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Juan d'Autriche avoit jeté du secours dans Girone par un autre chemin très-difficile, peu connu, à travers des montagnes. Ce fait lui servit de base pour son opération.

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Il avoit commandé plusieurs fourrages jusqu'à une lieue de la ville, afin d'accoutumer l'ennemi à voir sans inquiétude de gros détachemens de cavalerie, et de leur dérober ses mouvemens et son projet. Le mier septembre, à cinq heures du soir, il part avec sa cavalerie et mille grenadiers. L'infanterie avoit ordre de se mettre en marche la nuit, par le grand chemin de Girone elle devoit arriver à une heure et demie du soleil au Pont-Mayor, qui est proprement un faubourg sa marche devoit jeter de la confusion dans les avis que les ennemis pourroient recevoir; sa présence devoit empêcher la garnison de sortir. Toutes les mesures étoient parfaitement combinées : l'exécution y répondit.

Malgré les difficultés du chemin inconnu qu'avoit pris le général, il arrive à une demi-heure de jour. On rencontre une petite garde, on la culbute; les fuyards jettent l'alarme dans le camp; le général Frankemberg, qui le commandoit, s'avance avec les principaux officiers, ne se doutant pas que toute la cavalerie française puisse arriver par un tel chemin quoique surpris, il résiste dans un poste avantageux; on le charge brusquement; on tue, on renverse toute sa troupe; il est blessé lui-même, et fait prisonnier. Le reste des ennemis étoit en bataille à la tête de leur camp, ayant devant eux un grand ravin. Ils font ďabord bonne contenance; mais le duc de Noailles se portant rapidement vers le ravin pour le passer, ils

n'osent l'attendre, et se retirent sous le feu de la contre-escarpe. Comme on alloit les y attaquer, ils se réfugièrent dans la ville même. Tout leur camp fut pillé. Les équipages des officiers faisoient un objet considérable on trouva dans les tentes des soldats plus de deux cents paires de bottes, que la précipitation ne leur avoit pas laissé le temps de mettre.

Le général français profita de l'occasion pour reconnoître Girone : il espéra plus que jamais de réussir à ce siége, malgré les nouvelles fortifications que les ennemis avoient faites. Mais Louis xrv, en lui témoignant son contentement de ce qu'il venoit d'exécuter, lui marqua qu'il ne pensoit plus à une pareille entreprise. Les moindres dépenses effrayoient; on étoit si dépourvu de moyens, que le trésorier de l'armée de Catalogne n'avoit pas touché un sou depuis le commencement de la campagne. C'est un prodige que le duc de Noailles, sans secours, pût se maintenir, se faire craindre, et même préparer des magasins pour la grande expédition qu'il méditoit; mais la sagesse, l'habileté et le zèle ont des ressources inconnues au commun des hommes.

Peu s'en fallut qu'un accident terrible ne fît périr son armée, après qu'elle eut répandu la terreur dans le pays. Il campoit à San-Pedro-Pescador, aux bords de la Fluvia. Tout-à-coup la mer, enflée par un coup de vent, fait gonfler cette rivière; les digues se rompent en trois endroits : le camp est submergé ; à peine on a le temps de retirer l'infanterie; dix bataillons restent séparés de tout commerce, entre la mer, la rivière et l'inondation. Si le débordement étoit arrivé à minuit, et non à la pointe du jour ; si le temps, devenu

bientôt calme, n'avoit pas fait écouler les eaux, le quartier général ne pouvoit même échapper au péril. Cependant on ne perdit personne. Noailles, au risque de sa vie, se porta où sa présence étoit nécessaire : son activité prévint toutes les suites de ce désastre. Les ennemis, profitant de l'occasion, devoient s'emparer le lendemain d'un dépôt considérable de farine : ils ne le trouvèrent plus. (Le duc de Noailles à Voisin, 2 octobre,)

On étoit au mois d'octobre; les subsistances manquoient. Pour continuer de vivre aux dépens de la Catalogne, le général alla camper à Aulot, non sans vaincre encore de grandes difficultés. Il falloit forcer le passage des montagnes, où les ennemis l'attendoient. Quelque avantageuse que fût leur position, ils se retirèrent pendant la nuit, quand ils le virent se disposer à l'attaque. Il rentra en Roussillon vers la fin du mois, après une campagne d'autant plus honorable, que le Roi n'avoit rien fourni pour la subsistance de son armée.

