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flétrissure à lui imposer, parce que, disait-il, l'article tend évidemment à intimider les membres de l'opposition, à les empêcher de faire leur devoir, à leur ravir la confiance de leurs concitoyens.

Dans le même sens parlèrent M. Perceval, et surtout sir Ch. Wetherell et M. Wynn. Tous deux se récrièrent avec amertume contre le despotisme de la presse, qui ne tolérait pas l'expression d'une opinion contraire, qui, sous prétexte de défendre la liberté, allait jusqu'à priver ses adversaires de toute libre manifestation de leurs sentiments.

Sir Francis Burdett retrouva sa vieille éloquence en faveur de la presse, si vivement attaquée par ceux qui voulaient chatier le journal populaire. Ensuite le chancelier de l'échiquier demanda la question préalable, parce que, dans l'état d'anxiété et d'irritation où se trouvait le public, une procédure contre le Times, qui nécessiterait l'examen d'une longue série d'articles, ne pourrait qu'accoître la fermentation des esprits.

Sir Robert Peel pensait aussi que cet examen serait indispensable si l'on persistait dans la motion. Quelques autres membres prirent successivement la parole au milieu d'une confusion dont la Chambre n'avait pas encore offert d'exemple. Deux fois on fit sortir le public pour procéder à la division, et cependant la Chambre passa, sans avoir voté, à la discussion du bill de réforme.

Alors sir R. Vyvyan se leva pour proposer l'ajournement de la seconde lecture à six mois: c'était, en d'autres termes, le rejet du bill. Une seule idée, la marche toujours envahissante de la révolution française, qui, selon l'orateur, avait sa cause première dans les concessions de Louis XVI, dominait tout son discours, dont la forme ne manquait pas d'habileté. Mais il fut victorieusement réfuté par M. Sheil, l'un des plus éloquents agitateurs de l'Irlande. Élu par un bourg pourri, M. Sheil n'hésita pas à se prononcer contre l'institution à laquelle il devait sa place dans le parlement. Il était, au reste, difficile de l'attaquer avec plus d'esprit et de verve.

Vingt causes différentes avaient été assignées à l'excitation du peuple. Mais qu'importe? Son mécontentement est-il fondé? demandait M. Sheil : voilà la principale question, la seule, pour ainsi dire, à résoudre.

Un seul fait, ajoutait-il, suffit pour justifier cette répudiation nationale de la Chambre des communes: c'est que la majorité de cette Chambre n'est pas nommée par le peuple, mais par cent cinquante individus privilégiés! Quatre ou cinq grands propriétaires de bourgs soumettent, par le fait, le ministère à leur contrôle, imposent leur volonté au monarque et dominent le peuple. Un tel système est une grande calamité en lui-même, calamité qui s'accroît encore des manœuvres basses et sordides dont il est accompagné. Les siéges dans le parlement sont l'objet d'un trafic honteux; il y a un marché presque public, un entrepôt commun, un bazar parlementaire pour la vente des franchises du peuple. Un courtier parlementaire est une phrase consacrée par l'usage. Bien plus, les bourgs pourris entrent dans les arrangements matrimoniaux, et servent de dots ou de douaires aux jeunes filles. On sait qu'une sultane, à l'époque de son mariage, reçoit telle province pour ses dentelles, telle autre pour ses bracelets, telle autre pour sa ceinture: eh bien! sous le système qui consacre la propriété des siéges au parlement, il ne serait pas étonnant qu'une lady comme il faut reçût Old-Sarum pour pourvoir à ses menus plaisirs, et Gatton pour son douaire. Le peuple a pensé que c'était une complète moquerie que d'appeler cela une représentation nationale; et au lieu de voir dans les membres du parlement des miroirs de l'esprit public, il ne voit en eux que des glaces de poche, où se reflète fidèlement l'image de quelques grands électeurs privilégiés! Or, c'est là ce qui affecte profondément les intérêts moraux et politiques du pays. La vente notoire des bourgs a engendré une habitude générale de vénalité. En voyant les lords transmuter leur influence électorale en argent, avec quelle facilité l'humble électeur n'a-t-il pas été conduit à convertir son misérable suffrage de la même manière! Et de quel droit condamnerions-nous la corruption dans celui-ci, quand nous lui donnons protection et appui dans celui-là ? L'infamie de la prostitution est-elle palliée par la grandeur de son salaire? L'énormité du délit est-elle en raison inverse de sa récompense ?

