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le monde par d'éclatants succès contre la puissance colossale de la Russie; qui avait offert pendant ses progrès d'innombrables exemples de dévouement et de sacrifice de tous les biens de la vie et de la vie elle-même, pour l'indépendance du pays, et s'était éteinte dans les divisions, la défiance, le désordre, laissant l'esprit incertain si cette admirable nation polonaise peut vivre, après qu'on l'a vu mourir tant de fois, ou si elle peut mourir, après qu'on l'a vu tant de fois ressusciter.

Les premiers moments de la victoire furent consacrés par le gouvernement russe a récompenser les chefs et les soldats de son armée, et à réorganiser l'administration en Pologne, Le feld-maréchal Paskewitsch Erivanski fut élevé à la dignité de prince, avec le titre de Warszawski, et nommé gou verneur-général du royaume de Pologne. Il établit, suivant les intentions de l'empereur, un gouvernement provisoire sous la présidence du conseiller d'État Engel.

Mais c'était en Russie que devaient se décider les questions les plus intéressantes pour le peuple polonais, à savoir, jusqu'où irait le ressentiment du vainqueur, et ce qu'il laisserait à la Pologne de ses droits et de sa constitution. Il semblerait que les Russes eux-mêmes, par jalousie des libertés dont ce pays avait joui, et qui leur avaient été refusées, aient mis des entraves à la générosité dont l'empereur Nicolas penchait à user envers les vaincus. D'ailleurs l'opinion nationale, exprimée par la vieille noblesse et le clergé, s'autorisant des efforts immenses que la Russie avait faits, demandait une satisfaction pour la mort de tant d'hommes immolés dans cette lutte. S'il faut en croire un relevé qui a été donné comme officiel, l'armée russe aurait perdu pendant la campagne, soit sur les champs de bataille, soit dans les lazarets et hôpitaux, 180,000 hommes. La prise de Varsovie figurait seule dans cet état de pertes pour 30,640 hommes. De là le recrutement extraordinaire (4 recrues par 500 individus) qui s'exécuta cette année dans tout l'empire; de là l'obligation

de prendre en considération sérieuse les sentimens de la noblesse appelée à faire de nouveaux sacrifices de ses paysans.

C'est principalement, a-t-on dit, dans le but de sonder et de modérer ces sentiments à l'égard de la Pologne, que l'empereur, accompagné de l'impératrice, fit au mois de novembre un voyage à Moscou, où, comme on le sait, l'ancienne noblesse de Russie a continué de résider. Là fut signée, le 1o. 13 novembre, une amnistie qui, par une triste ressemblance avec tous les actes de ce genre, enveloppait plus d'insurgés dans ses exceptions, qu'elle n'en appelait à profiter de la clémence impériale.

Le cours des réactions s'ouvrit donc pour la malheureuse Pologne. Les séquestres, les confiscations de biens, les arrestations, les dégradations de nobles, les déportations en Sibérie, la condamnèrent bientôt à de nouvelles larmes. Et ce n'était encore là que le commencement du væ victis prononcé à SaintPétersbourg, avant l'ouverture des hostilités; on le verra l'année prochaine s'exercer dans toute sa rigueur, et achever l'œuvre de dépopulation, entamée cette année par la guerre, par l'exil volontaire ou forcé des plus dignes citoyens de la Pologne, et par les ravages du choléra (1).

Ce fléau, qui avait par'u à Moscou à la fin de 1830, s'était apaisé pendant l'hiver, et réveillé au printemps pour se répandre au loin dans l'empire et dans une grande partie de l'Europe. Au mois de mars, il sévissait dans le gouvernement de Minsk, et sur 2,268 personnes attaquées, 1,246 avaient succombé au 1er de juin. Le conta et des armées russes et polonaises facilita ses progrès d'un côté il se dirigea sur Varsovie et Cracovie, pour passer de là en Gallicie, et de l'autre, il descendit la Dwina jusqu'à Riga et ses environs. Il ravagea cette dernière ville depuis le mois de mai jusqu'à la fin de juillet,

(1) La population de Varso vie avait diminué dans le courant de l'année de 15,000 âmes (15,000 homnaes, 10,9 00 femmes), et ne montait plus en octobre qu'à 113,943 habitants.

et, dans cette période de temps, de 5,000 cas de maladie, plus de 2,000 s'étaient terminés par la mort. Revel et d'autres places entre Riga et Saint-Pétersbourg furent pareillement atteintes, jusqu'à ce que, vers la fin de juin, la capitale elle-même fut envahie. Durant les quatre ou cinq premiers jours, le fléau n'excita pas beaucoup d'alarmes; mais bientôt il sévit avec une telle fureur, que, pendant quelque temps, le nombre des malades monta à 500 par jour, dont plus de la moitié succomba. Vers le milieu de juillet sa violence s'affaiblit, et à la fin d'octobre il avait disparu, ayant attaqué environ 10,000 habitants et fait plus de 4,000 victimes, sans compter celles de Cronstadt et d'autres lieux voisins.

