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Une telle crainte serait déplacée à l'égard de ce singulier mythe qui identifie l'Archange déchu avec la planète de Vénus. Ésaïe y fait allusion dans sa sublime prophétie sur Babylone. Dans le Rig-Véda, Ousanas est un génie à la fois bon et mauvais, qui se confond avec l'étoile du matin. Tantôt on le voit « chercher à dérober à l'heure où le soleil se lève, les vaches célestes (les nuées), » et lutter avec les Asouras contre Indra. Tantôt, au contraire, « il donne à ce dieu sa foudre contre eux, «il établit Agni (le dieu du feu du sacrifice) pour être prêtre en faveur de Manou1» (d'Adam et sa postérité). Lorsque le védisme a fait place au brahmanisme, Ousanas s'est transformé en Soucra, le dieu de la sphère de Vénus, qui est à la fois le modèle des pénitents et le gourou ou docteur des mauvais génies. En Chine, Tchi-yeou est pareillement très-beau et très-laid, une étoile resplendissante et un vil insecte.

Le Diable, précipité du ciel dans les enfers, en est resté boiteux dans les croyances populaires de notre Europe. Mais la Grèce avait aussi un dieu boiteux des suites d'une chute pareille, et ce dieu c'est Vulcain, le feu qui dévore tout, qui doit détruire le monde, qui brûle aux enfers. Dans un mythe homérique bien connu, Até, la Faute, le Péché, a été précipitée par Jupiter hors du ciel, où elle ne rentrera jamais.

Tchi-yeou est, de tous les génies du mal que compte le paganisme, celui qui ressemble le plus au Satan des Hébreux et au Diable de nos nations chrétiennes. Il est «<le premier des rebelles» et a des ailes de chauve-souris. On l'a enchaîné, mais il n'est point mort. Il a surtout manifesté sa puissance de destruction lors du fléau de la grande sécheresse antédiluvienne, et il a laissé à Kong

1 T. 1, p. 98. 157. 320 et 244; t. III, p. 280.

Kong, à la face d'homme et au corps de serpent, le soin de faire périr l'humanité par le déluge 1.

Dans le Rig-Véda, Ahi ou le Serpent est le père, le chef des Asouras ou Rakchasas qui ont dérobé les nuées pendant ce fléau du feu des temps primitifs. Indra le découvre dans sa retraite et le foudroie.

Ahi des Ariens de l'Inde est Ahriman des Ariens de l’Iran, qui, lui aussi, est un grand serpent, et qui est entouré de ses Dews ou démons. Mais, tandis que le panthéisme hindou a, peu à peu, fait oublier l'antique tradition de l'Ange déchu et du serpent infernal, Zoroastre, qui sentait très-vivement, avec son siècle, la puissance du péché, a donné dans sa religion la seconde place au génie du mal. Ce sage a même dépassé de beaucoup la vérité en attribuant à Ahriman la création des êtres malfaisants. Toutefois il l'a soumis à Ormuzd, et le dualisme qu'il prêche n'est ni absolu ni éternel.

En Syrie, Typhon est un serpent d'après son étymologie (araméen TEPHSON, hébreu TSEPHA", TSEPH'ONI), et d'après son mythe. On ne sait, d'ailleurs, que fort peu de choses de lui.

Il nous conduit en Égypte, où son nom cependant ne s'est encore trouvé dans aucun texte hiéroglyphique, mais qui avait d'ailleurs son serpent-géant sous le nom d'Apop.

Nous indiquerons, en traitant de la chute d'Eve, les différents peuples de l'Ancien et du Nouveau monde qui,

1 C'est sans doute à Tchi-yeou qu'il faut rapporter le passage suivant de l'Y-King: « Le dragon s'est révolté, il a lieu de s'en repentir. L'orgueil l'a aveuglé; il a voulu monter dans le ciel, et il a été précipité dans les abîmes. » Il s'est ignoré lui-même, dit la glose, «<et il est devenu aveugle. Au commencement il était placé dans un haut lieu, mais il a perdu la connaissance de ce qu'il était. Il s'est nui à lui-même et s'est vu frustré de la vie éternelle. »

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sans posséder de dieu du mal, ont gardé le souvenir du serpent séducteur.

Typhon de l'Égypte est bien le dieu du mal, le dieu des fléaux de la nature comme des maux du corps et de l'âme, et s'il n'est pas enchaîné vivant comme Tchi-yeou, au moins a-t-il été le prisonnier d'Isis qui l'a relâché. Mais on a fait de lui le fils du dieu ancien, Sev, et le frère du dieu de l'humanité, Osiris; ce n'est plus un démon qui de l'enfer vient nous attaquer, c'est un Caïn qui tue son frère. Le mythe égyptien reproduit fidèlement l'image de la société humaine, où les bons et les méchants sont issus d'un même père et vivent les uns au milieu des autres. Le spectacle toujours présent de l'état moral du monde a prévalu sur l'antique tradition de l'Archange déchu, et tout indique bien, en effet, que le mythe de Typhon n'est point très-ancien.

