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» Puisqu'on a la bonté de me consulter sur la place que doivent dorénavant occuper les prêtres, et sur le sort qu'on leur doit faire, je répondrai franchement que l'un et l'autre doivent moins être calculés sur leur mérite réel, que sur leur influence de position, et plus sur le mal qu'ils peuvent empêcher, que sur le bien qu'ils peuvent faire. Les esprits s'éclairent, mais lentement; et ceux qui, par métier ou en conscience, distribuent l'erreur et en trafiquent, auront encore long-temps un ascendant réel sur ceux qui ont besoin de s'en nourrir. Voilà la situation respective des prêtres et des peuples que les premiers soient humiliés, dénués, proscrits, ils auront bientôt trouvé, dans la protection, dans les secours, dans la pitié des autres, un contre-poids, des compensations et des vengeances. Rien, comme on le voit, ne serait plus impolitique que de rendre les prêtres intéressans; et ils le deviendraient, s'ils étaient persécutés. Vous voyez que je raisonne seulement dans le sens d'une prudence étroite ; mes argumens s'étendront, se fortifieront, si je m'élève à des considérations plus générales.

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» Sont-ils encore, peuvent-ils continuer d'être des instrumens de dommage ou d'amélioration? . C'est à ce point de vue seul que se borne la ques

tion qui les concerne. Pas de doute, n'est-il pas

vrai, qu'elle soit résolue affirmativement. Alors de cette solution doit émaner toute la conduite gouvernement à leur égard.

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>> Ne pouvant les vaincre, il faut les séduire; ne pouvant les extirper, il faut s'en servir. Rien de plus aisé que de s'emparer d'hommes qui se croyent prédestinés aux conquêtes universelles, et qui, dans leur condescendance momentanée, ne verront qu'un moyen de regagner leur ascendant. Laissez même cet ascendant se rétablir, et commences par profiter des ressources qu'il vous offrira. Jadis les Jésuites pénétraient jusqu'au trône par la chaise-percée, et le frère qui, sur des papiers souillés, démêlait les secrets des potentats, était regardé dans l'ordre comme un homme important, et révéré comme un bienfaiteur. Des moyens même analogues ne répugneront jamais aux prêtres, pourvu qu'avec eux ils arrivent jusques aux consciences, et de là au gouvernement domestique, qui est le premier, et peut-être le plus solide, des pouvoirs.

» Mais, pour contre-poids à celui qu'ils ne tarderont pas à recouvrer, opposez les lumières même que vous obtiendrez par eux, et dévoilez peu-à-peu les ressorts qu'ils emploient pour se les procurer. Qu'y verra-t-on ? des filles et des épouses séduites, des pères et des maris abusés;

des jeunes gens, dont on exploite l'inexpérience; des ignorans, dont on porte sur l'erreur, sur les vices, et quelquefois sur le crime, les faiblesses et la crédulité. Morale négligée, ou dirigée à contre-sens; pratiques superstitieuses qu'on décore de noms sacrés; orgueilleux égoïsme du clergé, qu'il appelle religion : voilà ce que l'habitude des sacristies, de la chaire, du confessionnal, vous fera connaître, et c'est par cette connaissance, devenue intime par la réitération, que se révélera, dans toute sa noirceur oblique, l'esprit tortueux, envahisseur et souplement despotique, de ce clergé, qui ne sera mis enfin à sa place que quand il sera complètement démasqué. Je regarde comme très-favorable l'occasion que la révolution présente pour arriver à cet utile résultat; mais, si on la manque, il tournera contre elle, comme déjà cela est arrivé. Livrez donc, ou, pour s'exprimer sans équivoque, feignez de livrer aux prêtres qui l'abhorrent la révolution que le peuple chérit: ils l'embrasseront des étreintes de Caïn; mais elle finira par les étouffer.

» Je me résume, et je crois qu'une indulgence réelle, une confiance mesurée, et une surveillance sévère, autant que mystérieuse, musèleront, enchaîneront un monstre dont la vigueur

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exaspérerait l'orgueil et l'irascibilité, et qui, accoutumé à vaincre par séduction, ne peut être vaincu qu'après avoir été séduit. » (1)

Voilà, j'espère, deux couleurs bien prononcées; mais dans cette opposition on remarquera des nuances qui en diminuent l'âpreté, qui en adoucissent le contraste. En fulminant contre les prêtres, M. Fouché ne veut pas qu'on les écrase: son tonnerre fait plus de bruit et de menaces qu'il ne cause de dommage. En proposant de ménager le clergé, il demande qu'on le surveille, et qu'au lieu de recevoir sa chaîne, on lui en prépare une. C'est ainsi qu'en effrayant il frappe à côté, et qu'en feignant de céder, il subjugue.

Maintenant, qui expliquera l'instabilité dé ces principes, l'incohérence de ce système, la contradiction de ces idées, les inconséquences de ces mesures? Qui? Les variations continuelles du thermomètre politique, instrument que dirigea peut-être parfois M. Fouché, mais par lequel, bien plus fréquemment encore, il fut

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(1) Il est à remarquer que cette théorie a merveilleusement été réduite à Rusuel sous la police de Fouché. Alors il feignit de livrer la révolution aux prêtres, lesquels, reconnaissance, se prostituèrent, corps et biens, au grand Bélial de l'Empire, dont ils baisèrent si dévotement l'ergot, et qu'ils n'ont appelé diable que depuis qu'il ne donne plus d'évêchés.

par

verné. A l'époque de sa première philippique, les prêtres, humbles et silencieux, attendaient en tremblant l'arrêt du destin: il parut convenable de les achever. Quelques mois plus tard, les reptiles fanatiques avaient déjà rapproché leurs tronçons, et se disposaient à relever, du milieu des décombres, leurs têtes humblement menacantes: il sembla prudent de les ménager.

VI. M. FOUCHÉ CONVENTIONNEL.

Certains philosophes grecs croyaient avoir fait une découverte merveilleuse en avançant que l'homme est double: nous sommes parvenus beaucoup plus loin, et l'analyse exacte de ses facultés démontre aujourd'hui qu'il est multiple. S'étonnera-t-on, dès-lors, que, dans la réunion forcée de ces qualités, il y en ait de diverses, d'opposées, de contradictoires? Il serait, au contraire, plus surprenant qu'elles fussent homogènes et conciliables. Alors, en effet, comment expliquer nos sentimens si versatiles et nos mœurs si variables? Sans les justifier davantage, on les comprend beaucoup mieux par la donnée que nous avons établie. Le début de M. Fouché, dans la carrière législative, fortifiera les démonstrations qu'on en a déjà présentées.

Monté sur un théâtre qui avait l'Europe pour

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