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SECTION TROISIÈME.

Les révolutions du temps.

La Divinité ne parlait pas aux premiers hommes avec moins de force dans le temps que dans l'espace. Tandis qu'elle leur manifestait sa toute-présence par certaines de ses œuvres où sa puissance, sa bonté, sa sagesse, sa vie brillait d'un éclat tout particulier, sa gloire, qui se voile dans le cours ordinaire du temps, resplendissait à leurs yeux, chaque jour, chaque mois, chaque année, dans ces moments de transition et de crise où le soleil et la lune marquent soit le commencement, soit la fin d'un de ces périodes plus ou moins longs dont l'immense série embrasse l'histoire du monde.

L'aurore aux doigts de rose, que les poëtes védiques ont chantée avec une richesse inépuisable de brillantes images, ouvre le jour, que le soir clôt dans le silence et la paix.

La nouvelle lune annonce le commencement du mois, que la pleine lune divise en deux parts égales, et dont elle marque le point culminant.

Au printemps la nature endormie se réveille, le ciel sourit avec amour à la terre, la terre au ciel, le soleil triomphe du froid, de la pluie, de la neige, les campagnes et les vergers se parent de nouveau de leurs fleurs, la vie divine circule, rajeunie, dans tous les êtres. Elle semble au contraire épuisée et mourante pendant l'hiver

où la terre est comme abandonnée à toutes les puissances malfaisantes du monde invisible.

Les phases de l'année, du mois et du jour avaient pour la haute Antiquité un intérêt, une importance que nous ne saurions imaginer. Elle vivait dans la nature comme l'Église vit en Jésus-Christ; elle célébrait par des sacrifices, par des fêtes le lever et le coucher du soleil, la nouvelle et la pleine lune, les solstices et les équinoxes, comme nous nous pressons dans nos temples aux anniversaires des grands événements de la vie du Sauveur. L'antique année ecclésiastique était, dans un certain sens, une année toute physique; Court de Gébelin et Dupuis ont donc eu raison d'expliquer par l'astronomie et l'agriculture, par le calendrier, la plupart des fêtes du paganisme et plusieurs de ses mythes; car c'était bien à l'occasion des saisons, des mois et des heures que les peuples anciens donnaient essor à leurs sentiments de reconnaissance et de crainte envers la Divinité. Mais il ne fallait pas soutenir avec Dupuis que leur divinité était le soleil et la lune, la nature, la matière. C'était les calomnier, c'était en particulier méconnaître leur génie symbolique qui leur faisait découvrir de toute part des analogies entre des faits appartenant soit au même ordre, soit à des ordres fort différents.

C'est ainsi que l'année, le mois et le jour étaient pour eux semblables à des cercles concentriques qui traversent en des temps de plus en plus courts les mêmes régions de lumière et de ténèbres, de vie et de mort. Le solstice d'hiver, où le soleil semble prêt à succomber dans sa lutte contre la nuit, correspond au jour de la lune invisible et à l'heure de minuit; l'équinoxe du printemps au deuxième quartier et au matin; le solstice estival à la pleine lune et à midi; l'équinoxe d'automne au quatrième quartier et au soir.

Mais ce n'était pas dans ces comparaisons des faits physiques avec d'autres faits physiques, et dans ces analogies plus ingénieuses que fécondes en grandes idées, que se complaisait l'esprit religieux de la Primitive humanité. Elle savait que l'homme avait été créé à l'image de Dieu, que sans le péché les liens du corps et de l'âme n'auraient jamais été brisés, que l'œuvre et la puissance de la mort seraient détruites par le Fils de la Femme, et qu'ainsi l'âme, se réveillant de son sommeil, sortirait un jour des ténèbres du sépulcre. Cette espérance était la grande consolation des anciens peuples, et l'une de leurs pensées habituelles. On sait que les Égyptiens nommaient leurs demeures des hôtelleries et leurs tombeaux des habitations éternelles. Or il ne se pouvait faire qu'avec de telles pensées on ne saisît pas l'analogie de la mort avec le soir, avec la fin du dernier quartier, avec l'hiver, et de la renaissance future avec le matin, la nouvelle lune et le printemps'. La nature entière,