Sans doute les avocats du système des bourgs ont produit ici un brillant catalogue d'hommes de génie que, suivant eux, ce système a mis en lumière. Remarquons cependant sur quel vaste espace ces hommes fameux sont dispersés, sur quel firmament triste et obscur ils ont brillé comme des astres splendides. N'est-ce pas en outre une chose digne de sérieuse considération, que ces personnages illustres, qui ont eu pour herceau les bourgs pourris, et qui ont conservé toute la solidité de leur raison politique, quoique nourris par la corruption, aient tous été opposes a ce même système auquel on fait un honneur de leur avoir donné l'existence parlementaire? Qu'a-t-on dit de Chatam, de Pitt, de Fox, de Sheridan, de Grattan? Jugeons cette cause, non par les votes des vivants, mais par les votes des morts: entrez dans le sanctuaire sacré (1) non loin duquel cette Chambre délibère; comptez les tombeaux des hommes célè

(1) Westminster.

et de la nation, il emploierait tous les moyens, même la dissolution de la Chambre des communes, pour faire adopter le bill; en un mot, qu'il se maintiendrait ou tomberait avec lui. Lord Grey, et l'on peut voir dans ce passage une expression abrégée des opinions politiques de ce ministre, désormais appelé à une grande célébrité historique, ajouta ensuite :

«Lord Londonderry a dit qu'il suppose que j'ai de trop grands égards pour mon ordre pour désirer le succès d'une mesure révolutionnaire. Dans un temps, on m'a fait presque un crime de ces égards. J'ai défendu et je défendrai toujours cet ordre, parce que je regarde son existence comme indispensable au maintien de la constitution. Je suis, par position, et plus encore par caractère et par habitude, membre de l'aristocratie. Cette aristocratie, je le répète, est un ordre nécessaire dans l'Etat, un lien nécessaire entre la couronne et le peuple, un élément de bonheur nécessaire à la société entière. Dès que l'aristocratie ne sera plus ce qu'elle est aujourd'hui, je cesserai de faire partie de l'aristocratie; mais tant qu'elle continuera à jouer ce beau rôle, tant que ses droits et ses priviléges seront les garants des droits et des priviléges de tous, je suis prêt à combattre pour elle ou à mourir avec elle. C'est pour défendre, pour maintenir cet ordre, que, par la mesure de la réforme, je lui ai enlevé un pouvoir qui le rend odieux au peuple, que je lui ai rendu les moyens de vivre en bonne intelligence avec lui, et de s'acquitter, à la satisfaction générale, de ses nobles fouctions, digne prix de ses priviléges. Aujourd'hui je ne dirai rien de plus; mais il m'était impossible de passer sous silence les imputations que lord Londonderry avait avancées contre les ministres de S. M. Lorsque la discussion régulière de la réforme viendra devant la Chambre des pairs, je prouverai que c'est une mesure exigée par les circonstances et par la nation, et qu'elle peut être adoptée avec sécurité et avantage pour toutes les classes de la société dans la Grande-Bretagne.»>

Ainsi il n'y avait nul espoir de compromis entre les deux partis; le dissentiment qui les empêchait de se rapprocher létait profond, ineffaçable: la première séance de la Chambre des communes en comité sur le bill, séance qui n'eut pas lieu avant le 18 avril, à cause des fêtes de Pâques, devait dégager ce dissentiment du voile à demi transparent dont la politique des uns et la timidité des autres avaient cherché à l'envelopperdine o

