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doucereux et adroit; l'autre, complaisant et imbécille. Ce sont ces trois hommes qui, sous prétexte qu'ils sont les plus utiles, se sont faits nost maîtres, et, sous prétexte aussi que l'intérêt général demande nos travaux, nous ont rendus esclaves. Ce n'est pas à ce titre néanmoins qu'ils nous font défricher une terre aride, dont ils se sont réservé les cantons les plus productifs. Ils appellent leur établissement la Famille, et le chef est qualifié de Père. Mais dans ce gouvernement paternel on meurt de faim, on travaille quatorze heures par jour et l'on est roué de coups. Je commence à croire que nous avons mal fait de jeter notre capitaine aux requins, et de pendre notre pilote au grand mât... »

Sur cette dernière phrase, l'équipage de la Jeune Caroline, qui, durant la lecture de la lettre, avait gardé un morne silence, le rompit par de bruyans éclats de rire. Beaugenty luimême sourit et en parut plus laid. La société foute entière rompit les rangs et se sépara. On demanda le lendemain à M. Fouché ce qu'il avait fait pour prévenir cette grêle de dénonciations dont la marine était menacée, et le jeune homme répondit modestement: je leur ai lu la Gazette.

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IV. M. FOUCHÉ ÉLU REPRÉSENTANT DU PEUPLE A LA CONVENTION NATIONALE.

A l'époque où M. Fouché fut nommé, il n'y avait ni partis qui se calomniassent mutuellement pour s'emparer des votes, ni ministres qui les achetassent par des places, des pensions, des promesses et des dîners. Un patriotisme fiévreux brûlait la nation, indignée des résistances que rencontraient ses volontés ; et ce sentiment, noble dans son principe, juste dans son objet, mais terrible, mais dangereux, mais blâmable même dans ses excès, ce sentiment réunissait alors toutes les opinions. Ce fut pour les éclairer que l'on fit circuler, dans l'assemblée primaire, la notice suivante, que des Nantais ont pu conserver, et qu'auraient consultée avec profit les biographes qui, depuis, ont tenu Fouché sous le scalpel de la dissection.

« Les circonstances qui ont amené la convocation d'une Convention Nationale sont sans exemple, comme cette assemblée sera sans modèle. Ce n'est donc que dans eux-mêmes que ceux qui la doivent composer, ont à prendre leurs exemples et à puiser leurs ressources. Toutes, au surplus, sont dans cette maxime: Qu'ils n'oublient pas qu'il s'agit du destin de la

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France, et par là, de la civilisation de l'Europe. L'uue et l'autre sont dans leurs mains.

En partant de cette donnée, bien générale, mais suffisante pour indiquer la route, il est aisé de tracer le portrait de ces hommes auxquels leur position communique tant d'importance, mais qui la perdraient bientôt, s'ils ne la soutenaient par celle de leur caractère

Et par caractère, on entend moins ici la transcendance du génie que la sûreté du jugement; moins des taleus qui éblouissent, que des mœurs qui rassurent; moins des opinions qui flattent les partis, que des principes qui tranquillisent la nation. Les crises de destruction sont passées, au moins elles paraissent l'être; il s'agit aujourd'hui de déblayer, de halayer le terrain, et sur ce terrain nettoyé et préparé, d'élever un nouvel édifice. Arrière le génie des démolitions! celui de la Convention doit être essentiellement répara

teur.

» Ce sont donc des architectes en politique que vous devez y appeler, ô vous à qui la confiance du peuple a remis l'urne électorale! ce sont des architectes en constitution, et non des ouvriers révolutionnaires. La tâche de ces derniers fut de renverser et de préparer d'autres voies; tâche douloureuse, mais nécessaire, et que l'opiniâtreté des résistances ensanglanta trop

souvent. La mission de ceux qui leur succèdent est plus douce, plus noble, moins pénible, et promet à ceux qui la rempliront dignement les bénédictions des générations présentes et l'éternelle reconnaissance de la postérité. C'est celle qu'ont méritée, de leur vivant même, les Sésostris, les Romulus, les Clovis, les Charlemagne, les Henri IV. Tous furent rois, c'est un tort passager; mais tous furent fondateurs, c'est une gloire historique.

» Mais à quels signes reconnaîtrez-vous ces bienfaiteurs du genre humain? à leurs moeurs. C'est dans l'intérieur de sa vie domestique que l'on peut pressentir l'homme public, et il est difficile que le père éclairé, l'époux fidèle, l'ami vrai, le négociant probe, le magistrat incorruptible, le soldat courageux, ne soit pas aussi le bon et quelquefois le grand citoyen. Aimer et servir sa patrie, c'est en effet pratiquer toutes les vertus.

» On ajoutera, non comme qualité indispensable, mais comme accessoire utile, que sans la vigueur de l'âge et de la santé, les attributs même de l'esprit le plus distingué se réduisent le plus souvent aux intentions. Pour terminer une révolution, pour créer les institutions qui justifient ses excès, ou du moins qui les fassent pardonner, il faut savoir parler et surtout pouvoir agir.

>> De ces traits généraux dont on vient d'esquisser le portrait du député à la Convention. nationale, si vous descendez à des applications privées, vos délibérations ne seront pas longtemps balancées, et vos choix seront aussi prompts que sûrs. Ils se porteront sur ce manufacturier estimable qui, par les prodiges de son ingénieuse industrie, concourt à enrichir la patrie et à humilier l'Angleterre, son implacable rivale; ils se fixeront, ces choix d'où dépend peut-être le sort du monde, sur ce magistrat auquel le dédale des lois anciennes, bien connu, apprend chaque jour que les lois nouvelles doivent être fortes en principes, simples dans leur marche, claires dans leur rédaction, imposantes et faciles lorsqu'on les applique. Vous n'oublierez pas cet orateur, brûlant de patriotisme, et chez lequel le rare talent de l'éloquence n'est que l'expression des vertus; mais vous vous rappelerez que derrière ces grands organes des sentimens publics, il faut placer ceux dont la pénétration les explore, dont la sensibilité les éprouve, et qui, par un abandon tout philantropique, font de ces sentimens leurs affections propres, et s'expriment et agissent comme agirait, comme s'exprimerait la patrie. Voilà singulièrement les représentans de la nation, ou plutôt c'est la nation elle-même personnifiée.

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