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spectatrice, le jeune échappé du cloître devait ménager avec une foule de personnes différentes des relations très-diverses; et bien que ferme sur certains principes, il était dans sa nature de se montrer accommodant sur leurs conséquences. Telle fut aussi l'origine de cette politique qui abusa tant de fois la France et dupa toutes les factions elle avait hasardé ses premiers essais dans la Convention nationale, où la multiplicité des objets provoqua celle des moyens. Quels furent donc ceux qu'employa M. Fouché auprès des nouveaux personnages avec lesquels il allait se trouver en scène ?

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Les livres disent que la morale doit mener le monde; les livres le disent, et les bonnes gens le croyent. Mais en enseignant une philosophie plus usuelle, le Père Fouché avait appris que ce sont les passions qui le conduisent. C'est aussi ce que venait de lui démontrer l'assemblée primaire de Nantes. Il avait remarqué qu'elle se composait de trois classes bien distinctes des marins, qui prétendaient sacrifier la terre à Neptune; des marchands, qui exigeaient que la mer fût libre pour en faire leur esclave; des déma gogues, qui voulaient que la révolution engloutit la terre et la mer, afin de les vomir régénérées. Notez qu'un comité directeur, établi dans la société populaire, inspirait ces idées et donnait

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le branle à ces mouvemens. Ce ne fut ni sur les électeurs réunis, ni sur la société rassemblée ni même sur le comité, que le candidat tenta d'agir, mais sur chacun de ses membres isolés. Il va sans dire qu'aux armateurs il promit la souveraineté du commerce et l'indépendance de la mer; qu'aux négocians il assura le monopole, et qu'aux révolutionnaires il garantit les chances des entreprises et les bénéfices des innovations. Il fut nommé. Transplanté parmi de nouveaux collégues, il fallait consolider l'œuvre de son élévation, en donnant à sa tactique des développemens plus étendus, plus délicats et plus sa

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vans.

Sa maxime secrète, celle qui fut l'âme de ses manœuvres, fut qu'il ne fallait se faire aucun ennemi particulier. Les adversaires publics ne sont que les acteurs obligés d'un drame où, sans contraste et sans opposition, l'action ne marcherait pas : ce sont encore des concertans, qui exécutent chacun une partie différente; s'il n'y a pas de mérite à faire la base, quel crime pourrait-il y avoir à faire le dessus ? Mais des débats privés, une lutte individuelle, impriment aux opinions un caractère hostile, et, comme elles lancént des traits personnels, elles laissent des blessures que l'amour - propre rend incurables. M. Fouché était trop habile pour

se compromettre par de telles imprudences. Cependant il s'agissait de joindre à une cireonstance calculée les apparences d'un patriotisme ardent; il y parviut, moins en faisant parade de celui-ci, qu'en ne heurtant ni les idées, ni les sentimens, ni les goûts de ceux qu'il voulait subjuguer. Nous disons subjuguer et non pas conquérir on conquiert par là violence, on emporte de haute lutte; qui veut subjuguer, prend ses moyens, moins dans lui-même que dans ses adversaires; s'ils n'avaient pas de faiblesses, ils seraient invincibles. Mais comment résister aux surprises de la séduction, quand le séducteur parle votre langage, sent comme vous sentez, et que son esprit comme son cœur font écho avec votre cœur et avec votre esprit ? J'ai connu nombre de gens qui, menés par M. Fouché, se reprochaient de le gouverner un peu trop à leur fantaisie.

Ce qui n'était qu'un sentiment vague pour l'assemblée nationale réunie, ce qu'elle n'éprouvait même que comme une perception confuse, devenait plus distinct, plus appréciable, dans les comités. Sous prétexte que la tribune n'était que la saillie de la roche Tarpéïenne, et qu'il avait l'organe trop faible pour parler au grand air, M. Fouché se contenta de manoeuvrer dans les comités. Il s'était fait député consultant. Là, par

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je ne sais quelle magie, sans être de l'avis de tout le monde, il ne froissait celui de personne. C'est peut-être qu'au lieu de heurter la passion, ce qui est souvent dangereux, il biaisait avec le caractère, ce qui est toujours prudent, et surtout transigeait avec les préjugés, ce qui est parfois indispensable. C'est peut-être aussi (et cela serait beaucoup plus honorable) que, abandonnant aux arguties les opinions et les conséquences, il remontait aux causes et aux principes, sur lesquels ordinairement on est bientôt d'accord. Les dissidences ne sont que des vanités mal traitées, et l'art des discussions est de les ménager. Voilà pourquoi, du moment où apparaît un principe, tous les amours-propres font retraité et que la vérité peut parler. Si ce fut là l'un des secrets de M. Fouché, il honore son âme autant que son adresse; mais ne fût-il parvenu qu'à rendre les passions silencieuses à leurs propres cris, il mériterait encore beaucoup d'éloges. Après l'homme puissant, qui les entraîne, en les rendant les instrumens des siennes, c'est encore un espoir très-remarquable que celui qui les endort et profite de leur engourdissement, comme le premier eût employé leur activité.

Cette observation ne pouvait pas échapper à Condorcet, qui, depuis long-temps, honorait le

professeur de l'Oratoire de sa correspondance philosophique, et avec lequel celui-ci, devenu son collègue, forma une liaison plus intime. Ceux qui, au défaut de la profondeur de Tacite ne peuvent décéler leurs inquiétudes exploratrices que par des conjectures, ont prétendu que ce commerce avec un illustre n'était qu'un voile pour méditer et pour cacher des excès; c'est qu'ils ignorent, ces faux pénétrans, que de ces deux célèbres conventionnels, le plus modéré, ou plutôt le seul modéré, fut Fouché. Condorcet, philosophe compact, comme saint Dominique était catholique, fut presque aussi fanatique et non moins fougueux. C'était, sans contredit, un géomètre de la seconde portée, un digne successeur de d'Alembert, à cette époque où une ordonnance ministérielle n'était pas un brevet d'académicien; c'était, en outre, un littérateur estimable, quoiqu'un peu sec, et très-peu pédant, quoique fort instruit. Mais, Dieu lui pardonne, c'était un politique austère, un homme d'état roide, un législateur dur comme Dracon. Je me hâte d'ajouter que cette dureté n'était qu'un amas de principes recuits (qu'on me passe cette bizarrerie). Comme homme privé, nul ne fut plus philantrope, plus humain, ami plus solide, meilleur époux (j'en appelle à la femme célèbre qui continue son illustration); nul, pour

f

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