Le ministère avait déclaré que, quant à la réduction du nom-bre des membres de la Chambre, il pourrait renoncer à son projet sur ce point, s'il pensait que telle fût décidément l'opinion de la majorité, en ajoutant toutefois, par l'organe de lord Althorp, que, dans ce cas, les soixante-deux nominations

maintenues n'en seraient pas moins enlevées aux bourgs pourris pour être transférées dans les villes populeuses et dans les comtés. Mais ce n'était pas ainsi que l'entendait l'oposition, Aussi le ministère repoussa-t-il à l'instant, et de la manière la plus formelle, comme destructif du bill, un amendement présenté par le général Gascoyne, pour conserver à l'Angleterre et au pays de Galles le nombre de représentants qu'ils avaient toujours eus jusqu'alors. «Qu'on ajoute à la représentation de l'Écosse et de l'Irlande, disait le général Gascoyne; mais que ce ne soit pas aux dépens de l'Angleterre; car ni par le montant des taxes qu'ils paient, ni par le chiffre de leur population, ces deux pays n'ont droit à une pareille faveur (1). »

Appuyé vivement par M. Sadler, qui recommença à attaquer tous les principes du bill, cet amendement fut combattu par le chancelier de l'échiquier : il le regardait comme ouvrant la série de toutes les motions qu'on se proposait de faire pour embarrasser la discussion du bill en comité, et n'ayant d'ailleurs aucun motif raisonnable, puisque les représentants d'Angleterre seraient encore, d'après le bill, cinq fois aussi nombreux que ceux de l'Irlande.

Cependant beaucoup de membres ne voyaient pas comment

(1) Voici la population totale de la Grande-Bretagne pour les trois royaumes et les îles adjacentes, telle qu'elle a été reconnue par le recensement décennal de 1831:

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Total général..

Ce recensement, comparé à celui de 1821, montre qu'en dix ans la population s'est accrue de quatorze pour cent, malgré les émigrations continuelles qui ont eu lieu.

l'amendement détruirait le bill par sa base: ils rappelaient que les ministres cux-mêmes avaient annoncé leur intention de céder sur la question de la réduction du nombre des représentants de l'Angleterre. Sir Robert Wilson, dont l'opinion en cette circonstance fit une grande sensation, et lui enleva tout à la fois la confiance des électeurs de Southwark, qui lui retirèrent son mandat, et sa vieille réputation de libéral, manifesta son extrême étonnement du point de vue sous lequel le ministère envisageait la motion du général Gascoyne. Dès le premier moment, l'orateur avait été opposé à cette partie de la mesure qui diminuait le nombre dès membres de la Chambre, parce qu'il avait pensé qu'il valait mieux l'augmenter en raison des progrès de la nation sous le rapport des richesses et des lumières, et qu'une conduite contraire était en contradiction avec le but de la réforme.

Néanmoins M. Stanley, après avoir combattu la motion avec une grande énergie, déclara nettement que cette discussion déciderait du destin du bill. Il dénonça la motion comme le résultat d'un complot tramé insidieusement par les ennemis de la réforme. «J'avertis, dit-il, ceux des honorables membres qui se prétendent amis de la réforme, et qui appuient l'amendement, que leur vote sera jugé par leurs mandataires et par le pays; que dans cette occasion ils vont voter pour ou contre la réforme. »> » — «Les ministres, ajouta sir James Graham, auront sujet de considérer sérieusement si l'adoption de l'amendement n'indique pas une telle hostilité contre le bill, qu'ils doivent renoncer à en continuer la discussion; car comment mettre à exécution l'un des grands principes du bill, celui du désaffranchissement des bourgs pourris, si le nombre des représentants de l'Angleterre n'est pas réduit? »

19 avril. Étant ainsi bien avertie, la Chambre passa à la division. Les membres qui avaient concouru à former la majorité pour la seconde lecture, en se réservant de modifier le bill lors de la discussion en comité, discussion qui équivaut à celle des articles dans les Chambres françaises, ces membres se

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