A ce mal physique se joignit en Russie, et successivement chez tous les peuples où il se montra, une calamité morale qui produisit des résultats non moins déplorables. C'était toujours parmi les classes pauvres que le choléra enlevait le plus de monde. Il semblait aussi impossible aux médecins de découvrir sa nature que de repousser ses atteintes; de décider s'il était contagieux, transmissible par les personnes ou les choses infectées, que d'affirmer qu'il fût seulement épidémique. Sans attendre la solution de ces questions qui ont continué à faire le désespoir des hommes de l'art, les autorités publiques eurent soin que de vastes hôpitaux fussent ouverts pour recevoir immédiatement les malades. Mais la populace ignorante et aveugle, se voyant exposée à un ennemi mystérieux qui paraissait établir une distincion si odieuse entre le riche et le pauvre, et succombant aux coups d'un mal qui, dans la nature de ses symptômes et dans la rapidité effrayante avec laquelle il aboutissait à la mort, défiait tous les remèdes connus, la populace s'imagina que cette maladie prétendue n'était qu'un immense complot d'empoisonnement et de destruction, exécuté contre les classes les moins aisées de la société.

Cette idée rapidement propagée parmi le peuple, le conduisit à des violences qui ajoutèrent encore à celles de la peste. A

Saint-Pétersbourg, il s'ameuta pour empêcher le transfert des malades dans les hôpitaux, persuadé que des serfs non infectés y avaient été soumis, de la part des médecins, à des expériences mortelles. D'autres bruits absurdes avaient contribué à accroître l'effervescence populaire. Le 2 juillet il y eut des rassemblements considérables sur le grand marché de la ville; on attaqua les charrettes qui emportaient les malades; on maltraita les officiers de police et les surveillants qui leur servaient d'escorte. Le 3, aux approches de la nuit, le tumulte était à son comble: on envahit l'hopital, et les malades furent arrachés de leurs lits pour être ramenés chez eux; deux médecins et un gendarme furent massacrés, et les voitures brisées. On prit des mesures militaires pour disperser la multitude, qui n'avait cessé d'appeler l'empereur, disant qu'il était son juge et son soutien. L'empereur arriva le 4 de Peterhof; il harangua le peuple à plusieurs reprises. Ses paroles firent une impression profonde; la foule se retira à son commandement, et l'ordre fut rétabli.

Mais les bruits d'empoisonnement qui couraient à Saint-Pétersbourg se répandirent dans quelques gouvernements de l'intérieur, et principalement sur la route de cette capitale à Moscou, où ils donnèrent lieu à des révoltes et à des désordres de la nature la plus grave. Des crimes affreux furent commis dans les colonies militaires de Novgorod et dans la ville de Staraja-Russa; on exerça d'effroyables cruautés contre les chefs, qui avaient d'abord essayé de ramener les colons à l'obéissance. Deux généraux, deux cents officiers-de tous grades, des médecins, des femmes, des enfants, périrent dans des supplices inouïs; plusieurs furent pendus à des arbres et hachés ; d'autres, attachés par les bras à des poteaux, eurent les jambes séparées du corps à coups de baguette de fusil.

Dans cette crise fatale, la classe éclairée de la nation russe offrit aussi des exemples de dévouement et d'humanité qu'elle peut opposer à ces scènes de barbarie qui semblent devoir accompagner partout, plus ou moins, l'invasion du choléra.

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CHAPITRE V.

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TURQUIE.-Rappel de l'ambassadeur français à Constantinople.- Révolte de plusieurs provinces. Continuation des réformes. Mécontentement des Turcs. Incendie à Constantinople. — Ravages de la peste et du choléra. — Défaite des insurgés. — Démêlés des pachas d'Égypte et de Syrie. Méhémet-Ali prépare une expédition contre la Syrie. La Porte consent et s'oppose ensuite à cette expédition. égyptienne envahit la Syrie.

L'armée

Quelquefois un homme de génie est parvenu à régénérer un empire et à l'arrêter sur le penchant de sa ruine. Cette épreuve, le sultan Mahmoud a voulu la renouveler sur la Turquie'; il a voulu la tirer de la décrépitude comme Pierre-le-Grand a tiré son peuple de la barbarie, et ce n'a pas été sans une espèce d'admiration que l'Europe a contemplé des efforts inouïs et une énergie rare pour introduire les arts, l'industrie et la civilisation parmi les Turcs. On jugea même de la nation par son chef; on crut qu'il avait déjà réussi à lui inoculer une partie de son courage et de sa force. De là vint qu'au commencement de 1831, lorsque l'insurrection polonaise faisait tête au colosse moscovite, lorsque tout menaçait d'une conflagration générale en Europe, les yeux se portèrent du côté de la Turquie pour voir si elle ne saisirait pas une occasion favorable de venger les affronts de la dernière campagne contre les Russes; si elle pouvait encore peser de quelque poids dans la balance des événements.

Croyant aussi à une rupture prochaine entre les puissances, l'ambassadeur français auprès de la Porte, bien qu'il n'eût pas d'instructions à cet égard, fit envisager au reis-effendi les avantages que la Turquie trouverait à se joindre à la France dans le cas où cette rupture éclaterait. Il recommanda par une note au ministre ottoman d'évaluer ses moyens d'opération et de se tenir prêt à agir en temps opportun. Cette note parvint à la connaissance des puissances étrangères, au milieu Ann. hist. pour 1831.

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