. On voulait à tout prix (la correspondance administrative publiée par M. Depping en fait foi) fonder la monarchie absolue, et rien ne coûtait en fait d'intrigues auprès des Etats et des intendants, d'achats de suffrages, de moyens de corruption de toutes sortes. Ce triste épisode d'une grande époque s'explique plus qu'il ne se justifie par les obstacles qu'opposaient souvent au gouvernement l'excès de l'indépendance locale, la diversité des priviléges, le défaut d'harmonic des institutions de plusieurs provinces avec les institutions générales du pays.

La moindre innovation introduite par un ministre dans l'administration intérieure d'un pays d'Etats suscitait une résistance, et quelquefois une révolte. C'est ainsi que deux édits de Richelieu, dont l'un créait un siége d'élection dans chacun des vingt-deux diocèses du Languedoc, et dont l'autre réunissait la cour des aides et la cour des comptes, engagèrent les Etats euxmêmes dans l'insurrection que l'infortuné Montmorency paya de sa tête. C'est ainsi que les troubles de la Fronde trouvèrent, dans l'origine, quelque appui dans certaines villes du Languedoc et de la Provence.

A ces inconvénients politiques se joignaient, il faut le reconnaître, des abus administratifs. La tenue des Etats provinciaux était irrégulière. Ceux du Languedoc se réunissaient tous les ans ; ceux de la Bretagne tous les deux ans; ceux de la Bourgogne tous les trois ans.

Des commissions intermédiaires travaillaient, il est vrai, dans l'intervalle des sessions; mais ces commissions, dans lesquelles la juridiction contentieuse était mêlée à la puissance exécutive, avaient avec les procu

reurs-syndics des rapports trop multipliés et trop vagues pour que les mouvements de la machine administrative ne fussent pas, à chaque instant, arrêtés par les conflits, les rivalités, les incertitudes et les lenteurs.

En outre, chacun des États administrait à son gré; et le gouvernement, qui avait cessé de recourir aux assemblée nationales, et qui avait perdu par-là la puissance d'autorité qu'elles seules peuvent donner, se voyait obligé de transiger avec chaque province, souvent même avec chaque ville, pour obtenir l'admission ou l'équivalent des taxes qu'il créait. Ici, la taille était personnelle, ailleurs elle était réelle ou foncière. L'impôt du sel ne se percevait pas dans certaines contrées; dans d'autres, il n'était qu'un monopole; dans d'autres, il devenait une taxe de capitation. Relativement aux traites, les provinces étaient réputées françaises ou étrangères, suivant le tarif qu'elles avaient préféré.

Les priviléges divers, les conflits d'autorité, les luttes stériles entre les diverses congrégations municipales ou provinciales qui couvraient le sol de la France, les obstacles opposés au bien-être général par une foule d'impôts exceptionnels et de douanes intérieures, la résistance souvent aveugle et systématique aux réformes économiques et financières les plus utiles, et

1 Colbert ayant fait un appel aux États de Bourgogne pour encourager l'industrie, « l'on a rebattu encore, lui écrit le commis. saire du roi, la proposition des manufactures, et personne n'a trouvé qu'il y eût avantage pour la province d'y en établir de nouvelles. »

pour tout dire en un mot, l'immense déperdition de forces sociales employées à produire des résultats qu'on aurait pu obtenir à moindres frais, voilà les vices administratifs qu'ajoutait aux embarras politiques suscités au gouvernement notre ancien système provincial.

Néanmoins l'idée-mère de ce système a rallié presque tout ce que les trois derniers siècles ont compté de publicistes et d'administrateurs éclairés (Bodin, République, chap. 7); Fénelon (Plans de gouvernement destinés au duc de Bourgogne); Turgot et Necker (Mémoires à Louis XV et à Louis XVI); Mirabeau (Ami de l'Homme), etc., etc.

