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CARACTÈRE DE GUILLAUME 1er.

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Nous jugeons inutile de faire ici de longues dissertations sur le caractère du roi Guillaume Ier. La plupart des écrivains qui ont parlé de son règne ont dit de ce prince trop de mal ou trop de bien, selon la nationalité à laquelle ils appartenaient. Le temps, grand redresseur des jugements précipités, est venu corriger les invectives comme les flatteries, les diatribes comme les louanges. L'histoire s'est prononcée : à d'incontestables qualités, qui, malheureusement, étaient plutôt celles de l'homme privé que celles de l'homme d'Etat, Guillaume unissait de graves défauts qui faisaient de lui l'esprit le moins propre à l'œuvre dont les puissances l'avaient chargé.

« Il aurait fallu, dit le comte de Merode, deux ou trois monarques d'une grande sagesse et d'une grande impartialité pour unir ces deux peuples en un seul; mais une si heureuse disposition d'esprit était bien loin du roi Guillaume Ier (1). »

Hollandais de naissance, de cœur et d'éducation, Guillaume n'allait jamais comprendre l'âme belge, jalouse de ses droits et de ses libertés, éprise de justice. Dès le début de son règne, il devait se produire des froissements entre ses sujets du Midi et lui. Son ressentiment envers les Belges allait le porter à leur préférer en tout les Hollandais, avec lesquels il restait toujours en communauté de sentiments, de langue, de race et de religion, et c'était aux dépens de la Belgique qu'il allait tenter l'amalgame prescrit par les puis

sances.

(1) COMTE DE MERODE WESTERLOO, Souvenirs, t. II, p. 33.

De même, calviniste austère, intransigeant et convaincu, se croyant le chef d'une religion nationale, le roi n'allait jamais comprendre l'essence de la religion catholique et de sa hiérarchie. A ses yeux, le Pape, auquel il voyait soumise l'immense majorité de ses sujets, n'était qu'un petit prince temporel d'Italie, dont il ne devait supporter que difficilement l'intervention dans les affaires même purement religieuses de son royaume. Longtemps il devait croire, de bonne foi, qu'il allait pouvoir régenter les catholiques, comme il régentait toutes les confessions dissidentes et cette erreur fatale devait lui coûter cher.

Il allait, en outre, avoir le malheur de s'entourer exclusivement de conseillers et de ministres hollandais et calvinistes comme lui, ou belges, mais imprégnés des idées philosophiques françaises ou des idées joséphistes et fébroniennes, si répandues dans la haute magistrature belge, à la fin de l'ancien régime.

Ce sont ces causes, inhérentes au caractère même du souverain et de son entourage, qui expliqueront la conduite du gouvernement des Pays-Bas envers les catholiques et l'impossibilité d'arriver à une entente sincère et complète avec le Saint-Siège, partant, de résoudre les difficiles questions d'ordre civil-ecclésiastique qui se posaient nécessairement à un souverain protestant régnant sur des sujets en grande majorité catholiques.

Ajoutons que souvent, surtout dans les premières années du nouveau royaume, les revendications impraticables (1) du clergé contribuèrent aussi à rendre

(1) COMTE DE MERODE WESTERLOO, Souvenirs, t. I, p. 357.

LES MISSIONS DE HOLLANDE.

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difficile l'établissement de rapports cordiaux entre l'Eglise et l'Etat (1).

Le règlement et l'organisation des affaires religieuses s'imposaient pourtant au souverain comme une mesure de la plus urgente nécessité.

II

En prenant en main le gouvernement des Pays-Bas, Guillaume Ier trouvait les affaires ecclésiastiques de la nouvelle monarchie dans le plus grand désordre, tant au point de vue juridique qu'au point de vue moral et matériel.

Composé de la Belgique, encore régie par le concordat français de 1801, et des anciennes Provinces-Unies, pays de mission, le royaume des Pays-Bas présentait, au point de vue religieux, un aspect des plus disparates.

Depuis la suppression, lors du traité de Westphalie, en 1648, de l'organisation épiscopale, avec l'archevêché d'Utrecht et ses Églises suffragantes de Deventer, Groningue, Harlem, Leuwarden et Middelbourg (2), les sept Provinces-Unies avaient été organisées en pays de mission, relevant directement de la congrégation de la Propagande, sous l'administration d'un vicaire apostolique.

