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souterrain, qui, dragon immense, tantôt détruit la terre, et tantôt la pétrit de nouveau de sa queue.

Le dieu du feu des Scandinaves, Loki, est le génie du mal, l'ennemi des dieux et des hommes, le futur destructeur du monde, et pourtant il vit dans la société des Ases; car le feu, œuvre ou manifestation de la Divinité, ne peut perdre complétement le sceau de son origine.

Il servira un jour à la destruction du monde. Maintenant déjà, d'après les croyances de plusieurs peuples, il est l'un des tourments des méchants dans l'enfer. Dans les siècles primitifs, au temps de Tchi-yeou et de la Calamité du feu, il a désolé la terre entière. Mais quels que soient les maux qu'il cause, il n'est point le mal même. S'il s'est confondu avec lui en Scandinavie, où le dieu du feu est devenu le plus dangereux des dieux et le plus méchant de tous, cette confusion ne s'est opérée que dans la suite des temps, et les deux idées du feu et du mal étaient originairement tout à fait distinctes. En Perse, Ahriman n'a rien de commun avec le feu, il est tout ténèbres.

CHAPITRE IV.

L'Air.

L'air était envisagé dans la haute Antiquité, et sans doute aussi déjà chez le peuple Primitif, tantôt comme la forme définitive de l'air primordial du chaos, tantôt comme un simple élément du monde actuel. Au premier point de vue, la divinité de l'air doit être une des Grandes-Mères de la tradition religieuse, une Héré, une Junon, une Saté qui est une des compagnes d'Amoun et que des inscriptions grecques traduisent par Héré. Dans le second cas, l'esprit humain oubliant les origines de la nature pour la contempler dans sa forme présente, a senti dans l'atmosphère qui s'agite de lui-même, et qui tour à tour s'éclaircit et se voile, sourit et s'assombrit, caresse et s'irrite, la présence d'une force divine mystérieuse, indépendante, capricieuse, aimable, terrible, qu'on a personnifiée soit en une seule, soit en plusieurs divinités.

Citons pour type de ces divinités atmosphériques celles du Rig-Véda. C'est d'abord Vajou qu'on dirait l'égal d'Indra, et qui est assis sur le même char que lui. C'est à lui qu'on demande des pluies abondantes. « Il élève sa grande voix (le vent) et vient attester qu'il reçoit les libations des mortels. » Mais on le redoute, car il est puissant pour la destruction, et on le prie d'éloigner les maux1.

1 Rig-Véda, t. 1, p. 137. Cp. 178, 316, 349, 355, etc.

A ce dieu général de l'air s'associent : Matariswan, le vent du sacrifice, « dont le souffle excite Agni dans tous les foyers; » Roudra, qui plus tard s'identifiera avec Chiwa, et ses fils, les Marouts.

Roudra, dont le nom signifie qui fait pleuvoir ou qui fait pleurer, est un être équivoque, « terrible à la fois et bienfaisant, » dont on exalte la clémence et qui est le fléau des impies, mais qui, comme l'air, s'irrite sans cause, et dans son aveugle colère frappe ses pieux adorateurs. On craint de l'indisposer par le seul partage des invocations. A Varouna, qui est la justice réfléchie de Dieu, on crie: Pardonne; au capricieux Roudra : Grâce, grâce. Il a d'ailleurs, comme Chiwa, une longue chevelure, qui indique l'état de l'air couvert de nuages légers. Il est un «< sanglier rougeâtre qui donne la pluie, » car cet animal affectionne les lieux humides '.

Les Marouts tuent (MR), anéantissent tout ce qui leur résiste. Ils sont les vents, « tantôt purs et beaux comme des soleils, tantôt mouillés de pluie, funestes et horribles comme les mauvais génies. Les poëtes védiques ne se lassent pas de décrire dans les termes les plus poétiques leurs exploits dans les cieux et les nuées, leurs exploits sur la terre, dans les forêts et les campagnes ; car ils sont des guerriers armés de glaives, lançant les flèches de la pluie, traînés sur leurs chars par des daims ou des chevaux. Ils sont au nombre de quarante-neuf, l'aire des vents se divisant chez les Indiens en sept fois sept parties.

