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traités de 1814, consentis, garantis par tous les gouvernements de l'Europe, qu'était-ce autre chose que la guerre avec toute l'Europe? Et comment la France aurait-elle pu l'entreprendre? Pendant un mois et plus, elle était restée sans forces militaires; car, outre l'affaiblissement numérique où l'ancien gouvernement avait laissé tomber l'armée, 36,000 hommes étaient alors en Afrique, une brigade en Morée, et de plus il avait fallu licencier la garde royale, renvoyer dans leur pays 12,000 Suisses; enfin, renouer les liens de la discipline et rétablir l'ordre dans les régiments.

Abordant le point principal de la discussion, le ministre répondait directement aux interpellations 'relatives à la Pologne et à la Belgique :

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Le peuple polonais a des droits à la bienveillance, à l'amitié de la France. Seul entre tous, par une exception unique et dont l'histoire lui tiendra compte, il nous est resté fidèle aux jours de l'adversité. L'anéantissement de cette brave et généreuse nation a été une calamité pour l'Europe; mais enfin ce n'est pas de nos jours que ce grand attentat politique a été commis. Ses auteurs, rois et ministres, ont tous disparu de la scène du monde. Les douleurs de la Pologne retentissent au fond de nos âmes; mais que pouvons-nous pour elle? Quatre cents lieues nous séparent de ce peuple infortuné. Quand même l'intérêt de la France, premier devoir du gouvernement, lui permettrait de risquer en sa faveur tous les hasards de la guerre, et de violer le principe de non-intervention proclamé par elle, comment arriver jusqu'à lui? Pacifiquement, la Prusse s'y refuserait. Les armes à la main, il faudrait donc tenter la conquête de tout le nord de l'Europe? Ce sont les campagnes de Napoléon qu'on nous propose. Disons-le donc avec douleur, nous ne pouvons rien pour la Pologne par la force des armes. La sainte-alliance reposait sur le principe de l'intervention, destructeur de l'indépendance de tous les États secondaires. Le principe contraire que nous avons consacré, que nous saurions faire respecter, assure l'indépendance et la liberté de tous. Mais si, les premiers, pour servir une cause qui nous inspire tant d'intérêt, nous donnions l'exemple de sa violation, notre politique serait injuste et mensongère: elle perdrait par cela même toute autorité en Europe.

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Quant à la Belgique, Messieurs, elle n'est point placée en dehors de la sphère de notre puissance. Dès que le grand déchirement qui sépare à jamais la Belgique de la Hollande eut été consommé, sans consulter l'état de nos forces, dont nous seuls avions le secret, nous nous empressâmes de proclamer le principe tutélaire de la non-intervention; nous n'hésitàmes point à déclarer que si un seul soldat étranger violait le territoire de la Belgique, la France à l'instant prendrait fait et cause. Ne craignons donc point de le dire, ce jour-là la France a sauvé la Belgique de l'invasion étrangère; il s'agit maintenant de sauver la Belgique d'elle-même. Or, pour cela que faut-il faire? (Mouvement d'attention.)

. Vous l'avez entendu, Messieurs, d'honorables orateurs vous l'ont dit à cette tribune, il fallait réunir la Belgique à la France. Lá Belgique s'offrait; pourquoi l'avez-vous refusée ? Je dirai d'abord que la Belgique ne s'est jamais offerte; qu'aucun vœu national, légalement exprimé, n'a été adressé au roi, et que, par conséquent, nous n'avons point refusé ce qui ne nous a point été offert. Mais loin de moi cet art mensonger de dissimuler une question de fond sous une question de forme. J'avouerai donc avec sincérité que, dans mon opinion, cette réunion est appelée par les` veux de la grande majorité des Belges ; j'ajouterai même que, utile à la Belgique, elle est encore, selon moi, plus nécessaire au repos de l'Europe qu'a la grandeur de la France: mais l'Europe, à cet égard, et je suis loin de m'en étonner, ne partage pas ma conviction; le temps, et l'expérience, qui marche à sa suite, le lui apprendront peut-être quelque jour. En attendant, les anciens préjugés subsistent; les souvenirs du grand Empire. préoccupent les rois et les peuples. Peuples et rois s'alarmeraient de cette réunion; et sj, dans son effroi, un seul courait aux armes, c'en serait fait alors de la paix de l'Europe, et le monde entier serait encore une fois menacé de retomber dans le chaos. (Très bien! très bien!)

« Dans cet état dễ choses, qu'a-t-on dû dire aux représentants de la Belgique? Vous voulez vous donner un chef héréditaire, et vous avez raison: mais dans ce choix important, n'oubliez pas ce que vous devez à ́la France, qui voirs a protégés, vous a défendus. Puisque vous ne pouvez pas être à elle, ne vous livrez pas à ses rivaux, qui peuvent un jour être ses ennemis. N'appelez pas non plus au trône un prince, quel qu'il soit, dont le nom seul pourrait servir de prétexte à la malveillance, à de ténébreuses intrigues, à des tracasseries sans cesse renaissantes. (Agitation.)

