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proposons de réduire le grand acte politique auquel la Chambre des dé, putés vous invite à prendre part.

▾ La raison d'état, à notre avis, ne réclame rien au-delà.

"Ce que la raison d'éta; ne réclame point, la justice le défend; l'esprit de concorde et l'intérêt bien entendu le repoussent.

Pourquoi ordonner, par exemple, que, durant le cours de l'année qui va s'écouler, les biens possédés par la famille du roi Charles X soient administrés par le domaine de l'Etat ? »

La commission rejetait également l'article 3 du projet, en vertu duquel les biens des princes déchus devaient être. vendus aux enchères. Elle retranchait encore l'article additionnel relatif au deuil du 21 janvier, non qu'elle approuvat l'esprit qui avait dicté la loi du 19 janvier 1816, prescrivant ce deuil annuel, mais parce qu'elle ne jugeait pas que l'abrogation de cette loi fût bien placée dans la loi nou-1 velle, parce qu'elle ne voulait pas qu'il s'établit un rappro chement quelconque «entre la catastrophe terrible sans doute, «mais légitime dans son principe et glorieuse dans ses résul«tats, qui a coûté le trône au roi Charles X, et la catastrophe asanglante et criminelle qui a coûté la vie au roi Louis XVI.»

Ainsi mutilé,amoindri, combattu par MM. le duc de Doudeau ville, de Dreux - Brézé, le duc de Noailles, le duc de Fitz James, Laîné, et autres orateurs, soutenu par le président du conseil, par le ministre du commerce et des travaux publics, auxquels se joignirent quelques pairs (le maréchal Macdonald, le comte Dejean), le projet fut adopté (19 avril). Le résultat du scrutin donna 74 billets pour, 45 billets contre, et 14 billets blancs. Le projet avait donc en sa faveur une majorité de 15. : suffrages, en comptant les billets blancs comme négatifs.

Mais la prorogation des Chambres arriva trop tôt pour que la loi amendée par la Chambre des pairs fût reportée à la Chambre des députés, et reçût la sanction royale, Dans la ses sion analogue, on verra M. Bricqueville présenter une proposition analogue, embrassant dans ses dispositions les membres de la branche aînéé des Bourbons et ceux de la famille Nas poléon.

Cependant la lutte de l'opposition contre le ministère du -

13 mars ne s'était pas ralentie. L'association nationale formée dès son avénement recrutait tous les jours de nouveaux membres: des comités, établis dans toutes les villes des départements, correspondaient avec le comité de Paris. Le ministère ne voyait ni sans dépit ni sans colère cette sorte de fédération, dont le but réel, sinon le but public, était de le déconsidérer, en le représentant comme l'avant - coureur d'une troisième restauration. Craignant d'augmenter le mal par l'emploi d'un remède trop énergique, il se résigna à n'user que de spécifiques moraux : il eut recours à tous les moyens, excepté aux poursuites judiciaires. Le président du conseil adressa sur ce sujet une circulaire aux préfets (voy. l'Appendice), et tous les autres ministres suivirent l'exemple de leur chef dans le ressort de leurs départements.

29, 30 et 31 mars. Les choses en étaient à ce point lorsque s'ouvrit la discussion sur le projet de loi relatif aux attroupements. En présentant ce projet à la Chambre des députés, le garde des sceaux avait insisté sur le besoin de paix intérieure qu'éprouvait la France:

Les attroupements et les émeutes, avait-il dit, sont une cause de désordres que le gouvernement a le devoir de réprimer, et contre lesquels l'état actuel de la législation n'offre point de moyens de répression assez efficaces. Une échelle de pénalité, assez douce pour être applicable, doit atteindre toute personne que l'imprudence ou de mauvais desseins entraînent dans des violations de la paix publique, violations dont l'effet est de compromettre la sûreté individuelle des citoyens, la liberté des transactions commerciales, les développements de l'industrie, et surtout la dignité nationale. L'admirable bon sens de la population a montré aux agitateurs, en plusieurs occasions, et tout récemment encore, qu'ils auraient tort de se croire de la puissance, et qu'ils verront, chaque fois qu'il le faudra, s'élever contre eux toutes les existences qu'ils inquiètent. La législation doit venir en aide au bon sens national. C'est avec la ferme volonté de remplir ce devoir, que le gouvernement a préparé le projet de loi que nous avons l'honneur de soumettre à vos délibérations,»

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La commission, dont M. de Schonen était le rapporteur, fit au projet quelques amendements, dont la plupart ne portaient que sur la rédaction. La discussion générale ne tarda pas à être amenée sur la question de l'association nationale. Un

orateur en attaqua le principe (M. Pataille). M. le général Lafayette s'empressa de répondre :

Messieurs, dit-il, le discours que vous venez d'entendre m'oblige de monter à la tribune: on a qualifié de conspiration, tout en faisant des compliments individuels, l'association contre le retour de Charles X et l'invasion étrangère. Déjà j'avais parcouru cette octave de circulaires ministérielles qui, montant graduellement jusqu'au ton le plus élevé, avaient pour buta voué de gourmander vigoureusement pour le passé, d'intimider pour l'avenir, les signataires de cette association.

