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tant essai. Plus hardie que les de Gouroff, les Benoiston de Châteauneuf, les Villeneuve de Bargemont, la commission instituée par l'arrêté du ministre de l'intérieur du 22 août 1849 a condamné les tours, et a proposé de les remplacer par un bureau d'admission composé de cinq membres : la supérieure de l'hospice ou la sœur désignée par elle; le curé de la ville, le plus ancien s'il y en a plusieurs ; le médecin de l'hospice, un membre de la commission administrative de l'hospice délégué par elle; l'inspecteur des enfants trouvés. La commission d'assistance de l'Assemblée législative a dit au contraire, par l'organe de M. Armand de Melun 2: « Les conseils généraux de chaque département désigneront les établissements publics ou privés où seront reçus les enfants confiés à l'assistance publique, et détermineront le mode de leur admission. Toutefois, chaque département aura au moins un

tour. >>

On oppose3 que les tours sont contraires aux principes qui ont présidé à la fondation des hospices et qui seuls peuvent les maintenir; qu'ils sont une source d'inconvénients et pour les enfants, et pour la société, et pour les parents eux-mêmes que, relativement aux enfants, ils les privent de leur état civil toujours, des soins de leurs familles dans plusieurs cas, qu'ils compromettent leur vie en assurant une sorte d'impunité

1 Voy. le Procès-verbal des travaux de cette commission, t. I, P, 240.

2 Rapport de la commission d'assistance, p. 43.

3 Des hospices d'enfants trouvés, par M. REMACLE, ancien magistrat.—Travaux de la commission de 1849.

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à l'infanticide par la difficulté de lé constater; que, relativement à la société, ils introduisent dans son sein une population sans frein qu'il faut nourrir la première partie de la vie et surveiller le reste; qu'ils la mettent à la merci de ce qu'il y a de plus vicieux dans la population en la faisant déchoir du rang d'arbitre entre les intérêts divers qui lui appartiennent; qu'ils mettent à sa charge une dépense énorme qui s'accroît sans cesse; qu'ils ajoutent à la corruption des mœurs par les facilités qu'ils lui offrent ; qu'ils sont antinomiques avec la législation existante; qu'à l'égard des parents eux-mêmes, ils leur rendent impossible, dans la plupart des cas, la reconnaissance de leurs enfants; que, dans les cas mêmes où ils ne la rendent pas impossible, ils la rendent douteuse et leur préparent des remords; qu'en compensation de tous ces inconvénients, les tours présentent un seul avantage attaché au secret, au secret qui le plus souvent n'est pas nécessaire, au secret qu'il est possible d'assurer par des moyens moins dangereux. »

Malgré ces graves objections, nous pensons avec quarante-quatre conseils généraux sur cinquante-cinq, et avec la commission d'assistance de l'Assemblée législative, qu'il est nécessaire de maintenir un tour par chaqué département.

:

Deux considérations capitales nous déterminent la suppression du secret des tours, c'est, d'un côté, le droit à l'admission à bureau ouvert des filles-mères aux secours, et de leurs enfants à l'hospice; c'est, d'un autre côté, l'accroissement des chances de l'infanticide. Avec la suppression des tours, on court risque d'avoir

:

plus d'infanticides', et plus tard, plus d'enfants naturels on vivra de la honte, on n'en mourra plus ; on aura quelque chose de pire que la taxe des pauvres, la taxe de l'immoralité.

On s'est demandé si le tour ne devait pas être facultatif. Nous ne pensons pas que la liberté du conseil général doive aller jusqu'au droit de régler ce point souverainement. Il peut fixer le nombre, le lieu des hospices dépositaires, se servir à son gré de la charité privée ou de la charité légale, organiser des associations charitables, établir des tours, des crèches dans les proportions qu'il lui plaira; mais il ne peut pas, en fermant tous ces tours, rejeter les enfants trouvés dans des départements voisins, et imposer ainsi, comme le dit la commission, à l'humanité des uns la charge que refuse l'économie des autres

La loi doit prévenir une aussi criante injustice et corriger même les anomalies du régime actuel : aujourd'hui, en effet, cinquante hospices dépositaires ont 4 seul tour, vingt-et-un en ont 2, douze en ont 3, deux en ont 5, un en a 6; il y en a en tout cent quarante-quatre dont cinquante-quatre sans tours d'exposition. Il faut que cette irrégularité administrative cesse, et que les départements soient ramenés autant que possible au même système.