On nous poursuit d'une dernière objection, et l'on nous dit : Vous proclamez sans cesse le principe de non-intervention, et cependant que faitesvous? N'est-ce pas intervenir, que d'imposer aux Hollandais et aux Belges un armistice, en menaçant celui qui s'y refuserait de toute la colère de l'Europe? N'est-ce pas intervenir, que de gêner la liberté des Belges dans l'acte le plus important, dans le choix de leur monarque?

Sur le premier chef, je réponds que l'objection ne serait peut-être pas sans force si on nous l'adressait au nom des Hollandais, peuple ancien, people indépendant, dont le nom depuis des siècles est inscrit glorieusement dans les fastes de l'histoire; mais au nom des Belges, je ne puis la comprendre. Il n'y a jamais eu de peuple Belge indépendant; la Belgique a toujours fait partie de quelque empire plus puissant. Pour la première fois, les Belges apparaissent au monde avec la prétention d'etre un peuple part, indépendant, ne relevant que de lui-même. Il demande à être reconnu comme tel dans la famille européenne : la France applaudit à cette généreuse résolution; elle l'a vivement appuyée dans les conférences de Londres, et, grâce à son utile médiation, la séparation et l'indépendance de la Belgique sont maintenant consenties et reconnues par l'Europe entière. Mais à cette reconnaissance l'Europe attache comme condition, que le sang cessera de couler dans des combats désormais inutiles. Est-ce là intervenir? Déclarer qu'on ne reconnaîtra pas un peuple, qu'on n'entretiendra aucune relation politique avec lui, si ce peuple ne se constitue pas de manière à ne point troubler la paix générale, ce n'est point intervenir, c'est conseiller; et depuis quand les conseils sontils interdits de gouvernement à gouvernement? Intervenir, c'est contraindre, et contraindre par la force. Lorsqu'en 1787 une armée prus

sienne entrait en Hollande pour y rétablir la famille stathoudérienne, la Prusse intervenait dans les affaires de la Hollande. En 1831, la Belgique a été préservée d'une intervention de ce genre: à qui le doit-elle? La Belgique le sait, et nos honorables adversaires dans cette enceinte ne l'ignorent pas.

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Quant à l'accusation de gêner la liberté des Belges dans le choix de leur monarque, elle ne peut être sérieuse. La France demande à la Belgique une réciprocité de bienveillance. Que son territoire ne puisse devenir, sous aucun prétexte, un foyer d'intrigues sans cesse inquiétantes pour notre tranquillité intérieure, est ce donc trop lui demander en retour de tout ce que nous avons fait pour elle? Mais ici, Messieurs, je commence à craindre de m'être laissé entraîner vers ces questions d'avenir sur lesquelles la prudence commande aux ministres du roi la plus grande réserve. A mesure que les événements marcheront, nous nous empresserons de vous en informer, et de venir nous fortifier de vos inspirations et de votre assentiment. Toutefois, avant de finir, il m'est doux de pouvoir vous dire que la Belgique, déjà reconnue indépendante, est au moment de recevoir un nouveau bienfait. Elle est admise', comme la Suisse, par les cinq grandes puissances, aux avantages d'une neutralité européenne. (Sensation.) Ce principe de neutralité européenne deviendra fécond, je l'espère, et ne tardera pas à s'étendre à de nouvelles contrées. Certes, nos adversaires eux-mêmes seront bien obligés de convenir que ce n'est pas là de la politique de l'OEil-de-bœuf de 1815, et que la France de la révolution de juillet tient une autre place en Europe que celle de la restauration.

Le ministre terminait en assurant que les efforts du gouvernement pour maintenir la paix ne l'avaient pas détourné de prendre toutes les précautions que lui commandaient la prudence et la sûreté du pays.

Plusieurs passages de ce discours avaient produit des mouvement sdivers, et causé même quelque agitation: mais la majorité, que dominait la crainte de la guerre et de ses résultats possibles, en accueillit le sens général avec faveur. Aussi M. le général Lamarque, succédant au ministre des affaires étrangères, commença-t-il par dire: «Vous voulez tous la paix ; quel«ques-uns peut-être la voudraient avoir à tout prix.....» phrase qui provoqua de violents murmures et de vives dénégations. Suivant l'orateur, le pressentiment d'un prochain orage inquiétait tous les esprits, arrêtait les spéculations du commerce, pa ralysait l'industrie, et ce marasme était mille fois plus dangereux que le.mal qu'on voulait éviter. Arrivant à la question de la Pologne, il affirmait qu'on ne trouverait pas un publiciste éclairé qui ne reconnût que la cause de ce pays était celle de

tous les peuples, et qu'il importait de relever cet antique boulevard du midi de l'Europe. Ces vérites avaient été proclamées et reconnues au congrès de Vienne, par les ambassadeurs de France et d'Angleterre : le premier ne les avait désertées que pour arracher à la Prusse une partie de la Saxe, et surtout pour replacer les Bourbons sur le trône de Naples; le second, que pour augmenter les possessions du Hanovre, et pour s'assurer la tête de pont de la Belgique.

