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campagnes, eut recours à Carnot et à d'autres républicains qu'il n'aimait point et dont il n'avait jamais été estimé : il le fit gouverneur de Trieste, à l'instant même où toute l'Allemagne s'étant insurgée contre lui, Trieste allait lui échapper.

XXVIII. QUELQUES LETTRES IMPORTANTES. (1)

1o. A l'Empereur Napoléon.

(Rome, 27 décembre 1813. )

J'ai pris congé du roi de Naples; je ne dois dissimuler à V. M. aucune des causes qui ont arrêté l'activité naturelle de ce prince.

1°. C'est l'incertitude où vous l'avez laissé sur le commandement des armées de l'Italie. Le roi, dans ces deux dernières campagnes, vous adonné tant de preuves de son dévoûment et de ses qualités militaires, qu'il s'attendait à recevoir de Vous cette marque de confiance. Il se sent humilié à-la-fois et de vos soupçons et de l'idée de se trouver placé sur la même ligne que vos géné raux. En en faisant un roi, vous lui en avez donné les sentimens ; et par respect pour l'ouvrier il doit de la déférencé à l'ouvrage.

(1) Kétablies selon le texte original.

2o. On dit sans cesse au roi, si pour conserver l'Italie à l'empereur, vous dégarnissez votre royaume de troupes, les Anglais vont y opérer des débarquemens et y exciter des séditions d'autant plus dangereuses, que les Napolitains se plaignent hautement de l'influence de la France dans quel état, ajoute-t-on, se trouve cet empire? sans armée, découragé par une campagne que ses ennemis ne regardent pas comme le terme de ses maux, puisque le Rhin n'est plus une barrière, et que l'empereur, loin de pouvoir garantir l'Italie, a peine à s'opposer à l'envahissement de ses frontières d'Allemagne de Suisse et d'Espagne. Songez à vous, lui écrit-on de Paris, ne comptez que sur vous-même. L'empereur ne peut plus rien même pour la France; comment garantirait-il vos états? Si dans le temps de sa toute-puissance il eut la pensée de réunir Naples à l'empire, quel sacrifice serait-il porté à faire pour vous? il vous sacrifierait aujourd'hui à une place forte.

3o. D'un autre côté, vos ennemis opposent au tableau de la situation de la France celui des avantages immenses que présente au roi son accession à la coalition: ce prince consolide son trône, agrandit ses états; au lieu de faire à l'empereur le sacrifice inutile de sa gloire et de sa couronne, il va répandre sur l'un et l'autre l'éclat

le plus brillant, en se proclamant le défenseur de l'Italie, le garant de son indépendance. Se déclare-t-il pour Votre Majesté, son armée l'abandonne, son peuple se soulève. Sépare-t-il sa cause de celle de la France, l'Italie toute entière accourt sous ses drapeaux. Tel est le langage que parlent au roi des hommes qui tiennent de près à votre gouvernement. Peut-être ne fait-on en cela s'abuser sur les que de servir Votre Majesté. La paix est nécessaire à tout le monde : déterminer le roi à se mettre à la tête de l'Italie est à leurs yeux le plus sûr moyen de vous forcer à faire la paix.

moyens

Je suis arrivé à Rome le 18. Ici comme dans toute l'Italie le mot d'indépendance a acquis une vertu magique. Sous cette bannière se rangent sans doute des intérêts divers; mais tous les pays veulent un gouvernement local, chacun se plaint d'être obligé d'aller à Paris pour des réclamations de la moindre importance. Le gouvernement de la France, à une distance aussi considérable de la capitale, ne leur présente que des charges pesantes, sans aucune compensation. Conscriptions, impôts, vexations, privations, sacrifices, voilà, se disent les Romains, ce que -nous connaissons du gouvernement de la France. Ajoutons que nous n'avons aucune espèce de commerce, ni intérieur, ni extérieur; que nos

produits sont sans débouché, et que le peti qui nous vient du dehors, nous le payons un prix

excessif.

Sire, lorsque Votre Majesté était au plus haut degré de la gloire et de la puissance, j'avais le courage de lui dire la vérité, parce que c'était la seule chose qui lui manquait. Aujourd'hui je la lui dois également, mais avec plus de ménagement puisqu'elle est dans le malheur. Son discours au corps législatif aurait fait une profonde impression sur l'Europe et aurait touché tous les cœurs, si Votre Majesté eût ajouté au désir qu'elle a manifesté pour la paix, une renonciation magnanime à son ancien système de monarchie universelle. Tant qu'elle ne se prononcera pas sur ce point, les puissances coalisées croiront ou diront que ce système n'est qu'ajourné, que vous profiterez des événemens pour y revenir. La nation française elle-même restera dans les mêmes alarmes. Il me semble que si, dans cette circonstance, vous concentrieź toutes vos forces entre les Alpes, les Pyrénées et le Pehin, si vous faisiez une déclaration franche de ne pas dépasser ces frontières naturelles, vous auriez tous les voeux et tous les bras de la nation pour défendre votre empire; et certes, eet eme pire serait encore le plus beau et le plus puissant du monde, il suffirait à votre gloire et à la pros

périté de la France. Je suis convaincu que vous ne pouvez avoir de véritable paix qu'à ce prix. Je crains d'être seul à vous parler ce langage, défiez-vous des mensonges des courtisans, l'expérience a dû vous les faire connaître. Ce sont eux qui ont poussé vos armées en Espagne, en Pologne, en Russie, qui vous ont fait éloigner de vous vos plus fidèles amis, et qui dernière ment encore vous ont détourné de signer la paix à Dresde. Ce sont eux qui vous trompent aujourd'hui et qui vous exagèrent votre puissance. Il vous en reste assez pour être heureux et pour rendre la France paisible et prospère; mais vous n'avez rien de plus, et toute l'Europe en est persuadée; il serait même inutile de chercher à lui faire illusion, on ne la tromperait plus. (1)

Je conjure Votre Majesté de ne pas rejeter, mes conseils, ils partent d'un cœur qui n'a cessé de vous être attaché, même dans les momens où il l'aurait voulu. Je n'ai point le sot amour

(1) En marge de cette lettre est écrit : « Tout cela fait » pitié. Je ne suis point ambitieux, je ne veux point la » monarchie universelle, les flatteurs ne m'égarent

point et personne ne me mène. Je veux que la France, » la première nation du monde par sa position, son in» dustrie et sa langue, le soit aussi par sa politique et » son commerce. Je veux qu'elle abaisse l'Angleterre. » Pour cela, mon système continental est nécessaire

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