Les Japonais, qui n'avaient ni crainte de Dieu, ni sentiment du péché, attribuaient le mal physique à un frère

1 Rig-Véda, t. 1, p. 224 sq. et t. III, p. 382; t. 1, p. 505 sq. etc. 2 Id. t. 1, p. 30. 37. 125; t. 1, p. 334, etc. L'outre d'Éole est « l'outre du nuage que déchire Roudra; » t. 11, p. 379.

cadet du Soleil et de la Lune, à un Roudra, à un dieu des vents et des tempêtes que la moindre opposition mettait en fureur, et qui était cependant si sensible qu'un rien le touchait jusqu'aux larmes 1.

Certaines tribus mélanésiennes de la Nouvelle-Hollande croient que Potoyan, le mauvais esprit, contre les piéges duquel Koyan les protége, annonce son apparition par un sifflement bas et prolongé, semblable à celui de la brise résonnant au travers des branches des arbres 2. Ces sauvages ne connaissent donc rien de plus effrayant que l'agitation spontanée de l'air dans les profondeurs de la forêt. Ce même sentiment existe chez les peuplades des forêts vierges du Pérou : elles redoutent le mauvais génie Pied-perclus, qui les attire par des sons trompeurs dans les plus profondes solitudes.

Passons à l'examen des symboles de l'air et des phénomènes atmosphériques, qui ne sont certainement pas tous postérieurs à la Dispersion.

I. LA PLUIE.

La pluie fertilise ou féconde la terre. L'esprit mythique de l'Antiquité a traduit ce fait et cette métaphore en un hymen, dont les accidents ne peuvent se reproduire dans la langue française. Un passage du Rig-Véda sur l'union de Roudra avec sa fille la Nuée, nous offre dans toute sa simplicité le symbole de la pluie dans le cours ordinaire de la nature. Nous verrons plus bas ce symbole se modifier en s'appliquant à certaines pluies extraordinaires dont l'homme a gardé un vif souvenir.

Klaproth, dans Stuhr, t. 1, p. 40.

2 D'Urville, La Pérouse, t. 1, p. 464. 3 T. IV, p. 270.

La pluie fertile qui vient du ciel est, en Judée, le symbole des bénédictions divines, de l'action vivifiante de Dieu sur la nature et sur l'homme, de la justice qui doit pleuvoir des cieux sous la forme du saint qui a été promis dans le paradis à l'homme pécheur. Ce symbole existe exactement le même en Chine, où la pluie marque l'action créatrice que le Dieu invisible exerce du haut des cieux, soit sur la matière primordiale, dont les deux principes yang et yin sont rangés à la clef de la pluie ; soit sur l'homme, quand les sages naissent, selon la croyance des Chinois, de vierges ou de femmes mariées par une intervention divine et miraculeuse, que figure précisément le nuage de pluie.

La pluie et la rosée ont pour symbole le daim ou le cerf. En grec PROX daim, chevreuil; PRÔX rosée; HERSÉ rosée, et en allemand, HIRSCH cers. Le cerf est-il ici, comme le cheval (HORSE en anglais), l'animal aux pieds rapides qui devance les vents de pluie ? Est-il l'habitant des forêts fraîches et humides, ou celui des déserts qui brame après les sources d'eau vive? Nous l'ignorons, mais son sens symbolique nous paraît suffisamment attesté par les cerfs attelés aux chars des Marouts; par ceux qui se substituent au taureau dans les innombrables combats qu'il soutient contre le lion; par le cerf Eikthyrnir, qui est la pluie alimentant les sources des fleuves, et par les quatre autres cerfs du chêne Yggdrasil, qui sont les vents funestes et pluvieux; enfin par la biche consacrée à Artémis Diane. Isis qui, elle aussi, préside à la lune, aux eaux cosmogoniques, à la rosée, avait à Coptos des biches sacrées.

Hercule se rendant maître de la biche aux pieds d'airain, c'est le Sauveur mettant fin aux tempêtes et aux pluies de la période diluvienne.

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