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- Mais l'empereur d'Autriche, ajoutait-il, déclarait, le 26 février 1815: que son vœu le plus ardent était le rétablissement d'un royaume de Pologne indépendant, et qu'il était prêt à tous les sacrifices pour ⚫ rétablir l'ancien ordre de choses. Mais le traité du 3 mai 1815 portait : que les Polonais, placés sous la sauvegarde des trois puissances, auraient une organisation distincte, et propre à conserver - leur nationalité. L'empereur Alexandre s'engageait dans ce traité à les gouverner comme État uni. Ainsi le czar de la Russie n'est réellement que roi constitutionnel de la Pologne; ainsi, ils sont dans un droit positif et garanti par les puissances, ces braves Polonais qui, dans leur immortel manifeste, se plaignent: que la nationalité qu'on leur avait promise est une chimère, qu'on se joue chez eux de la liberté individuelle, de l'indépendance des tribunaux et de la sainteté des lois.

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L'orateur se demandait ensuite si, pour s'opposer aux desseins de la Russie, il fallait que la France bravât seule le colosse russe; et à cet égard il se rassurait en énumérant tous les points vulnérables de cet empire: il soutenait qu'un langage ferme et d'habiles négociations pouvaient en ramener le chef dans les voies de la justice et de la modération. Dès lors c'était un devoir pour les ministres français de sauver la Pologne.

Qu'ils songent bien, ajoutait-il, que c'est le vœu unanime de la France; que tous, sous quelque bannière que nous ayons combattu, dans quelque parti politique que nous soyons rángés, nous sentons nos cœurs battre avec force pour cette nation généreuse, qui, du temps des Valois, vint chercher des rois parmi nous, et qui, depuis trois siècles, à toutes les époques, sous tous les climats, a prodigué pour nous le sang de ses enfants. Espérons que cette fois le ciel, que dans. ses vœux elle confond avec la France, démentira le vieux et touchant proverbe qui lui fait dire: Dieu est trop haut, et le Français trop loin. (Deus altius, Francus longius).

Se joignant à M. Mauguin, le général Lamarque demandait,

1o qu'on soumît à la Chambre toutes les négociations relatives à la Belgique; 2° que les ministres fissent connaître les moyens qu'ils comptaient employer pour sauver la Pologne de la destruction qui la menaçait.

A la fin de son discours, le général avait relevé vivement une phrase échappée à M. Dupin, dans la discussion du 15 janvier, par laquelle ce dernier faisait entendre que ce n'était que pour des plumets et des grades que les militaires désiraient la. guerre :

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Ainsi, s'était-il écrié, lorsque quatorze armées se précipitaient vers nos frontières, qu'un million de soldats teignirent de leur sang, c'était pour des plumets, pour des épaulettes! On pouvait du moins les satisfaire à bon marché, car ces plumets étaient de crin et ces épaulettes de laine! »

M. Dupin demanda et obtint la parole pour répondre à cette attaque personnelle. Après avoir expliqué sa pensée et repoussé l'interprétation qu'on voulait donner à ses paroles, il parcourut à son tour les diverses questions, objet du débat. Quant à la Pologne, il pensait que le proverbe cité par le préopinant lui-même était la réfutation de son discours. La Belgique l'occupait davantage; mais il soutenait que, pour toute acquisition de territoire, il fallait le consentement des trois pouvoirs, c'est-à-dire une loi. Comment done faire un reproche au gouvernement d'avoir refusé la réunion de la Belgique, si toutefois la Belgique avait été offerte, car une pareille offre ne pouvait se faire que par les représentants du pays, par une loi du congrès, et le congrès n'avait pas parlé : loin qu'une majorité se fût formée pour la France, elle avait failli se former contre elle.

M. Eusèbe Salverte déclara qu'il trouvait les explications de M. le ministre des affaires étrangères peu satisfaisantes. La plupart de ses reproches tombaient sur la dernière lettre adressée au congrès belge (voy. l'Hist. étrang.). La conduite du ministère lui semblait, en cette circonstance, compromettre le gouvernement. Pourquoi cette déclaration, que le gouvernement n'accepterait pas la réunion de la Belgique à la France?

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