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Tout le monde sait que ce ne sont ni les lumières ni l'expérience qui manquent à votre Majesté, elle connaît la France et son siècle, elle connaît le pouvoir de l'opinion: mais sa honté lui a trop souvent fait écouter les prér tentions de ceux qui l'ont suivie dans l'adver¬ sité. Dès-lors il y a eu deux peuples en France. Il était pénible sans doute à votre Majesté d'as voir sans cesse à repousser ces prétentions par des actes de sa volonté. Combien de fois elle a dû regretter de ne pouvoir leur opposer des lois nationales !

Si le même système se reproduit, et que tirant tous les pouvoirs d'hérédité, votre Majesté ne reconnaisse aucun des droits du peuple, autres que ceux qui leur viennent des conces sions du trône, la France, comme la première fois, sera incertaine dans ses devoirs; elle aura à hésiter entre son amour pour la patrie et son amour pour le prince, entre son pens chant et ses lumières. Son obéissance n'aura d'autre base que sa confiance personnelle dans votre Majesté; et si cette confiance suffit pour maintenir le respect, ce n'est pas moins ainsi que les dynasties s'affermissent et qu'on écarte lous les dangera..

Sire, votre Majesté a reconnu que ceux qui entraînaient le pouvoir au-delà de ses limites,

sont peu propres à le soutenir quand il est ébranlé; que l'autorité se perd elle-même dans le combat continuel qui la force de rétrograder dans ses mesures ; que moins on laisse de droits à un peuple, plus sa juste défiance le porte à conserver ceux qu'on ne peut lui disputer, et que c'est toujours ainsi que l'amour s'affaiblit et que les révolutions se préparent.

Nous vous en conjurons, Sire, daignez cette fois ne consulter que votre propre justice et vos lumières. Croyez que le peuple français met aujourd'hui à sa liberté autant d'importance qu'à sa propre vie : il ne se croira jamais libre s'il n'y a pas entre les pouvoirs des droits également inviolables. N'avions-nous pas sous votre dynastie des Etats-généraux qui étaient indépendans du monarque ?

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Sire, votre sagesse ne peut attendre les événemens fâcheux pour faire des concessions; c'est alors qu'elles seraient nuisibles à votre intérêt, et peut-être même plus étendues. Aujourd'hui les concessions rapprochent les esprits, pacifient et donnent de la force à l'autorité royale ; plus tard, les concessions prouveraient sa faiblesse, c'est le désordre qui les arracherait, les esprits resteraient aigris.

Le duc d'OTRANTE.

LE 8 juillet le Roi fit son entrée dans Paris: le soir même le duc d'Otrante vint lui faire, sa cour en qualité de ministre de la police. Sa nouvelle dignité fut regardée par les uns comme le salaire de sa trahison ; d'autres n'y virent que le digne prix des services qu'il avait rendus à la maison de Bourbon. Avant de terminer le tableau de sa conduite pendant les cent jours, nous transcrirons ici quelques-unes des réponses que ses amis ont faites à ses nombreux accu

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sateurs.

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« De graves accusations s'élevèrent contre » Fouché il devait, disait-on, alors tenter la » voie des armes pour repousser au loin les étrangers. «Mais ses amis répondent : » Il y » avait deux forces impossibles à surmonter : la >> force morale que donnait aux souverains la » promesse solennelle qu'ils avaient faite de » n'entrer en France que pour briser le joug » de Bonaparte; leur présence était plutôt » désirée que redoutée en ce moment par une » grande partie de la nation. Cette force mo» rale était d'ailleurs appuyée sur des armées » nombreuses qui pénétraient de toutes parts » et qui n'éprouvaient que de légères résistances. » Que pouvait Fouché, lorsque les maréchaux » et les généraux chargés de couvrir Paris déci>> daient qu'il n'y avait aucun moyen honorable

» ou utile de combattre; qu'il fallait se hâter » de négocier ? Lisez la lettre du maréchal >> prince d'Eckmuhl et le mémoire du général >> Carnot sur cette question. »

Ici ses détracteurs le placent dans un autre ordre de devoirs. « Puisqu'il ne pouvait pas >> lutter avec les baïonnettes et que les souve» rains n'avaient point accueilli ses courageux >> ambassadeurs, il devait sur-le-champ se dé» mettre de son pouvoir.»« Mais c'est alors, di» sent ses amis, qui sont aussi ceux de la France, » qu'on eût crié à l'égoïsme, à la lâcheté et à la >> trahison. Fouché eût paru reculer en même >> temps devant le sacrifice de ses intérêts per

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sonnels, devant ses affections particulières, >> devant ses devoirs et devant le péril; car il » n'y avait aucun espoir qu'il pût faire servir >> son autorité au bien de son pays. S'il eût re» fusé le ministère de la police, on l'accuserait » aujourd'hui d'avoir abandonné les choses et >> les hommes de la révolution à la réaction de » toutes les passions du dedans et du dehors. »

Dans les premiers jours de la seconde restauration, le Roi et les autres monarques demandèrent au duc d'Otrante de leur faire connaître l'état actuel de la France. Il le fit dans une note que nous insérons ici, afin qu'on puisse la comparer avec les rapports que paguères il avait adressés à Noléon.

XXVIII. LA FRANCE AU 20 JUILLET 1815.

La situation de la Frauce se compose d'un grand nombre de données, qu'il est nécessaire de bien apprécier, si l'on ne veut pas être trompé par de fausses apparences. Plusieurs de ces données se rattachent à des faits antérieurs; les unes s'unissent à nos opinions permanentes, à des principes qui n'ont rien de commun avec les coups de la fortune; les autres n'ont été produits que par les derniers événemens.

Les maux de la France avaient déjà éclairé et rapproché les esprits avant l'abdication de Bonaparte, et même avant les hostilités. Il ne s'agissait plus de défendre des intérêts personnels et étrangers à ceux de la patrie; et le Roi, dès son entrée à Paris, a trouvé dans tous les cœurs les élémens d'une prompte pacification. Un état de désordre subsiste encore; mais il tient à des causes faciles à écarter: il cessera même bientôt, à moins qu'une fausse politique n'y mette obstacle; et il y aurait autant d'erreur que d'injustice, si l'on donnait à ce désordre inévitable et momentané le nom de résistance et de révolte,

Pour juger de notre situation il faut juger de ce qui s'est passé avant et depuis le 20 mars.

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