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trop timide, mais judicieux, raisonnable, pénétré de respect et de reconnoissance pour son aïeul. Après lui avoir donné les conseils qu'exigeoient les circonstances, il fit expédier au despacho quelques affaires, entre autres un ordre aux grands d'Espagne de visiter en France les princes du sang, et de les traiter d'altesse, il se chargea de représenter au duc de Berwick la nécessité de suspendre les opérations de la campagne; et Philippe, impatient de revoir la Reine, partit au commencement de juillet. Nous allons rentrer dans un labyrinthe d'intrigues.

LIVRE SIXIÈME.

On s'étoit faussement imaginé que le rappel de la princesse des Ursins et de tous les Français de son parti, tels que le chevalier d'Espennes, d'Aubigny et Vazet, un des valets de chambre de Philippe v, extirperoit les cabales de la cour d'Espagne; qu'on feroit oublier au Roi et à la Reine le chagrin que leur causeroit d'abord cet acte d'autorité, et qu'alors l'ambassadeur gouverneroit aisément selon les vues du cabinet de Versailles. On ne tarda point à se détromper, par les nouveaux embarras qui survinrent dans les affaires.

La noble sensibilité de la Reine, la vivacité de son esprit, son influence inévitable, son ascendant sur le Roi, le besoin qu'elle avoit de sa confidente, ou plutôt de son amie; l'intérêt de celle-ci à se justifier avec éclat; les liaisons qu'elle ne pouvoit manquer d'entretenir avec la cour d'Espagne, tout auroit dû faire prévoir que la princesse des Ursins seroit encore une oc

casion d'inquiétudes. En vain Louis XIV avoit résolu de la tenir éloignée de sa propre cour; en vain il avoit défendu qu'on s'intéressât pour lui obtenir la permission de se justifier: une femme de ce caractère, ayant joué un si grand rôle, possédant l'estime et l'amitiê des souverains, dont on venoit de la séparer malgré eux, conservoit de puissantes ressources dans sa disgrâce. Le cardinal et l'abbé d'Estrées, qu'on récom→ pensa de leur ambassade, l'un par la riche abbaye de Saint-Germain, et l'autre par le cordon bleu, ne devoient pas jouir long-temps du triomphe qu'ils avoient remporté sur elle.

Cependant Louis paroissoit inflexible à son égard. «Faites bien comprendre à la Reine, marquoit-il à << Châteauneuf (10 juillet), que lorsque j'ai pris la ré« solution de rappeler la princesse des Ursins, et en« suite de la faire repasser à Rome (l'ordre lui en étoit donné), je ne l'ai fait qu'après de longues délibéra«<tions, et pressé par des raisons si fortes, qu'il m'a « été impossible de changer de sentiment. Faites-lui « connoître que les intrigues ni les cabales des enne <«< mis de la princesse ne m'ont point déterminé par de « fausses suppositions contre elle. Enfin expliquez-lui « que je décide de toutes choses par moi-même, et « que personne n'oseroit me supposer des faits con« traires à la vérité, l'apprenant toujours de plu« sieurs endroits différens, avant de prendre un « dernier parti sur de telles matières.»

Le monarque avoit été si souvent trompé, même dans les beaux jours de son règne (quel prince n'est pas exposé à l'être?), qu'il auroit pu se reposer un peu moins sur les rapports d'autrui, et sur ses propres lu

mières. Nous verrons que ses volontés mêmes pouvoient varier au gré des événemens.

Il paroissoit essentiel, pour les vues de la cour de France, que le despacho fût tel qu'on l'avoit réglé au commencement. Depuis que les fonctions de secrétaire étoient partagées, les affaires les plus importantes alors (celles de la guerre) étoient devenues secrètes entre le Roi, le marquis de Canalez et Orry. On vouloit que le marquis de Rivas redevînt secrétaire unique. La chose étoit fort difficile, parce qu'il avoit déplu à Philippe et à la Reine. Avant de toucher à un point si délicat, l'ambassadeur rencontra d'autres difficultés qui lui firent sentir les épines de sa com

mission.

