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« et pour tous ceux qui ont été d'avis de vous choisir « pour lui succéder.

«Ayez une grande confiance au cardinal Porto-Car« rero (1), et lui témoignez le gré que vous lui savez « de la conduite qu'il a tenue.

« Je crois que vous devez faire quelque chose de «< considérable pour l'ambassadeur qui a été assez heureux pour vous demander, et pour vous saluer le << premier en qualité de sujet.

<< N'oubliez pas Bedmar, qui a du mérite, et qui est capable de vous servir.

« Ayez une entière créance au duc d'Harcourt (2): <«< il est habile homme et honnête homme, et ne vous << donnera des conseils que par rapport à vous.

Tenez tous les Français dans l'ordre.

<< Traitez bien vos domestiques, mais ne leur don<< nez pas trop de familiarité, et encore moins de créance. Servez-vous d'eux tant qu'ils seront sages, « renvoyez-les à la moindre faute qu'ils feront, et ne «<les soutenez jamais contre les Espagnols.

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N'ayez de commerce avec la Reine douairière que « celui dont vous ne pourrez vous dispenser; faites « en sorte qu'elle quitte Madrid, et qu'elle ne sorte « pas d'Espagne. En quelque lieu qu'elle soit, obser<< vez sa conduite, et empêchez qu'elle ne se mêle « d'aucune affaire; ayez pour suspects ceux qui au<< ront trop de commerce avec elle.

(1) Porto-Carrero : Ce personnage, qui fut à la tête des affaires en Espagne dans des temps mémorables, a été oublié dans nos biographies. Les Mémoires de Noailles le font bien connoître. (2) Duc d'Harcourt: Henri, duc d'Harcourt, maréchal de France, ambassadeur en Espagne, né en 1654, mort en 1708.

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« Aimez toujours vos parens; souvenez-vous de la « peine qu'ils ont eue à vous quitter; conservez un grand commerce avec eux dans les grandes choses << et dans les petites; demandez-nous ce que vous au« rez besoin ou envie d'avoir qui ne se trouve pas « chez vous. Nous en userons de même avec vous.

<< N'oubliez jamais que vous êtes Français, et ce qui peut vous arriver. Quand vous aurez assuré la << succession d'Espagne par des enfans, visitez vos «< royaumes, allez à Naples et en Sicile, passez à Mi« lan, et venez en Flandre; ce sera une occasion de « nous revoir. En attendant, visitez la Catalogne, l'Arragon et autres lieux; voyez ce qu'il y aura à « faire pour Ceuta.

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<< Jetez quelque argent au peuple quand vous serez << en Espagne, et surtout en entrant dans Madrid.

<< Ne paroissez pas choqué des figures extraordi<< naires que vous trouverez, ne vous en moquez point: chaque pays a ses manières particulières, et vous << serez bientôt accoutumé à ce qui vous paroîtra d'a« bord le plus surprenant.

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« Evitez autant que vous pourrez de faire des grâ« ces à ceux qui donnent de l'argent pour les obte<<nir; donnez à propos et libéralement, et ne recevez «< guère de présens, à moins que ce ne soit des baga<«telles. Si quelquefois vous ne pouvez éviter d'en << recevoir, faites-en, à ceux qui vous en auront « donné, de plus considérables, après avoir laissé << passer quelques jours.

<< Ayez une cassette pour mettre ce que vous aurez « de particulier, dont vous aurez seul la clef.

« Je finis par un des plus importans avis que je

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puisse vous donner: ne vous laissez pas gouverner, «< soyez le maître; n'ayez jamais de favori ni de pre« mier ministre. Ecoutez, consultez votre conseil, mais « décidez. Dieu, qui vous a fait roi, vous donnera << toutes les lumières qui vous seront nécessaires, tant «< que vous aurez de bonnes intentions. >>

Cette instruction n'étoit que générale, et il y avoit mille difficultés à prévoir. Outre les orages qu'on devoit craindre du dehors, l'ancienne antipathie des Espagnols pour les Français, la différence du caractère national et des coutumes, les intérêts opposés des factions, le déplorable état des affaires, ne pouvoient que multiplier les sollicitudes. Il falloit réformer le gouvernement: il falloit donc surmonter une infinité d'obstacles. L'expérience et la fermeté de Louis XIV auroient été presque nécessaires à son petit-fils.

