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exclure pour trois ans des fonctions publiques. Deux des membres de ce gouvernement furent mis en jugement, acquittés et rendus à la liberté. Le motif qui décida leur absolution, c'est, a-t-on dit, que la duchesse ayant quitté ses États sans déléguer son pouvoir à une régence, le congrès civique, avait dû nommer des autorités pour assurer le respect des lois c'était là un acte de nécessité, puisque, sans la formation d'un gouvernement provisoire, l'État eût été plongé dans une complète

anarchie.

Cependant il y eut à Bologne quelques démonstrations pour opposer la force à la force. Ici les insurgés étaient armés, plus nombreux, mieux organisés; ils comptaient parmi eux les esprits les plus ardents de l'Italie qui s'étaient rassemblés dans cette ville pour former une convention des députés de la grande fédération italienne projetée. Ils avaient quelques troupes à Ravenne et des détachements plus avancés vers le Pô. A l'approche de l'armée autrichienne, ils se retirèrent. Le gouvernement papal fut rétabli à Ferrare sans opposition. Les Autrichiens se remirent en marche sans rencontrer un seul ennemi; ils entrèrent à Bologne le 21 mars. Les députés s'étaient dispersés; ceux qui avaient des armes et ne les abandonnèrent pas, se dirigèrent sur la Romagne. Les Autrichiens les suivirent, et toutes les villes qui se trouyèrent sur leur route se rendirent l'une après l'autre. Toutefois il y eut à Rimini et à la Catholica des tentatives plus sérieuses de résistance, qui prouvèrent que les Italiens savaient aussi combattre, et payer la dette du sang à des convictions généreuses (1). Ils furent écrasés par des forces supérieures, et de toutes leurs conquêtes, Apcône leur resta bientôt seule.

Ainsi acculés dans un coin de l'Italie sans espoir d'échapper, environnés qu'ils furent bientôt de tous côtés par l'armée autrichienne, ils essayèrent de traiter avec le cardinal Benve

(1) Suivant les bulletins autrichiens, les Italiens laissèrent une foule de morts sur le champ de bataille et emmenèrent seize chariots de blessés,

nuto qui avait été enlevé de sa résidence à Osimo, au commencement de la révolte, et détenu comme otage à Ancône. En même temps ils publièrent un manifeste où perçait l'amertume qu'ils ressentaient de la conduite du gouvernement français.

« Un principe, disaient-ils, proclamé par une grande nation qui avait solennellement promis de ne pas permettre qu'il fût violé par aucune puissance européenne, et la déclaration de garantie donnée par un ministre de cette nation, nous ont déterminés à seconder le mouvement du peuple dans ces provinces. Nous fimes tous nos efforts pour remplir la tâche difficile de maintenir l'ordre au milieu de l'agitation d'une insurrection, et nous éprouvâmes un plaisir bien doux pour nos cœurs, en voyant la révolution s'accomplir avec toute la tranquillité d'un gouvernement constitutionnel et sans répandre une seule goutte de sang.

Mais la violation de ce principe, consentie par la nation qui l'avait promulgué et garanti ; l'impossibilité de résister à une grande puissance, qui avait déjà occupé une partie de nos provinces avec ses troupes, et notre désir d'empêcher le désordre et une inutile effusion de sang, sont les motifs qui nous ont décidés, dans la vue du salut public, loi suprême de tout état, à traiter avec S. E. le très révérend cardinal Gian Antonio Benvenuto, légat à latere de S. S. Grégoire XVI, et à remettre entre ses mains le gouvernement de ces provinces; ce qui a été accepté aux conditions suivantes. »

Ces conditions étaient qu'aucun insurgé ne serait molesté dans sa personne ou dans ses propriétés pour są conduite antérieure; que ceux qui voudraient quitter les États du pape. auraient des passe-ports, s'ils les demandaient dans les quinze jours; que ceux qui étaient employés par le gouvernement avant la révolution ne seraient point lésés dans leurs droits pour s'être réunis aux insurgés, que tous les étrangers qui étaient entrés dans leurs rangs auraient la liberté de partir sans être inquiétés.

Le cardinal Benvenuto mit son nom au bas de ces cónditions, et l'insurrection qui vingt-quatre heures plus tard eût accompli son destin d'une manière ou d'une autre, fut entièrement terminée dès ce moment. Le 29 mars, les troupes impériales occupèrent Ancône après que les principaux chefs de l'insurrection, au nombre de 98, se furent embarqués à bord d'un bâtiment de commerce: capturé au mépris de tous les

droits par une corvette autrichienne, il fut conduit à Venise où les réfugiés furent plongés dans les cachots.

