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d'espérer qu'au moyen de ces diverses mesures, secondées par l'esprit d'association charitable et religieux dont nous avons indiqué les nombreuses applications praticables, on parviendrait graduellement à faire disparaître sans violence, sans blesser les droits de l'humanité, la mendicité repréhensible et dangereuse, et à éteindre aussi la mendicité tolérable et permise.

« C'est le but que nous proposons à la commission instituée pour réviser les lois existantes sur cet objet. Notre système n'entraînera point à des dépenses exagérées. L'aliénation des dépôts actuels de mendicité, que l'on pourrait convertir en maisons de travail agricole, couvrirait une partie des frais de premier établissement; le travail des mendiants valides suffirait sans doute à leur entretien et pourrait même donner lieu à des bénéfices. D'après nos calculs statistiques, il existe en France 30,000 mendiants valides des deux sexes; l'entretien journalier de chacun d'eux peut être évalué environ à 60 cent. par jour ou 219 fr. par an. Il en résulterait une dépense de 6,570,000 fr.; mais le travail de 30,000 mendiants valides représente au moins pour chacun 1 fr. par jour et 300 fr. pour l'année de travail composée de 300 jours, ce qui produirait en masse neuf millions et un bénéfice de 2,430,000 fr. par an; or, cet excédant pourrait être appliqué soit à former le pécule des mendiants et à subvenir aux frais de maladies et autres accidents, soit à rembourser les frais de premier établissement et les acquisitions de terrain nécessaires. »

De tous les établissements départementaux de bien

faisance, il n'en est pas de plus urgents que les dépôts de mendicité.

Hospices d'enfants trouvés et abandonnés et d'orphelins.

Les hospices d'enfants trouvés étaient tout-à-fait inconnus dans l'antiquité : la pensée créatrice de ces établissements appartient au christianisme. Établis dès les premiers siècles par la constitution des empereurs Valens et Gratien sous le nom de brephotrophia, organisés et développés en 1180 par frère Guy, de Montpellier, qui les plaça sous la sauvegarde de l'ordre du Saint-Esprit, les guerres civiles et étrangères des xv° et xvIe siècles les ruinèrent de fond en comble. Abandonnés à la protection illusoire des seigneurs, les enfants étaient exposés dans les carrefours ou vendus dans les marchés au prix courant de vingt sous. Un homme, en qui l'esprit chrétien s'est en quelque sorte personnifié, fit naître le remède de l'excès même du mal. Ayant rencontré un jour sous les murs de Paris un enfant trouvé entre les mains d'un mendiant qui lui déformait les membres, il accourt sur lui, enlève l'enfant de cette autorité que la vertu donne sur le crime, l'emporte dans ses bras, traverse la foule, appelle sur cet enfant la pitié des âmes sensibles, et peu de jours après fonde pour eux un hospice, sans autre appui que le dévouement de ces nobles vierges suscitées par la Providence pour devenir les mères adoptives des enfants abandonnés par leurs mères naturelles.

La législation ancienne sur les enfants trouvés et

abandonnés ne remonte pas au-delà de l'édit de Louis XIV de 1670. La législation actuelle se compose: 1o De la loi du 27 frimaire an v, qui ordonne de les recevoir gratuitement dans tous les hospices de la république ;

2o De l'arrêté organique du Directoire, du 30 ventose an v, concernant la manière de les élever et de les instruire;

3o De la loi du 15 pluviose an xiii, qui confie la tutelle de ces enfants aux commissions administratives des hospices;

4° Du décret du 19 janvier 1811, qui, dans une série de chapitres formant un code complet, règle tout ce qui concerne leur éducation, leurs dépenses, leur tutelle, leur reconnaissance et la manière de les réclamer;

5° Enfin, des lois des finances, à partir de celle du 14 juillet 1821, qui mettent la dépense des enfants trouvés et abandonnés à la charge des départements, avec le concours des communes et d'après le mode de répartition annuellement fixé par les conseils-géné

raux.

Le nombre des enfants trouvés et abandonnés, qui n'était, en 1670, que de 400 réunis dans le seul hospice existant en France, à Paris, s'est élevé progressivement en 1784, à 40,000; en 1810, à 56,7692;

1 Considérations sur les enfants trouvés, par M. BENOITON DE CHATEAUNEUF, p. 21; documents statistiques publiés par le ministre du commerce en 1835.

2 Travaux de la commission de 1849, t. II, p. 6.

en 1815, à 82,748; en 1820, à 101,158;en 1830, à 118,485; en 1833, à 130,945.

A dater de cette époque et sous l'influence de mesures administratives de déplacements des enfants, de réduction et de surveillance des tours, le nombre des enfants trouvés et abandonnés a diminué; il était en 1844 de 123,394', et en 1848 de 98,872, Même en faisant la part à cette réduction temporaire, on ne peut se rappeler sans effroi les prévisions de Necker, en 1784. Ne touchons-nous pas, comme l'annonçait çe publiciste, au moment où l'impuissance de subvenir à une charge toujours croissante pourra compromettre ces établissements précieux dont l'origine remonte au berceau du christianisme, et dont la restauration aurait suffi pour immortaliser le nom de saint Vincent-dePaul!

Certains économistes, considérant les hospices d'enfants trouvés comme une prime d'encouragement donnée au libertinage, demandent leur suppression; comme si la perspective de l'hospice était capable de neutraliser dans la fille égarée par la passion, qu même dans la prostituée, la double crainte de la grossesse et de l'accouchement! comme si c'était encourager la débauche que d'en arracher les fruits innocents à une mort presque certaine! Doctrine fausse, car elle viole le principe de la charité qui oblige la société à assister tous ses membres incapables de se suffire à

1 Essai statistique sur les établissements de bienfaisance, par M. DE VATTEVILLE, p. 73 et 74.

• Travaux de la commission de 1849, t. II, p. 6.

eux-mêmes, et fait rejaillir les fautes des mères sur les enfants; doctrine dangereuse, car elle aurait pour conséquences directes les expositions publiques, les suppressions de parts, les infanticides; doctrine rétrograde, car elle nous ramènerait aux siècles du paganisme, où, selon la remarque de M. de Châteaubriand, l'infanticide et l'esclavage suppléaient aux hôpitaux.

Loin de nous donc la pensée de fermer ces asiles mystérieux et assurés, où la charité publique recueille les enfants rejetés du sein maternel par la misère ou par le crime; mais le régime de ces hospices a besoin de grandes modifications.

Les bornes de cet ouvrage ne nous permettent pas l'examen même superficiel des questions nombreuses et importantes qui se rattachent à cette matière. Il nous suffira d'indiquer les principales propositions émanées de ceux qui, reconnaissant la nécessité des hospices, pensent que leur régime actuel est vicieux.

Les uns proposent la suppression définitive de l'état des enfants trouvés, afin de faire reculer devant l'idée d'une séparation éternelle les mères qui auraient encore conservé un reste d'entrailles. A notre avis, la société qui en agirait ainsi se rendrait coupable d'un crime inutile. Quant aux suppressions fictives d'état et aux déplacements momentanés, on les a essayés, mais avec peu de succès: ce sont des palliatifs qui font disparaître quelques instants les apparences du mal, mais qui, en définitive, augmentent son intensité.

La suppression des tours serait un remède plus héroïque; mais la plupart des publicistes qui ont étudié la question on reculé devant les périls de cet impor

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