Charles II avoit établi par son testament une junte ou conseil de régence présidée par la Reine douairière, mais où le cardinal Porto-Carrero décidoit tout. La junte envoya le marquis de Velasco, connétable de Castille, en qualité d'ambassadeur extraordinaire, pour offrir ses hommages à Philippe sur les terres de France, et pour aller ensuite complimenter Louis XIV. Son instruction portoit qu'il prendroit des lettres de créance du nouveau Roi, si ce prince le jugeoit nécessaire; qu'arrivé à la cour de France, il s'informeroit adroitement, sans néanmoins marquer de soupçons, s'il pourroit être reçu avec le caractère qu'on lui avoit donné en Espagne; qu'en ce cas, il se serviroit des lettres de la junte; qu'en cas de difficulté sur ce point, il feroit seulement usage des lettres que Philippe lui

auroit données par précaution. Du reste, il devoit montrer cette instruction au Roi son maître, et exécuter ce qu'il lui prescriroit, pour agir avec sûreté. On ne pouvoit guère s'attendre que Louis XIV reçût un ambassadeur d'Espagne qui ne seroit pas l'ambassadeur du roi d'Espagne. Les Espagnols le désiroient, mais leurs précautions mêmes prouvent qu'ils l'espéroient peu.

[1701] Le connétable arrive à Bordeaux presque au même instant que Philippe. Le maréchal de Noailles et le duc de Beauvilliers s'entretiennent d'abord avec lui. Il demande à saluer le Roi en cérémonie, comme ambassadeur de la Reine et de la junte. On lui répond qu'étant Espagnol, il ne doit être reçu que comme tel, sans prendre de caractère; et il se rend de bonne grâce. Montrant sa clef d'or, qu'il continuoit de porter par la permission de la junte, il demande si le Roi trouveroit bon qu'il la portât (la clef d'or distingue les gentilshommes de la chambre). Beauvilliers répond, de la part de Philippe, qu'il ne l'empêcheroit point de la porter, puisque la junte l'avoit jugé à propos; mais que pour décider sur toutes choses, grandes ou petites, il attendroit que le temps lui eût fait connoître en Espagne ce qui seroit le plus convenable (1).

Admis à l'audience de Philippe, le connétable lui témoigna l'impatience de tous les Espagnols de voir leur souverain, et sa joie particulière d'avoir des premiers cet honneur. Il accepta volontiers de nouvelles lettres de créance, persuadé que la qualité d'ambassadeur extraordinaire du roi d'Espagne l'honoreroit (1) Le duc de Beauvilliers à M. de Torcy, premier janvier. (M.)

plus que celle dont la junte l'avoit décoré. Philippe y ajouta une lettre de sa main, par laquelle il marquoit à Louis XIV que les ordres donnés au connétable en Espagne étoient conformes à ce qu'on devoit au roi de France, puisqu'il lui avoit ordonné de se rendre incessamment à sa cour pour les exécuter, et pour l'assurer en même temps de sa tendresse (1).

Cette attention à ménager les Espagnols, en maintenant la dignité de la couronne, étoit aussi juste que nécessaire. Velasco méritoit surtout des égards : « C'est « un homme d'esprit, écrivoit le duc de Beauvilliers « (3 janvier), liant, et capable, à ce que je croi«< rois, de quitter bientôt le parti de la Reine, quand «< il sentira que, sans retour, il ne sera plus le tout puissant, comme il l'a été long-temps. Si je me suis « trompé ́ en quelque chose, je ne l'ai fait qu'après << avoir bien concerté avec M. le duc de Noailles. >>

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Jusqu'alors toutes les apparences étoient favorables. Les Espagnols se montroient passionnés pour leur nouveau maître, et pénétrés de confiance ainsi que de vénération pour le roi de France. Noailles marquoit à Torcy, ministre des affaires étrangères, que leur soumission aux volontés de Louis XIV étoit sans réserve.

La Reine douairière, dont le dévouement pour la maison d'Autriche avoit éclaté sous le dernier règne, étoit contenue par la nécessité et par l'intérêt. Elle se plaignit néanmoins avec hauteur du comte de SanEstevan, son mayordomo mayor (grand maître de sa maison), qu'elle prétendoit l'avoir offensée en se démettant de cet emploi : elle demanda son éloigne(1) M. Noblet à M. de Torcy, 4 janvier. (M.)

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