Le pape refusa de ratifier la convention d'Ancône, alléguant qu'elle avait été extorquée au cardinal Benvenuto par coercition, lorsqu'il était au pouvoir des rebelles. Un nombre considérable d'entre eux furent arrêtés, et des commissions nommées pour les juger. Elles devaient se borner à procéder contre les personnes accusées d'avoir signé l'acte par lequel le gouvernement provisoire de Bologne avait osé déclarer abolie la puissance temporelle des souverains pontifes, d'avoir violé leur serment militaire en s'enrôlant dans les gardes civiques, d'avoir publié des écrits irréligieux et séditieux, spécialement dans les journaux des provinces révoltées. S. S., par un effet de sa clémence, accordait à tous ses sujets non compris dans les catégories ci-dessus une entiere amnistie, dans l'espoir que repentants de leurs fautes, ils les répareraient par leur attachement au saint-siége. Heureusement ceux des libéraux que cette amnistie menaçait le plus s'étaient exilés; aucune condamnation capitale ne fut donc exécutée, et quoique les édits relatifs aux insurgés respirassent encore beaucoup trop l'ancien despotisme sacerdotal, on peut dire que la conduite de la cour de Rome offrit un modèle d'indulgence et de modération en comparaison des cruautés commises dans le duché de Modène. Le gouvernement français s'intéressa d'ailleurs aux insurgés et stipula, en raison même de ce qu'il n'avait pas troublé les opérations militaires des Autrichiens, que S. S. opèrerait dans ses États quelques réformes administratives et judiciaires, car il y avait peu de pays qui fussent plus mal gouvernés.

La tranquillité étant maintenant rétablie, la France insista en outre pour la retraite des troupes autrichiennes. Mais elles ne quittèrent entièrement le territoire papal que le 17 juillet, après la publication d'une circulaire des divers ambassadeurs présents à Rome aux agents consulaires de leurs nations respectives, comme un gage authentique du vif intérêt que leurs

cours prenaient au maintien de l'ordre public dans l'État podtifical et à la conservation de la souveraineté temporelle du saint-siége,

Quant aux réformes dont ce gouvernement avait tant besoin, le pape avait déjà rendu le 5 juillet un édit qui divisait les États romains en délégations, et celles-ci en communes, dáns chacune desquelles il y aurait un conseil municipal, dont les membres seraient choisis pour les deux tiers parmi les propriétaires, y compris les ecclésiastiques, et pour l'autre tiers par les marchands, les professeurs et les citoyens adonnés aux professions libérales : ces membres devaient être renouvelés tous les deux ans. Chaque délégation serait gouvernéé par un délégat qui aurait tous les actes d'administration dans son ressort. Les conseils communaux recevraient annuellement les évaluations des recettes et des dépenses de l'année suivanté, et pendant un temps déterminé avant que le budget de l'année précédente fùt soumis à l'examen des conseils, tous les citoyens pourraient s'enquérir de la manière dont les affaires publiques avaient été réglées. Les conseils examineraient ensuite les comptes et les transmettraient au délégat. Chaque année un conseil provincial s'assemblerait dans chaque délégation. Il serait composé de conseillers dans la proportion de 1 par 20,000 habitants, présenté par les députés communaux et approuvé par le pape. Les conseils provinciaux seraient renouvelés tous les deux ans; mais le gouvernement pourrait les dissoudre, en ordonnant de nouvelles élections, et les eonvoquer extraordinairement.

L'ordre judiciaire dans les États pontificaux était révoltant d'absurdité, de confusion, d'obscurité et d'arbitraire. Des juridictions sans fin, des jugements non motivés, absence de plaidoirie orale et de débats publics; des frais énormes, d'interminables délais; une procédure libellée en latin barbare comme au moyen àge; des évocations qui rouvraient incessamment la lice des procès, et dans lesquelles la faveur décidait pour la plupart du temps du bon droit, voilà les défauts

les plus saillants dans l'administration de la justice romaine. Ils furent en partie corrigés par deux édits, l'un du 5 octobre sur la justice civile et l'autre du 8 novembre sur la justice criminelle. Entre autres modifications notables, le premier supprimait diverses juridictions exceptionnelles et réformait les tribunaux maintenus. Il conservait trois degrés de juridiction; mais il n'y avait plus lieu à appel après deux jugements conformes. A l'avenir les juges ne pourraient plus prononcer qu'après avoir entendu les plaidoiries; ils devraient motiver leurs sentences et les rédiger en langue vulgaire : cette dernière amélioration atteignait aussi les actes de la procédure. Les frais étaient diminués; le pape renonçait au droit exorbitant d'évoquer les causes à Rome; dorénavant les laïques séraient admissibles aux fonctions judiciaires.

Enfin deux tribunaux d'appel étaient établis, l'un à Bologne pour les quatre légations, et l'autre à Macerata pour les Marches, en sorte que les habitants de ces provinces ne seraient plus obligés de porter à Rome l'appel de leurs procès.

Ces divers édits présentaient, il faut le dire, des parties très-louables; mais ils ne rallièrent presque personne au gouvernement papal. On n'en vit que les dispositions défectueuses ou incomplètes; on reprochait aux conseils provinciaux de n'être pas élus directement par le peuple, de n'avoir ni le droit de proposition, ni la liberté de discussion. La publicité des débats eu matière judiciaire manquait aux édits du 5 octobre et du 8 novembre, dans lesquels certaines restrictions réservaient à la cour de Rome le droit de rétablir les tribunaux exceptionnels, ce qui rendait toute réforme illusoire. D'ailleurs, le code romain n'en restait pas moins un ama's confus de lois et d'ordonnances qui diffèrent pour chaque province. Et puis, qui garantissait que ces améliorations effectuées par un motu proprio, ne seraient pas retirées par un autre motiť proprio?

Tout cela fit que ces concessions venant d'un gouvernement réprouvé par l'opinion publique, ne calmèrent nullement

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