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tiques non-conformistes. Il aggravait celui du 27 mai en ce que désormais aucun insermenté n'était laissé libre. Tous furent tenus de sortir de France sous quinzaine, sous peine d'être déportés à la Guyane. Mêmes dispositions pour les insermentés non soumis au serment, lorsque des citoyens les dénonceraient. N'étaient exceptés que les infirmes et les sexagénaires, qui seraient réunis dans une maison commune. Le serment qu'on exigeait n'était plus que le serment civique (comme dans le décret du 29 novembre 1791), mais réformé depuis le 15 août 1792, et où il n'était plus question que de la liberté et de l'égalité.

Comme très peu d'ecclésiastiques non-conformistes prêtèrent alors ce serment, on peut dire qu'au moment où la Législative se sépara, si les idées de laïcité et de liberté de conscience étaient en progrès, la liberté du culte n'existait vraiment pas pour les catholiques papistes.

14 septembre 1905.

IV

LES ORIGINES DE LA SÉPARATION DES ÉGLISES ET DE L'ÉTAT LA LAICISATION DE L'ÉTAT CIVIL

En parlant de la politique religieuse de l'Assemblée constituante et de la Législative, j'ai laissé de côté l'histoire de la laïcisation de l'état civil. Cette histoire, si importante pour notre sujet, sera plus claire, si on l'expose à part. Déjà M. Edme Champion en a donné dans la Révolution française, en 1887, une esquisse vraiment magistrale (1), qu'il a reproduite, en 1903, dans son volume sur la Séparation de l'Église et de l'État en 1794 (2). C'est à M. Champion que nous devons les premières vues précises et larges sur une question jusqu'alors négligée ou mal comprise, et c'est lui qui le premier a montré toute l'importance de la loi du 20 septembre 1792. Quelques textes qui lui avaient échappé vont nous permettre de compléter son récit et même de le rectifier sur un ou deux points.

(1) Révolution française, t. XII, p. 1061 et suivantes. (2) Pages 193 à 206.

I

Le préambule de l'édit de 1787, sur les noncatholiques, explique bien comment il se faisait que les registres de l'état civil eussent été confiés jusqu'alors aux seuls ministres du culte catholique : « Les ordonnances, y lit-on, ont même supposé qu'il n'y avait plus que des catholiques dans nos États; et cette fiction, aujourd'hui inadmissible, a servi de motif au silence de la loi, qui n'aurait pu reconnaître en France des prosélytes d'une autre croyance, sans les proscrire des terres de notre domination ou sans pourvoir aussitôt à leur état civil. >>

Renonçant donc à cette fiction, le roi reconnaît qu'il y a en France des protestants, des non-catholiques, et il veut pourvoir, en effet, à leur état civil. C'est << au nom de la loi » qu'ils seront unis en légitime et indissoluble mariage, et ainsi on établit pour eux un mariage en forme de contrat civil. Ils pourront aussi faire constater leurs naissances et leurs décès. Pour tous ces actes, il leur sera loisible e s'adressepr au curé ou au vicaire. S'ils y répugnent ou si les curés et vicaires s'y refusent, ils s'adresseront au juge du lieu », c'est-à-dire au premier officier de la justice royale ou seigneuriale dans le ressort duquel sera situé leur domicile. A cet effet, le greffier de la principale justice de toutes les

villes, bourgs et villages tiendra un double registre.

Depuis 1787, il y avait donc en France un état civil laïque pour quelques Français, et il y avait des officiers laïques de l'état civil.

Mais il n'y avait pas, en 1789, de mouvement d'opinion pour appliquer ce régime laïque à tous les Français. Dans les Cahiers, comme l'a fait remarquer M. Champion, on se plaignit de la négligence avec laquelle le clergé tenait les registres de baptême, de mariage et de décès, mais on ne demanda pas que cette tenue lui fût ôtée.

La question ne se posa que plus tard, et de la manière suivante.

L'Église catholique avait multiplié, pour le mariage, les empêchements, afin d'avoir à accorder des dispenses, qu'elle faisait payer plus ou moins cher: c'était une des sources de revenu du pape.

Le décret des 4 août 1789 et jours suivants, sur l'abolition du régime féodal, défendit (article 12) d'envoyer à l'avenir aucuns deniers en cour de Rome, pour quelque cause que ce fût. Les diocésains s'adresseraient, pour les dispenses, à leur évêque, qui les accorderait gratuitement.

L'Église ne voulut point se plier à cela. Il y eut des refus de dispenses, qui empêchèrent beaucoup de mariages. D'où des plaintes et la nécessité de songer à faire une loi qui établirait un mode non catholique de mariage.

L'affaire du comédien Talma rendit cette nécessité plus évidente.

Il écrivit à l'Assemblée constituante cette lettre, qui fut lue dans la séance du 12 juillet 1790 :

J'implore le secours de la loi constitutionnelle, et je réclame les droits de citoyen qu'elle ne m'a point ravis, puisqu'elle ne prononce aucun titre d'exclusion contre ceux qui embrassent la carrière du théâtre. J'ai fait choix d'une compagne à laquelle je veux m'unir par les liens du mariage; mon père m'a donné son consentement. Je me suis présenté devant M. le curé de Saint-Sulpice pour la publication de mes bans. Après un premier refus, je lui ai fait faire une sommation par acte extrajudiciaire; il a répondu qu'il avait cru de la prudence d'en déférer à ses supérieurs, qui lui ont rappelé les règles canoniques auxquelles il doit obéir et qui défendent de donner à un comédien le sacrement de mariage, avant d'avoir obtenu de sa part une renonciation à son état... Je me prosterne devant Dieu; je professe la religion catholique, apostolique et romaine. Comment cette religion peut-elle autoriser le dérèglement des mœurs? J'aurais pu sans doute faire une renonciation, et reprendre le lendemain mon état; mais je ne veux point me montrer indigne de la religion qu'on invoque contre moi, indigne du bienfait de la Constitution, en accusant vos décrets d'erreurs et vos lois d'impuissance. Je m'abandonne avec confiance à votre justice (1).

Après un court débat, la lettre fut renvoyée au Comité ecclésiastique, qui ne se pressa pas de faire son rapport.

Talma, lui, se lassa d'attendre il trouva un curé

(1) Moniteur, réimpr., t. V, p. 109.

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