« Il y en a, écrivait Bodin en 1577, qui se sont efforcés de changer par tous les moyens les États particuliers de Bretagne, Normandie, Bourgogne et Languedoc en élection, disant que les Etats ne se font qu'à la foule du peuple; mais ils méritent la réponse que fait Philippe de Commines à ceux qui disoient que c'étoit crime de lèse-majesté d'assembler les Etats. Je ne veux pas nier les abus, mais néanmoins, il est bien certain que les élections coûtent deux fois autant au roi et aux sujets que les Etats; et, en matière d'impôt, plus il y a d'officiers, plus il y a de pilleries; et jamais les plaintes et doléances des pays gouvernés par les élections ne sont vues, lues ne présentées à qui que ce soit on n'y a jamais d'égard, comme étant particulières. Et tout ainsi que plusieurs corps d'artillerie, l'un après l'autre, n'ont pas si grand effet pour abattre un fort que si tous ensemble sont détachés, ainsi les requêtes particulières s'en vont le plus souvent en fumée; mais quand les colléges, les communautés,

les Etats d'un pays, d'un peuple, d'un royaume, font leurs plaintes au roi, il est mal aisé de les refuser. Combien qu'il a mille autres utilités des Etats. En chacun pays, s'il est question de faire levée d'hommes ou d'argent contre les ennemis, ou bien de bâtir forteresses, unir les chemins, réparer les ponts, nettoyer le pays de voleurs et faire tête aux plus grands: tout cela s'est mieux fait par ci-devant au pays du Languedoc par les Etats qu'en aucune autre province de ce royaume. »

Fénelon a reproduit ces idées dans les plans de gouvernement destinés au duc de Bourgogne; et ce prince aurait sans doute réalisé, si la Providence l'avait appelé au trône, l'idée qu'il avait puisée dans l'exemple des pays d'Etats, de séparer le royaume en parties autant qu'il pourrait se faire égales en richesse, d'organiser dans chacune d'elles des Etats provinciaux, et d'un extrait simplifié de tous les Etats de provinces de former quelquefois des Etats généraux1. Telle ne fut malheureusement ni la politique de Louis XIV ni celle de son successeur.

Administrateurs éminents, mais politiques absolutistes, Colbert et Louvois se distinguèrent par un zèle ardent contre l'administration des pays d'États, qui ne pouvaient, disait le premier, s'habituer à un système financier aussi simple que celui qu'il avait introduit, et qui gaspillaient les deniers de la province en gra

1 Voy. les Mémoires de Saint-Simon.

2 Lettres au duc de Chaulny, des 3 et 18 septembre 1684.

tifications ou perdaient le temps en discussions oi

seuses. >>

L'intrigue et la violence furent employées tour à tour; et loin d'étendre à toute la France les bienfaits du système provincial, on dépouilla toutes les communes de la liberté des élections, et l'on soumit presque toutes les provinces au régime des intendants.

Dès les premières années du règne de Louis XVI, Turgot, Necker, Mirabeau le père et tous les économistes réagirent avec énergie contre les exigences des courtisans, et demandèrent les libertés étouffées à leur renaissance.

Ces hommes d'Etat prouvèrent, dans des écrits trop oubliés, que l'appui populaire qui prêterait à la monarchie un large système de libertés et d'associations locales pourrait seul conjurer les dangers qui la menaçaient. «<Les Etats provinciaux, disait le marquis de Mirabeau, seraient avantageux pour le peuple sous le double rapport des intérêts matériels évidemment mieux régis par les notables de la province que par des commis de la capitale, et par l'intervention civile et politique puissamment favorisée par l'intervention des citoyens dans la gestion de leurs propres affaires. Ils seraient avantageux pour l'autorité, car le gouvernement, semblable à la clef d'une voûte, tire sa force de l'harmonie et de l'effet de toutes les parties combinées, et l'ordre municipal est vraiment l'ordre citoyen.

1 Correspondance de M. de Bezons, de M. d'Oppedes, de M. de Lavardin et autres intendants avec MM. Colbert et Louvois.

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