En Scandinavie, Loki est, sinon le frère, au moins le compagnon habituel d'Odin. Son nom signifie plutôt le Feu (LOHE) que le Mensonge (LüGE). Il n'a point la forme du serpent, quoiqu'il soit le père du serpent immense qui vit dans l'Océan et entoure la terre entière. Par son père et sa mère, on le dirait sorti de l'arche. Meurtrier du plus beau des dieux, il a été enchaîné par les Ases, et il le restera jusqu'à la fin du monde, où, brisant ses liens, il enveloppera dans une ruine commune, mais passagère, la terre et le ciel, les hommes et les dieux.

Si Vulcain est devenu Satan chez les Scandinaves, le dieu Noir des Slaves, Czernobog, était primitivement un simple dieu des mânes, un Pluton.

Lorsque les Allemands donnent à leur Teufel une grand'mère, ils font remonter son origine au chaos qui, par voie de personnification, a fourni aux peuples païens leurs déesses suprêmes sous le nom de Grandes- Mères. Le nom même de Teufel paraît venir, non du grec DIABO

LOS, mais de l'allemand TIEFE, l'abîme, la profondeur. Le proverbe der Teufel ist los (le diable est déchaîné), atteste que les Germains, comme les Scandinaves, croyaient que les dieux l'avait lié pour un temps.

Nous ne connaissons chez les Celtes ni chez les Romains aucun personnage mythologique que nous puissions comparer à l'Archange rebelle. Mais en Grèce, Prométhée est, comme Loki et Tchi-yeou, enchaîné par l'ordre du Dieu suprême pour avoir enfreint ses lois. Seulement ce Titan est tout spécialement la personnification de la race hypocrite et ingénieuse de Caïn.

Zohak, que le héros perse, Féridoun, enchaîne vivant sur le mont Demavend, et qui avait sur ses épaules deux serpents qu'on nourrissait de cervelles humaines, était sans doute, sous sa forme première, le Moloc=Baal= Mahabali des antiques habitants de l'Iran, issus du sémite Elam. La réforme mazdéienne aura métamorphosé ce dieu qui réclamait des victimes humaines, en un Satan.

En Amérique, nous citerons le Satan du Mexique, Tlacatecslolotl, ou le Hibou doué de raison, et le Grand-Tigre des Algonquins. Celui-ci est, comme le Satan des Tchérémisses, le dieu des eaux (désordonnées et ténébreuses du chaos), et s'oppose, en vrai Ahriman, au Grand-Lièvre qui veut former le monde. Les peuples sauvages adorent, d'ailleurs, différents dieux du mal; mais ces dieux sont trop peu connus pour que nous citions ici leur noms barbares 2.

1 Voyez plus haut, page 299.

2 Pour constater que l'idée que les Sauvages se font du démon est bien conforme celle des nations civilisées, nous transcrirons du Magasin des Missions, de Bâle (1836, p. 638) les lignes suivantes : «Le Wiro des Nouveaux-Zélandais est un vrai Satan menteur, il pousse les hommes au meurtre, à l'adultère, au vol, à la sorcellerie,

Satan est entouré d'Anges déchus comme lui, qui s'appellent en Chine, les Tchi-moei ou mauvais Génies, les Ly ou les Noirs, et les soixante-douze frères de Tchiyeou; en Égypte, les soixante-douze conjurés de Typhon; en Perse, les Dews; en Inde, d'après le Rig-Véda, les Asouras et les Rakchasas. Les Titans, qui veulent escalader le ciel, sont l'exact pendant des Asouras.

Il faut distinguer des mauvais Anges les Géants, ou les antediluviens qui étaient de haute taille, ainsi que les forgerons et les mineurs de Tubalcaïn. Ceux-ci se sont transformés, chez les Étrusques, en des génies infernaux armés de marteaux, et chez les Scandinaves, en des Elfes noirs célèbres par leur habileté à travailler les métaux.

III. SYMBOLES DU GÉNIE DU MAL, OU DU MAL EN
GÉNÉRAL.

Le Génie, ou le Dieu du mal, a pour symbole le serpent, comme nous venons de le voir, et comme nous le verrons plus bas encore. Symbole historique ou provenant de la chute de nos premiers parents; universel ; et à ces deux titres, antérieur à la Dispersion.

L'emblème du scorpion qui blesse l'homme au pied, au talon, a la même origine que le précédent.

Les autres emblèmes sont la plupart trop simples et naturels, ou trop restreints sur la carte de la terre pour qu'on ait le droit de les faire remonter au peuple Primitif.

Ce sont les animaux qui vivent dans les ténèbres : le hibou des Mexicains, la chauve-souris des Chinois et de notre Europe chrétienne.

au suicide, à toute espèce de crimes; il ne se commet pas de péché qu'il ne l'ait mis au cœur de l'homme. Il rit si les hommes pleurent, le sang humain est sa hoisson la plus agréable, etc.

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