Je ne me reconnais pas le droit de donner aux autres de si rudes leçons de liberté et d'ordre public, de dévouement à la patrie et de persévérance dans les principes, les engagements et les affections politiques; mais je crois avoir le droit, à la fin de ma carrière, de n'en recevoir de personne. (Murmures aux centres..... Approbation à gauche.) Je me suis étonné aussi de ce que le gouvernement, au lieu de reconnaitre ce nouveau témoignage de patriotisme, d'attachement à l'ordre actuel, de s'y associer même (Au centre: Oh! oh!), ait voulu lui supposer de mauvaises intentions, établir à ce propos une séparation entre les fonctionnaires publics et la masse des citoyens, tandis que les fonctionnaires se composent de deux catégories, les partisans du dernier régime qu'on a conservés, et qui~ certes ne s'y uniront pas, et les hommes de juillet, qui ne comprendront guère comment les dépositaires du pouvoir actuel se gendarment ainsi contre une association dont le but, très simple, très constitutionnel, à mon avis, est de s'opposer au retour de la branche aînée des Bourbons, et aux invasions étrangères. Serait-ce que le gouvernement a été piqué d'y soupçonner une certaine méfiance, non de ses intentions, mais de sa prévoyance et de son énergie? Eh! Messieurs, notre diplomatie a-t-elle done été si fière, si superbe (Rires a gauche), si influente, qu'on ne puisse pas concevoir l'idée de dire une fois de plus aux ministres : « Ne craignez ⚫rien, nous vous soutiendrons de tous nos moyens, de tout notre pouvoir.» (Mouvement négatif aux centres.)

Revenant encore une fois sur les questions relatives à la Pologne et à l'Italie, l'orateur articula le mot de promesses. C'est alors que M. Casimir Périer l'interrompit brusquement : «Quelles sont ces promesses? dit-il; je demande à M. Lafayette «de dire quels sont ceux qui ont fait ces promesses? » M. le général Lafayette répliqua qu'il s'abstiendrait d'entrer dans des détails particuliers, encore moins dans des détails confi- " dentiels : mais il se croyait permis de rappeler qu'il avait donné à la tribune une définition du système de non-intervention, qui n'avait été contestée par aucun des ministres présents à la séance. M. Dupin vint ensuite, et releva les paroles dans lesquelles le général se plaçait au-dessus de toute leçon. Il soutint que le gouvernement étant fondé sur l'indépendance nationale,

puisque, en le fondant, la France avait fait le plus grand actè de souveraineté nationale que puisse faire une nation, et aussi sur l'exclusión de la branche aînée des Bourbons, puisque la plus grande manifestation contre une branche aînée était de mettre à sa place la branche cadette, l'association dite nationale se trouvait superflue et entièrement dépourvue de but, à moins que ce ne fût de créer un État dans l'Etat.

Qu'est-ce donc qu'un gouvernement, disait M. Dupin, si ce n'est une association, avec des hommes et de l'argent pour agir? Eh bien! on a aussi une organisation, une hiérarchie, peu explicite sans doute dans nos journaux parce qu'on ne se montre pas ici comme on le fait dans un pays voisin, mais existant de la même manière avec les comités qui sont formés pour les associations de la Belgique : on a des chefs; la cotisation est indiquée, le budget aussi, et ce qui manque dans ce gouvernement, c'est le compte de l'emploi des fonds et de la direction qu'on donnera à l'argent des contribuables; il y a des levées d'hommes, car on embrigade. Que voulez-vous faire de tout cela ? L'argent, est-ce pour le laisser en caisse? Les hommes, est-ce pour les laisser chez eux ? On se réserve sans doute de les faire marcher; mais dans quelle direction veut-on les faire agir? Ce sera pour assurer l'indépendance nationale! Vous ferez donc la guerre, vous la ferez au nom de l'association, au nom d'un chef qui se révélera? (Murmures à gauche.) Si vous ne faites rien de tout cela, votre association ne signifie rien. »

Après avoir rappelé que les prétextes honorables n'avaient jamais manqué aux associations de toute espèce, à commencer par celle de la Sainte-Ligue :

Heureusement, ajoutait-il, la nation est assez éclairée. Il y a des hommes de bonne foi qui ont été surpris dans le premier moment; mais ils ne le seront plus, maintenant que le gouvernement a parlé. Il faut le dire, il faut rendre compte de l'impuissance des efforts qu'on a faits. Que les associés se comptent! Malheur à notre nouvelle dynastie, malheur à l'indépendance nationale, si elles n'avaient pour défenseurs que ceux qui sont attachés à l'association!

