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tout uniment mouchards. Or, parmi ces mouchards, il y en avait d'assez adroits pour exploiter à leur profit les colères enfantines des mécontens et les terreurs paniques des augustes pen tarques (1). Ils disaient aux uns : menacez, on vous achetera! Ils répétaient aux autres: frappez, l'on se taira ! Et comme le Directoire ne sut jamais agir qu'à demi, ceux qu'il avait à demi frappés revenaient sur le coup, et, semblables au sanglier blessé, se retournaient contre le chasseur.

Cette lutte une fois engagée entre les conspirateurs et ceux contre qui l'on conspirait, il sembla en résulter une sorte d'opinion publique dont le Directoire, tout sourd qu'il était, entendit la voix. Cette voix demandait ou un changement de gouvernement, ou un changement de gouvernans, ou un changement de doctrine dans le gouvernement, et de conduite dans les gouvernans. A laquelle de ces quatre hypothèses pensez-vous que le Directoire dût donner la préférence? Les deux dernières eussent semblé faciles à des hommes raisonnables, la seconde eût honoré de zélés citoyens; mais

(1) Gouvernant pour un cinquième : le gouvernement de 1795, composé de cinq directeurs égaux en rang et en autorité, était une Pentarchie.

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la quatrième, qui ne pouvait se réaliser qu'en ébranlant, peut-être même qu'en renversant l'Etat, convenait parfaitement à ces cerveaux étroits et extrêmes, qui ne caressent qu'une idée et la caressent avec une tendresse d'autant plus tenace, qu'elle est plus exagérée. C'est ici que s'ouvre un spectacle où la médiocrité la plus vulgaire parodie le sublime le plus élevé. Il s'agit de donner à la France de nouvelles formes constitutives, et conséquemment à l'Europe de nouveaux destins ; et cinq bourgeois, qui se croyent supérieurs à Cromwell, parce qu'ils ne sont pas des usurpateurs, vont décider cette grande question entre la poire et le fromage.

Ici, quelle que soit mon obligeance envers mes lecteurs, je suis pourtant forcé de lui préférer celle que je me dois à moi-même. J'ai bien sous les yeux les discours qui furent prononcés alors, et qu'un honorable commensal de B..... confia sans difficulté, parce que ce commensal y attacha un peu moins d'importance qu'à des sabbats jacobites ou qu'à une conférence des Quarante sur l'éternel dictionnaire; mais nous vivons dans un temps où les mots épouvantent plus que les choses; où, sous les noms de Rewbell, de C.-b-s, de Fouché, etc., certains personnages, qui certes ne les valent l'amour - propre de se reconnaître, et où, en

pas,

auraient

vertu de la Loi-de-Serre (1), un jeune avocatgénéral traîne à la barre de la Cour le plus vieux des patriotes, et lui prouve, par un réquisitoire de trente rôles, qu'écrire c'est insulter, que se promener c'est être séditieux, que se réunir au nombre de trois sur une terrasse pour y humer l'air, ou dans un estaminet pour y fumer un cigarre, c'est organiser une conspiration.

Un bon averti en vaut deux. En conséquence, on se contentera de donner ici l'extrait de ce qui fut dit durant trois séances, où, avant le dîner, et non après(2), on agita les grandes questions que nous venons de préciser.

La première conférence eut lieu chez Rewbell. On y comptait Cambacérès, Merlin, Réveillère, et un certain nombre de personnages fameux de ce temps-là. L'entretien qui, jusqu'à ce que la réunion fût formée, avait erré sur plusieurs points vagues, se fixa bientôt sur l'objet principal. En dépit de l'amour-propre des gouvernans et des ministres, il fut reconnu que les affaires allant mal, quelle qu'en soit la cause, il

(1) Expression du général Foy, qui qualifie du nom de son auteur la loi du 17 mai.

(2) N'y aurait-il pas une petite contradiction entre ces mots avant-dîner, et ceux qui terminent le paragraphe précédent, entre la poire et le fromage?

fallait en changer la marche ou ceux qui la dirigeaient. On alla même jusqu'à proposer une métamorphose complète dans les formes ; car, disait-on, en matière politique, les formes sont tout, et quand vous en aurez reçu de nouvelles, vous aurez aussi reçu une nouvelle vie.

Résumons les différens avis qui furent ouverts dans cette première assemblée, et qui, discutés pendant les deux suivantes, n'amenèrent pour tant aucun résultat.

Le premier qui parla, et que je ne nommerai pas, mais qu'on n'aura pas de peine à deviner sur l'enseigne de ses opinions, le premier prétendit qu'au point où en étaient les choses, et grâces à la rapidité avec laquelle marchaient le siècle et l'opinion, il y avait trop peu d'élément démocratique dans la composition du gouverne ment français. Selon l'opinant, il n'y avait alors que deux affections dans le cœur du peuple, ou plutôt il n'y en avait qu'une, l'amour passionné de la liberté politique, lequel se manifeste, quant aux effets extérieurs, par le besoin de l'égalité, et quant aux rapports de la nation avec l'étranger, par le besoin de l'indépendance. Mais chez une nation abâtardie par un esprit monarchique de quatorze siècles, gâtée par des goûts factices et un luxe toujours croissant, l'égalité républicaine ne saurait s'établir au-dedans, et

l'indépendance se conquérir sur les attaques de l'extérieur, sans une mesure qui paraît d'abord terrible et même cruelle, mais qui, à l'époque où quelques années de luttes entre les partis ont amené les choses, n'offrirait que des faci lités et même une véritable philantropie. Cela semblera un paradoxe dérisoire, lorsqu'on saura que cette mesure consiste à réduire à la nullité civile et politique les classes opposées à la révolution et vaincues par elle. Qu'une confiscation générale envahisse l'exubérance de leurs propriétés ; que des transactions, dont les clauses soient abaissées au niveau des plus petites fortunes, facilitént la division excessive de ces propriétés, véritable appui de l'aristocratie qui vous inquiète, qu'en résultera-t-il? que de ces grands propriétaires dépouillés, les plus industrieux, comme les plus raisonnables, descendront dans les classes laborieuses; les plus remuans, surveillés et comprimés, s'échapperont peut-être à l'étranger, et qu'en moins de vingt ans les racines de la féodalité, enfin extirpées, permettront aux mains républicaines de niveler le sol et d'élever sur ce terrain nettoyé l'édifice de la liberté. Toutefois cet édifice n'aurait aucune solidité sans la précaution qui doit en accompagner Pérection. Avoir réduit à l'ilotisme politique les › eastes dominatrices ne serait rien, si l'on per

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