Mais en arrivant dans la province il y trouva des besoins affreux. En vain il avoit pourvu à l'approvisionnement par les mesures les plus exactes: ses ordres n'étoient point exécutés. Sans le blé qu'il rapportoit de Catalogne, il n'y auroit pas eu de pain à donner aux troupes. On manquoit absolument de fonds pour la paie du soldat. L'officier, encore plus à plaindre, étoit réduit, sans aucune exagération, à la mendicité. La cour n'avoit pas même fourni les sommes que le général avoit empruntées sur ses billets. « S'il n'é<«< toit question que de mon seul intérêt, écrivoit-il << au ministre (3 octobre), je n'en ferois nulle men

<< tion dans les conjonctures présentes. Mais comme il « s'agit du crédit qu'on peut avoir dans une province, «< il est d'une extrême importance pour le service du « Roi de se le conserver pour les divers cas qui peu«< vent survenir, surtout dans un temps tel que ce<< lui-ci. »

Son attention à faire valoir les services des officiers, à demander pour eux les grâces qu'ils méritoient, à fournir aux besoins des soldats, et à les contenir dans la discipline en même temps qu'il leur donnoit des soins de père, avoit empêché jusqu'alors les désordres les plus dangereux. Mais les maux pouvoient devenir incurables, si la cour n'y apportoit de prompts remèdes. Il les sollicitoit en bon citoyen, plutôt qu'en général jaloux de sa gloire.

La sanglante bataille de Malplaquet, le 11 septembre, releva en Flandre l'honneur de la nation française, qui ne montra jamais plus de valeur. Si le maréchal de Villars n'avoit pas été blessé dans l'action, on remportoit une victoire signalée (1). Mais quoique la perte des ennemis, malgré la supériorité de leurs forces, fût énorme en comparaison de la nôtre, comme ils restèrent maîtres du champ de bataille, cette jour

(1) « Il se battit comme s'il avoit eu une réputation à commencer, et « s'acquit une gloire dont assurément il n'avoit pas besoin. Point de « régiment à la tête duquel il ne donnât; il alloit à la charge avec la « férocité d'un lion, et donnoit ses ordres avec le sang-froid d'un phi«<losophe en robe de chambre. » ( Lettres de madame de Maintenon.) Les soldats, qui, pour la plupart, n'avoient point mangé depuis vingtquatre heures, jetoient leur pain pour aller se battre. Les vaincus eurent buit mille hommes hors de combat, et les vainqueurs en eurent trente mille : « Encore une victoire pareille, dit un officier hollandais, « et nous sommes perdus. ›

née devint un nouveau malheur. Ils assiégèrent et prirent Mons. Ils avoient pris Tournay au commencement de la campagne : on se croyoit heureux qu'ils n'eussent pas gagné davantage. « J'ai souvent fait la << même réflexion que vous, écrivit madame de Main<< tenon au duc de Noailles : il faut être bien mal pour « sentir un tel soulagement. »

En Espagne, la retraite d'Amelot laissoit carrière aux préjugés et aux intrigues des seigneurs. Le système qu'il avoit suivi avec autant de vigueur que de génie, et qui avoit mis dans les affaires de l'ordre, de la diligence, de la solidité, ce système alloit probablement tomber en ruine : il étoit fort à craindre que les anciens vices du gouvernement ne lui succédassent. Philippe, assez courageux pour braver la mort, assez ferme pour soutenir jusqu'à l'extrémité une résolution héroïque, conservoit un fond de timidité et d'indolence pour les affaires. S'étant livré aux Espagnols, n'ayant plus de ministre français qui le dirigeât et l'excitât, il étoit exposé à de fâcheuses incertitudes, à des dégoûts habituels. Selon Blécourt (1), les peuples se plaignoient qu'il fit de la chasse son occupation, et négligeât tous les soins du gouvernement : tant il est facile de tomber dans l'inertie, quand on n'a pas en soi le ressort qui anime au travail !

Cependant Philippe songeoit aux moyens de se défendre avec ses propres forces. Rien ne lui parut plus nécessaire qu'un bon général. Dès le commencement de 1710, il pria instamment Louis XIV de lui envoyer le duc de Vendôme, qu'on cessoit d'employer, parce que le duc de Bourgogne étoit mécontent de lui. Il le (1) M. de Blécourt au Roi, 15 novembre. (M.)

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