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Je viens de mettre le lecteur dans la confidence de mon dessein sur la mémoire de Fouché. On ne peut le juger encore; on peut du moins instruire son procès. Une faction l'attache au carcan, un parti le pose sur un piédestal; l'historien ne flétrit, ni ne déifie sur opinion et par préjugé; il étudie, il examine, et fait son rapport: la postérité prononce.

II. COMMENT PRÉTEND-ON CONSIDÉRER M. FOUCHÉ?

Quand un homme devient un personnage, deux sortes d'explorateurs, que j'appellerais volontiers des mouchards littéraires, s'attachent à sa personne et exploitent à l'envi sa naissante réputation. Les premiers, collecteurs de faits et greffiers de dates, découpent en ana et euregistrent par chapitres une vie qui, quelquefois, ne comporte qu'un paragraphe; car il est de

te haut en bas et le bas en haut, mais tout à sa place, selon la justice, la révolution ne consiste pas à faire manger des pommes de terre aux princes et des ananas aux décroteurs; mais d'une part à diminuer les jouissances superflues, qui ne sont que des illusions de la vanité; et de l'autre, à rendre accessibles toutes les jouissances qui contribuent à l'amélioration physique et morale: de l'espèce.

ces hommes auxquels une seule action, une seule journée, une parole unique, valurent la célébrité, et qui, semblables au fameux Rossinante, dont son historiographe assure qu'il galoppa une fois dans sa vie, n'eurent qu'une bonne fortune historique et ne galoppèrent aussi qu'une fois vers l'immortalité. A la suite de ces honnêtes gardenotes, arrivent les habiles, qui épelaient jadis sur la table rase du cerveau humain, essayaient d'y suivre, de l'oeil, la pensée qui s'y trace, et de diriger du doigt l'expression qui la produit. Du temps de Mallebranche, on nommait ces gens-ci des métaphysiciens, et le vulgaire, plebs incrassa, les prenait pour des rêveurs. La révolution, qui, en retournant les choses, n'a pas épargné les mots, a changé en idéologues celui de métaphysiciens; l'on dit que, depuis cette métamorphose, une nouvelle science a germé, et que ses auteurs voyent distinctement, comme dans un miroir, tout ce qui, des objets extérieurs et des perceptions internes, se réfléchit dans le sensorium commune. Décidément les rêveurs sont éveillés.

Or, c'est à ces deux classes d'anatomistes qu'est livrée, non la personne, mais la mémoire de M. Fouché. Armés de plume, au défaut de scalpel, ce que les uns enregistrent comme résultals, les autres l'examinent comme causes et

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comme principes. Au moyen d'une analyse scrupuleuse, ces derniers dissèquent le sujet que les premiers sont parvenus à composer par une synthèse transcendante. Leur prétention est d'expliquer l'homme par les actes de sa vie, et de découvrir, sous les lauges mêmes de son maillot, les mobiles de sa conduite future. Ces études sont-elles plus curieuses que profitables, et dans cet amusement conjectural y a-t-il plus que des conjectures et mieux que de l'amusement? Sortil enfin, de ces mains savantes, un être vivant, un homme réel, et que l'histoire puisse présenter à la postérité ? Sans répondre à ces questions, et surtout sans les discuter, nous nous contenterons de ne pas en provoquer de semblables. On lira ce recueil sans exigeance, puisqu'on le présente sans prétention. De traits épars, mais ressemblans, un lecteur judicieux formera une physionomie, sous laquelle peut-être il ne faudra pas écrire le nom de Fouché, pour qu'on la reconnaisse. Un tel homme se peint souvent par une pensée, par un acte, d'un mot, d'un geste, d'un regard. Je connais un physionomiste qui, à l'aspect de la basque d'un habit ou de la forme d'un chapeau, nomme celui auquel ils appartiennent. Cela lui serait bien autrement facile pour celui-ci, puisque nous le montrerons souvent en déshabillé.

III. DÉBUT DE M. FOUCHÉ SUR LA SCÈNE

POLITIQUE.

Timante, peintre célèbre parmi les gens du monde, et si méprisé des artistes, que Géricault n'en aurait pas voulu pour broyer ses couleurs, Timante faisait un tableau, une grande machine, avec trois crayons; M. Pincé, l'intendant du Tambour nocturne, n'a, dans son portefeuille logique, que trois raisons; j'avais, pour professeur de droit, un vieux licencié qui perdait toutes ses causes, qu'il prétendait gagner, avec trois moyens ; on sait que M. Boutard fait trente feuilletons sur les arts, avec trois mots ; et l'honorable M. Vernon, le plaideur de la Petite Ville, intente et soutient ses procès par le secours de trois adverbes. Ce nombre de TROIS, que les anciens réputaient sacré, et que les modernes, M. de Châteaubriand à leur tête, appellent mystérieux, est tellement du goût de Michot, , que cet acteur, dont la face est aussi agréable au public que son talent naturel est cher à Thalie, fait rouler sur trois rôles tout son répertoire. Or, parmi ces trois rôles que Michot rend avec perfection, il en est un dans lequel il se montre plus parfait encore, c'est celui de M. Boniface d'Orneville, ce franc marin

de la Belle Fermière, rôle qu'il ne joue que depuis vingt-six ans, mais dans lequel, comme la nature, il paraît toujours nouveau. Après cet éloge mérité, vous croyez peut-être qu'il n'existe pas un vieux loup de mer plus brusque et plus aimable que Boniface : désabusez-vous ; car celui sur lequel il s'est moulé, s'il n'est pas plus aimable, est bien plus brusque encore. Il n'est pas que yous n'eussiez entendu parler de l'insurrection de la Jeune Caroline, joli trois-mâts, qui, après avoir fait sept fois le tour du monde, pourrit maintenant dans le chantier de Nantes. En 1792, époque mémorable de tempête et de beau temps, l'équipage de ce bâtiment, qui revenait de la Jamaïque, ayant ajouté à l'ivresse patriotique d'alors, quelques bowls de punch qui ne la diminuèrent pas, se déclara insurgé, et en qualité de souverain sur son bord, jeta à la mer son pilote qui faisait la manœuvre, et son capitaine qui la commandait. Après cette belle expédition, et quelques nuits de roulis, durant lesquelles le vaisseau reçut tous les mouvemens et obéit à toutes les directions, hormis la bonne, l'équipage, lassé de sa souveraineté, abdiqua en faveur du contre-maître, nommé Beaugenty. Or, ce Beaugenty, dont la figure fait l'antiphrase de son nom, est précisément l'original dont Michot nous reproduit de loin en loin la merveil

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