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Ainsi, par exemple, dans Lyon, ia seconde ville du royaume, le nombre des signatures sollicitées n'a pas pu atteindre deux cents. A Paris, on a pü, dans le premier moment, obtenir des signatures; mais la source est déjà tarie. On a senti qu'une grande et magnifique association, c'est celle du peuple français tout entier, qui, dans sa saine et nombreuse partie, veut qu'on le rallie et non pas qu'on le divise. (Au centre : Bravo! bravo!) J'appliquerai aux associations ce que la loi de 1791 a appliqué aux émeutes; je leur ferai des sommations, et je dirai : Que les bons citoyens se fetirent,» (Vifs applaudissements aux centres.... Agitation à gauche.) Une foule d'orateurs demandèrent à la fois à répondre. Avant de traiter la question de l'association, M. Mauguin

examina celle des nouvelles mesures répressives, demandées par le ministère : il se plaignit de la violation des lois, dans l'intérêt d'un parti qui n'était pas le sien, du parti carliste. A propos des visites domiciliaires, il déclara qu'en l'absence des formes protectrices il ne reconnaissait plus de liberté.

En défendant l'association nationale de toute intention hostile, M. Bernard disait :

Eh! Messieurs, vous avez vu, dans je ne sais quelle ville, le maire appeler à la mairie tous les citoyens, pour les inviter à signer l'associa tion. Si cet exemple eût été suivi, si les maires, les préfets, les généraux, s'étaient mis à sa tête, que serait devenu son danger? Quand tout le monde conspire, personne ne conspire. ( gauche: C'est vrai! c'est vrai !)

. Si elle n'était pas hostile, et il faut bien croire que la grande masse de ceux qui ont signé, que l'immense majorité des signataires n'avait pas de pensées hostiles.... il fallait encore s'en emparer, et, bien loin de la blâmer, de la poursuivre, de la calomnier, il fallait s'applaudir de retrouver cette étincelle du patriotisme de juillet.

Au lieu de cela, qu'a-t-on fait ? qu'avons-nous vu? On a séparé, dans les circulaires, les fonctionnaires publics des simples citoyens. Ce qui est permis aux uns est défendu aux autres ; ce qui est innocent pour les uns, pour les autres est criminel. Ainsi reviennent les traditions du système Corbière, de ce temps odieux où les fonctionnaires cessaient de s'appartenir à eux-mêmes pour appartenir au gouvernement. On veut bien nous assurer qu'ils auront le droit de voter dans les élections comme ils l'entendront, mais qu'ils ne peuvent prendre part à une association qui, dans leur intention, n'aurait d'autre but que de prêter appui au gouvernement., (Signes dubitatifs aux centres.) C'est une chose inconcevable, inique, revoltante! (Mouvement.) Et s'ils ont signé avant toute manifestation du gouvernement? Il n'importe, ils seront destitués s'iis ne retirent leur signature.

Messieurs, les ordonnances qui ont failli bouleverser la France sont en date, comme chacun sait, du dimanche 25 juillet. Le lundi 26, Char-. les X était à Saint-Cloud; il était dans sa toute puissance, avec toutes ses forces, avec les préparatifs qui devaient assurer le triomphe de son parjure: un homme, dans Paris, ouvrit sa maison, ce même jour (et il y allait de sa tête), à la première réunion qui prépara la résistance. Douze députés se trouvèrent à cette réunion, et toute ma vie je m'honorerai, d'avoir été de ce nombre. (Mouvement.) Cet homme, c'est notre collè gue, M. Alexandre Delaborde. Le matin, il avait présidé une assemblée de courageux écrivains résolus à tout braver; le soir il nous avait ouvert sa maison; eh bien! pour prix de tant de dévouement à la liberté, pour prix de quinze années de luttes et de combats pour cette cause sacrée, ce digne citoyen, si l'on en croit la rumeur publique, va perdre ses enplois. Et pourquoi ? Parce qu'il n'a pas voulu se rétracter, parce qu'il n'a pas voulu se déshonorer par une lâcheté.... (Vive sensation.) Qu'il se console, il lui restera la publique estime, sa conscience, et une estimable pauvreté. (Bravo à gauche. Silence au centre.)

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