Le marquis de Mancera, vieillard de quatre-vingtneuf ans, qu'on avoit mis dans le despacho avec l'archevêque de Séville, présente au Roi un long mémoire pour lui persuader d'abolir cette nouvelle forme de gouvernement, et de gouverner lui seul, en prenant, selon l'ancien usage, les consultes des différens conseils : il insinue que c'est le moyen d'assurer le bonheur de son règne et celui de ses peuples; il ajoute que son grand âge et ses infirmités ne lui permettent plus d'assister au despacho. Philippe communique ce mémoire au duc de Gramont : celui-ci le réfute fortement, et soupçonne déjà quelque cabale. (Gramont au Roi, 19 juillet. )

Sa défiance augmentoit chaque jour. Il croyoit que les Espagnols vouloient ôter la connoissance des affaires au roi de France: il les voyoit conjurés contre les gardes du corps, contre le régiment des gardes wallones, dont plusieurs soldats avoient même été

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assassinés. Plus il examinoit l'intérieur du palais, plus il étoit embarrassé sur la manière de réussir. Etonné des variations fréquentes qu'il apercevoit : « J'en re<< viens toujours, disoit-il, au dicton de feu mon père: Quand le bon Dieu fit les cerveaux, il ne s'obligea point à la garantie (1). » Incertain dans ses avis, il souhaitoit un jour que Louis XIV écrivît des grosses dents; dents; peu de jours après, il souhaitoit qu'on fit patte de velours. Le résultat de ses observations étoit qu'il falloit gagner la confiance de la Reine, parce que le Roi n'osoit rien dire ni rien faire que de conforme à ses volontés. C'étoit l'intention de la cour de France.

Aussi l'ambassadeur exhorta-t-il la Reine à entrer dans les affaires. Elle répondit qu'elle en étoit incapable; qu'elle ne concevoit pas comment on vouloit y admettre une femme de quinze ans. Pure ironie de sa part, selon le duc de Gramont, puisque tous les soirs elle pratiquoit le contraire,'sachant bien qu'il ne pouvoit l'ignorer. Enfin, pressée par ses instances, elle dit qu'elle consentoit à donner cette marque de soumission au Roi, et lui écrivit sur-le-champ une lettre qu'on n'auroit pas manqué d'attribuer à la princesse des Ursins, si elle eût été à la cour.

Lettre de la reine d'Espagne à Louis xiv (25 juillet).

« Je me donne l'honneur d'écrire à Votre Majesté « pour lui rendre compte de ce que le duc de Gramont « m'a dit de sa part, qui est qu'elle veut absolument «< que je me mêle dans les affaires du Roi son petit-fils. « Vous savez mieux que personne la répugnance que (1) Le duc de Gramont à M. de Torcy, 20 juillet. (M.)

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j'ai à le faire, non-seulement parce que naturelle«ment cela n'est pas de mon goût, mais encore parce « que je me connois, et je sais que je ne suis nulle«ment capable de donner, sur quelque chose que ce << soit, mon sentiment. Malgré toutes les bonnes raisons « que j'ai, le duc de Gramont m'a tant pressée, et m'a <«< tant dit que vous le voulez, et seriez fâché si je ne « le faisois pas, que je me vois obligée à obéir à vos «< ordres, quoique avec une peine infinie. Mais ce que je vous demande, c'est que je ne me mêle des affaires « qu'en particulier avec le Roi, et que cela ne paroisse «< pas au dehors, pour que le Roi n'en ait pas moins « de gloire. Je crains très-fort que vous ne vous re«< pentiez de ce que vous faites présentement: car « quoique assurément je ne veuille faire que ce qui « est meilleur pour le service du Roi, quand on a mon « âge et mon peu d'expérience, je vous avoue qu'on << peut craindre de faire bien des choses mal à propos. « Mais au moins si cela arrive, vous ne pourrez vous <«<en prendre qu'à vous-même, puisque c'est vous qui « l'aurez voulu, et que je ne fais en cela que marquer « à Votre Majesté qu'on ne sauroit ni avoir plus de « déférence pour elle, ni l'aimer plus tendrement que

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Réponse de Louis xv à la reine d'Espagne ( 6 août).

« Je trouve avec plaisir dans votre lettre un nou«veau sujet de vous louer: rien ne le mérite davan<«<tage que la crainte que vous avez d'entrer dans la <«< connoissance des affaires, et que votre attention à « faire tout à la gloire du roi d'Espagne. Plus j'ap«prouve vos sentimens, et plus je vous crois capable

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