Le décret de 1811 est dans la plupart de ses parties peu d'accord avec les exigences de la situation actuelle.

1 De 1830 à 1845, avant la fermeture des tours, la moyenne des infanticides poursuivis était de 104; de 1830 à 18457 elle a été de 135; de 1840 à 1845 de 147; en 1845 de 162; en 1847 de 175.

Les art. 11 et 12 de ce décret font concourir aux dépenses des enfants trouvés les communes et les hospices; d'un autre côté, les lois de finances, à partir de l'année 1821, mettent ces dépenses à la charge du budget variable des départements, avec le concours des communes. De là des débats affligeants entre les hospices, les communes, les départements et l'État luimême; plus d'une fois on a vu rejeter d'un budget à l'autre, comme une charge importune, la dépense des enfants trouvés.

Tous les peuples de l'Europe ont avisé aux moyens d'organiser pour les enfants trouvés des ateliers de travail. A Londres et dans le reste de l'Angleterre, les enfants trouvés, placés immédiatement en nourrice, reviennent à la maison des orphelins à l'âge de cinq ans, et y sont occupés à divers travaux dont les bénéfices se répartissent entre eux et l'établissement. En Prusse et en Russie, ces enfants reçoivent dans les hospices une éducation convenable : l'apprentissage des arts mécaniques, celui du jardinage, les éléments du calcul et du dessin rendent les uns propres à travailler dans une manufacture, dans une fabrique ou chez le propriétaire; des connaissances plus élevées, les mathématiques, la géographie, la tenue des livres en partie double, la science du commerce, sont le partage de ceux dont les heureuses dispositions méritent qu'on les envoie à l'université de Moscow ou à l'académie des arts de Pétersbourg.

En Hollande, les enfants trouvés sont placés dans les colonies agricoles d'indigents. Dans le magnifique hospice de Naples (l'Albergo dei poveri) sont établis

des ateliers de cordonniers, de tailleurs, de tisserants, de serruriers, et c'est là qu'on fabrique toutes les platines de fusil pour les troupes; on y trouve encore une manufacture de corail, une imprimerie et une fonderie en caractères. En général, les jeunes gens valides sont destinés à la carrière des armes ; ceux qui se distinguent dans la profession qu'ils ont suivie obtiennent l'exemption de servir aux armées, mais ils n'en demeurent pas moins soumis au régime de la maison dont la garde leur est confiée1. La législation française ne présente rien de pareil. Napoléon avait voulu faire des enfants trouvés des soldats; il pensait, comme Mahomet, qu'adoptés par l'Etat, les enfants lui appartiennent. Mais deux obstacles se sont opposés aux vues du grand capitaine : l'impuissance de supporter les fatigues de la guerre de la part de ces complexions délicates et maladives, et la juste susceptibilité de notre honneur militaire, qui s'est irrité de voir l'armée française peuplée de bâtards. La loi du mois de mars 1818 a donc abrogé l'art. 16 du décret du 19 janvier 1811, et n'a fait du reste en cela que se conformer aux principes de justice et d'humanité auxquels ont droit tous les citoyens sans exception. Il reste à organiser les art. 17, 18 et 20, relatifs aux ateliers de travail, selon des modes analogues à ceux dont les législations étrangères nous donnent l'exemple, et que nous avons imités nous-mêmes dans les maisons de détention.

Le principal obstacle à la réalisation de ces vues

1 Economie politique chrétienne, par M. DE VILLENEUVEBARGEMONT, t. I, liv. IV, ch. VII.

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