(1) Lire à ce sujet THONISSEN, La Belgique sous le règne de Léopold Ier. Liège, 1856, t. II, chap. II, pp. 22-31.

(2) On sait que cette organisation avait été établie, sur l'initiative de Philippe II, par la bulle de Paul IV, Super universi, du 12 mai 1559.

Ce système avait produit d'heureux effets et les anciennes calamités étaient presque oubliées, lorsque, au début du XVIIIe siècle, les Etats Généraux, instigués en grande partie par les Jansénistes, interdirent au vicaire apostolique de résider dans le territoire de la république. A partir de cette époque, les affaires religieuses des catholiques hollandais furent confiées aux nonces de Bruxelles, qui joignirent à leur titre celui de supérieur des missions de Hollande et conservèrent cette charge jusqu'à la conquête de la Belgique par les armées de la république française. La juridiction locale appartenait aux archiprêtres, qui, en fait, détenaient presque toute l'autorité (1).

A la disparition de la nonciature de Bruxelles, les missions de Hollande furent confiées à un vice-gouverneur, M Louis Ciamberlani. Celui-ci, pour éviter toute difficulté, avait dû s'établir à Munster, en Westphalie, d'où il veillait avec le plus grand zèle sur les âmes dont le Saint-Siège lui avait confié la garde et où il était parvenu à se maintenir, malgré les tracasseries de la police impériale (2).

(1) Nous avons tiré presque tous ces renseignements sur l'organisation de l'Eglise dans les provinces septentrionales du préambule des instructions données à M" Nasalli, chargé, en 1823, de la négociation d'un concordat; Instruzioni per Mgr Nasalli, arcivescovo di Ciro e nunzio apostolico di Lucerna, per servirgli di norma nella trattativa del Concordato fra la Santa Sede e Sua Maestà il Re dei Paesi Bassi. RS, tit. IX, n° 256; PAESIBASSI, Concordato. Ces instructions ont été imprimées, en une brochure in-4, de 78 pages, tirée à un nombre très restreint d'exemplaires pour l'usage exclusif des membres de la congrégation des affaires ecclésiastiques extraordinaires et gardée secrète. Nous en avons trouvé un exemplaire annoté, RS, tit. IX, n° 256; PAESI-BASSI, Missione di Mør Nasalli, 1823 e 1824.

(2) M Ciamberlani au cardinal Pacca, pro-secrétaire d'Etat, Munster, 2 juillet 1814. RS, tit. IX, n° 256; PAESI-BASSI, Missioni di Olanda, 1814.

LES VICARIATS APOSTOLIQUES.

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Toutefois, les missions de Hollande ne s'étendaient que sur le territoire des sept Provinces-Unies, et les conquêtes faites par les Hollandais postérieurement à l'acte d'union de 1579 avaient reçu une organisation spéciale. L'évêché de Bois-le-Duc, dont le siège épiscopal avait été supprimé par le pape Alexandre VII, en 1662, avait été remplacé par un vicariat apostolique sous la dépendance immédiate du Saint-Siège. Les autres territoires conquis continuaient d'être administrés, comme pays de mission, par leurs évêques respectifs, établis dans les Pays-Bas catholiques.

Mais, à la suite du concordat de 1801, strictement limité au territoire de la république française, les évêques belges perdirent le droit de gouverner des missions en terre non française et le Saint-Siège se vit obligé d'ériger à Bréda un vicariat apostolique, semblable à celui qui existait déjà à Bois-le-Duc.

Enfin, des fragments de diocèses de la Belgique restés en 1801 en dehors du territoire français et, par conséquent, non compris dans le concordat, conservaient leur autonomie. Le prince de Méan, ancien prince-évêque de Liége, gouvernait en qualité d'administrateur apostolique les districts de Ravenstein et de Megen et l'ancien évêque de Ruremonde, Mgr van Velde de Melroy, conservait juridiction sur la partie hollandaise de son ancien évêché, laquelle comprenait la ville de Grave et cinquante-trois paroisses avec une population de cinquante mille âmes (1).

(1) REMBRY, Les remaniements de la hiérarchie épiscopale et les sacres épiscopaux en Belgique au XIXe siècle (Bruges, 1904.), p. 14, note.

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