L'analogie entre les phases de la lune et les destinées de l'homme s'était-elle présentée à l'esprit des peuples anciens? Je n'en ai pas de preuves directes. Mais de nos jours, les Indiens de la Californie disent, d'après Mofrat (t. 11, p. 379), dans des chants, que de même que la lune meurt et revient à la vie, de même ils renaîtront après la mort. Ce passage peut servir de commentaire au mythe suivant de Tahiti, qui oppose au ciel où rien ne meurt, la terre où tout périt. J'en dois la connaissance à M. Le Blanc (t. 11, page 353) Hina disait à Fatou: « Faites revivre l'homme après sa mort. » Fatou répond : « Non, je ne le ferai point revivre. La terre mourra, la végétation mourra, elle mourra ainsi que les hommes qui s'en nourrissent. Le sol qui les produit mourra, la terre finira, elle finira pour ne plus renaître. Ilina répond : Faites comme " vous voudrez, moi je ferai renaître la lune. » Et ce que possédait Hina, continua d'être; et ce que possédait Fatou, périt, et l'homme dut mourir. Ce mythe qui nie l'immortalité de l'âme est certainement d'une date récente.

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le soleil et la lune dans les cieux, la terre ici-bas, tout attestait à l'homme son immortalité, tout lui disait que dans la grande lutte de la vie et de la mort, la victoire, en dépit des apparences, appartient toujours à la vie. Oh! pourquoi les peuples modernes n'ont-ils plus d'oreilles pour ce langage de la nature ? Mais ils ont refusé d'écouter Celui qui est venu mettre en pleine évidence la vie et l'immortalité par la bonne nouvelle de sa mort expiatoire et de sa résurrection, et leur châtiment est un complet et final endurcissement.

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La foi dans l'immortalité de l'âme était si puissante chez les anciens que la mort n'existait en quelque manière pas pour eux. Citons ici les remarquables paroles de M. Lajard: «S'il est un fait avéré parmi ceux que de « nos jours les études archéologiques ont acquis à la << science, c'est assurément l'usage où furent les anciens peuples, de placer dans la composition de leurs monu«ments funéraires les mêmes objets, les mêmes symbo« les, les mêmes accessoires dont ils se servaient ailleurs << pour exprimer les idées de vie et de génération. Une telle « coutume, ajoute M. Lajard, se trouvait en parfaite har<< monie avec l'antique adage qui, dès l'institution des mys<«<tères, fut un des corollaires du dogme de la descente et « de l'ascension des âmes: la vie du corps est la mort << de l'âme, et la mort du corps est la vie de l'âme 1.

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Les pensées qui remplissaient le cœur des païens quand ils travaillaient à leurs tombeaux, les accompagnaient au milieu de leurs fêtes de l'hiver et du printemps, qui avaient donc pour objet les destinées de l'homme non moins que celles de la nature.

Mais, si l'année et l'homme ont leurs saisons de mort et de renaissance, le monde entier, l'univers avait eu les

1 Mémoires de l'Académie des Inscript., t. xv, part. 2, p. 63.

siennes aussi. Il était sorti, d'après la Vision génésiaque, d'un chaos de ténèbres et d'eaux, premier soir, premier hiver, qui avait été suivi, à la naissance de la lumière, d'un matin, d'un printemps, prototype de toutes les aurores qui, sous des formes diverses, ont ouvert dès lors les périodes cosmiques, les années et les jours. Chacun des cinq autres jours génésiaques avait commencé comme le premier par un soir, où les puissances du chaos avaient fait irruption dans le monde en formation, et à chacun de ces soirs avait succédé une période de lumière, de vie et de paix. Mais ces détails de la cosmogonie révélée avaient laissé peu de traces dans la mémoire des anciens peuples. Ce qu'ils n'avaient pas oublié, c'était le doux et brillant printemps d'Éden, ou l'âge d'or; c'était l'été caniculaire, torridien du temps de Caïn, qui avait menacé d'une ruine totale la nature et l'humanité; c'était l'humide, le riche, le splendide automne des Lémécides ; c'était surtout cet hiver pendant lequel les pluies des cieux et les débordements des fleuves et des mers avaient fait périr, sauf Noë, tout ce qui avait vie sur la terre. C'était ensuite ce second printemps qui vit l'ordre se rétablir dans les éléments, le soleil réchauffer de nouveau la terre impatiente de sa nudité, les familles des Noachides repeupler les régions désertes. Cependant l'année nouvelle inaugurée par cette renaissance de la nature et de l'humanité ne devait pas durer toujours; d'anciennes et véridiques prophéties annonçaient que le monde actuel périra à la fin des temps par un autre incendie, et ce ne sera qu'après cette ruine que tout sera restauré pour ne plus être détruit. Le monde avait donc ses saisons comme l'année, ses âges comme l'homme. Le même rythme marquait la mesure du jour, du mois, de l'année, de la vie de l'homme, de celle de l'univers. Chaque fête du calendrier devenait, par la force irrésistible de

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