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DU

DUC DE NOAILLES.

SECONDE PARTIE,

DEPUIS L'AN 1700 JUSQU'A LA MORT DE LOUIS XIV,

L'ÉTABLISSEMENT de Philippe v en Espagne, les intrigues de sa cour, l'influence du cabinet de Versailles sur celui de Madrid, la conduite des principaux Espagnols sous un nouveau gouvernement, la conduite encore plus étrange de quelques ambassadeurs français, leurs querelles avec la princesse des Ursins, les fausses démarches où ils engagèrent Louis XIV et son ministre, la correspondance intime des deux monarques, les conseils paternels de l'un, les peines et les dangers de l'autre, le rôle brillant et douloureux d'une jeune reine exposée à tous les coups de la fortune, enfin les combats, les cabales, les éclats de la discorde, les vues et les ressorts de la politique ou de l'intérêt dans une si grande révolution, doivent former un morceau d'histoire d'autant plus intéressant, que les matériaux en sont également précieux et inconnus, Les manuscrits qui m'ont été confiés fournissent un vaste recueil de pièces originales, lettres de rois, de ministres, de généraux, de gens de cour, etc., d'où je tirerai les faits et les circonstances, en appréciant

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néanmoins les autorités. Cette partie de mon ouvrage, indépendamment de ses rapports essentiels avec l'histoire de Louis XIV, en a de particuliers avec les opérations militaires et politiques du feu maréchal de Noailles, qui pendant la guerre de la succession fit déjà connoître tous ses talens dans l'un et l'autre genre.

LIVRE PREMIER.

[1700] Le duc d'Anjou, âgé de dix-sept ans, proclamé roi d'Espagne sous le nom de Philippe v (1), partit, au commencement de décembre 1700, pour aller prendre possession d'un trône environné de périls, d'où les ennemis de la France vouloient le faire tomber. Ses deux frères, les ducs de Bourgogne (2) et de Berri (3), l'accompagnoient jusqu'à la frontière, avec le duc de Beauvilliers (4) son gouverneur, et le maréchal de Noailles. Le comte d'Ayen étoit du cortége. Philippe avoit grand besoin de conseils. Louis XIV

(1) Philippe v : Philippe de France, duc d'Anjou, second fils de Louis, dauphin, pé à Versailles le 19 décembre 1683, déclaré roi d'Espagne en 1700, abdiqua le 15 janvier 1724, reprit la couronne après la mort de Louis 1 son fils, le 6 septembre 1724, et mourut le 9 juillet 1746.—(2) De Bourgogne: Louis de France, duc de Bourgogne, fils aîné du Dauphin, né à Versailles le 6 août 1682, mort le 18 janvier 1712.—(3) De Berri: Charles de France, duc de Berri, troisième fils du Dauphin, né à Versailles le 31 août 1686, mort le 4 mai 1714. Louis, dauphin, fils de Louis XIV, né à Fontainebleau le premier óctobre 1661, étoit mort à Meudon le 14 avril 1711. — (4) De Beauvilliers: Paul de Beauvilliers, duc de Saint-Agnan, premier gentilhomme de la chambre, gouverneur des Enfans de France, né à Saint-Agnan en 1648, mourut à Vaucresson, près de Versailles, le 31 août 1714. Il étoit chef du conseil royal des finances.

lui en avoit donné d'excellens dans cette instruction que l'on conserve écrite de sa main, et dont la plupart des maximes peuvent être utiles à tous les princes.

Instruction de Louis XIV pour le roi d'Espagne, du 3 décembre 1700.

<< Ne manquez à aucun de vos devoirs, surtout en« vers Dieu. Conservez-vous dans la pureté de votre « éducation. Faites honorer Dieu partout où vous <«< aurez du pouvoir; procurez sa gloire, donnez-en « l'exemple : c'est un des plus grands biens que les «< rois puissent faire.

« Déclarez-vous en toute occasion pour

« contre le vice.

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la vertu et

N'ayez jamais d'attachement pour personne. » (II semble que cela devoit s'expliquer (1).)

« Aimez votre femme, vivez bien avec elle; deman<< dez-en une à Dieu qui vous convienne. Je ne crois «< pas que vous deviez prendre une Autrichienne.

« Aimez les Espagnols, et tous vos sujets attachés « à vos couronnes et à votre personne. Ne préférez << pas ceux qui vous flatteront le plus; estimez ceux « qui pour le bien hasarderont de vous déplaire : ce « sont là vos véritables amis.

"

<< Faites le bonheur de vos sujets, et dans cette vue n'ayez de guerre que lorsque vous y serez forcé, et « que vous en aurez bien considéré, bien pesé les « raisons dans votre conseil.

(1) Devoit s'expliquer: Louis XIV explique plus bas ce conseil, qui paroît d'abord singulier, par ces mots : N'ayez jamais de favori; car d'ailleurs il dit : Aimez votre femme,.... aimez les Espagnols,.... aimez toujours vos parens, etc.

« Essayez de remettre vos finances; veillez aux « Indes et à vos flottes; pensez au commerce; vivez « dans une grande union avec la France, rien n'étant <«< si bon pour nos deux puissances que cette union, à laquelle rien ne pourra résister.

« Si vous êtes contraint de faire la guerre, mettez« vous à la tête de vos armées.

Songez à rétablir vos troupes partout, et commen<< cez par celles de Flandre.

«Ne quittez jamais vos affaires pour votre plaisir; <«< mais faites-vous une sorte de règle qui vous donne « des temps de liberté et de divertissement.

« Il n'y en a guère de plus innocent que la chasse, « et le goût de quelque maison de campagne, pourvu << que vous n'y fassiez pas trop de dépense.

<< Donnez une grande attention aux affaires quand << on vous parle; écoutez beaucoup dans le commen<< cement, sans rien décider.

« Quand vous aurez plus de connoissance, souve<< nez-vous que c'est à vous à décider; mais, quelque « expérience que vous ayez, écoutez toujours tous les << avis et tous les raisonnemens de votre conseil, avant « que de faire cette décision.

«Faites tout ce qui vous sera possible pour bien « connoître les gens les plus importans, afin de vous «en servir à propos..

« Tâchez que vos vice-rois, gouverneurs, soient << toujours Espagnols.

<«<Traitez bien tout le monde; ne dites jamais rien « de fâcheux à personne; mais distinguez les gens de « qualité et de mérite.

Témoignez de la reconnoissance pour le feu Roi,

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