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sciences, une histoire qui s'offre à nous sous l'image d'une immense épopée. Le peuple Primitif est le héros du premier livre, et ce livre était déjà fort avancé quand nous fûmes arrêté par le sentiment que nous ne pouvions exiger de nos lecteurs ni une foi implicite aux assertions d'un inconnu, ni assez de patience pour lire à chaque ligne du texte de longues pages de notes et de pièces justificatives. Laissant donc de côté cet ouvrage, nous en avons entrepris un autre, celui que nous publions aujourd'hui, et dans lequel se trouvent réunies toutes nos preuves, que nous avons et développées et complétées. Nous ne faisions d'ailleurs que remettre la main à un travail que nous avions ébauché en 1841. Le Peuple Primitif sera suivi immédiatement d'une courte Histoire de la terre, qui en est le complément. Nous verrons, en effet, que ce peuple a été le témoin de grandes catastrophes géologiques; et la Vision génésiaque des six jours, par laquelle s'ouvre la Bible, occupe une trop grande place dans les religions anciennes pour que nous n'en fissions pas l'objet d'une étude spéciale. Dans le but de simplifier un travail qui n'est déjà que trop vaste, nous avons détaché de l'histoire de l'humanité celle du monde physique.

Dans le présent livre, nous voulons faire juges nos lecteurs des procédés que nous avons suivis pour isoler des histoires et des mythes des peuples civilisés et sauvages les matériaux qui ont appartenu dans l'origine à cet édifice du monde primitif, que nous tentons de reconstruire. Nos procédés sont fort simples. Ils se résument en un mot, celui de comparaison.

Chacun sait quels services a rendus aux sciences naturelles et surtout à l'anatomie, la méthode de comparaison. C'est elle qui, entre les mains de M. C. Ritter, a fait subir à la géographie une transformation complète. Comment, appliquée à l'étude des traditions, n'aurait-elle pas conduit à quelque découverte ?

Pour écarter autant que possible les chances d'erreurs, nous nous sommes imposé la double obligation de ne négliger les traditions d'aucun peuple et de les comparer non par fragments, mais par séries. La série de la Genèse commence au chaos, offre deux points de repaire, la création de l'homme et le Déluge, et se termine aux temps où commence l'histoire des Hébreux. Pour la plupart des peuples païens, l'ordre chronologique de leurs mythes nous était imposé par les généalogies et les histoires de leurs dieux, de leurs rois, de leurs patriarches, de leurs héros. Nous ne pouvions pas y faire le moindre changement. Or, à chaque nouvelle colonne de traditions que nous placions en regard de celles que nous avions étudiées déjà, les points de comparaison s'établissaient comme d'eux-mêmes, et les mythes s'expliquaient les uns les autres plus encore que nous ne les expliquions nousmême. Telle a été, souvent du moins, notre impression.

C'est par cette méthode de comparaison que nous avons acquis la conviction que, pour avoir la tête de l'histoire de l'humanité, il fallait décapiter les histoires des peuples particuliers; car toutes ces têtes offrent, à la première étude quelque peu sérieuse, si peu de différences, qu'on se persuade bientôt qu'elles ne sont toutes que des copies plus ou moins grossières, plus ou moins altérées par le temps, d'un seul et même modèle.

Parmi toutes ces copies, il en est une dont les traits sont si purs et si intacts qu'elle reproduit certainement le modèle avec plus d'exactitude qu'aucune autre. Elle est à la fois la plus ancienne et la plus intelligible; mais surtout elle est la seule qui se donne pour ce qu'elle est, pour la figure de l'humanité Primitive. Les Hébreux, qui nous l'ont conservée, ont eu seuls assez de bonne foi et d'humilité pour ne pas s'approprier la gloire d'autrui leur père est Abraham et non point Noë ni Adam, et ils

sont les premiers à déclarer que les vingt siècles qui ont précédé le patriarche d'Ur, appartiennent à tous les peuples ensemble et à aucun d'eux en particulier.

Les Chaldéens, qui étaient frères des Hébreux par leur aïeul commun, Arphacsad, ont les mêmes dix patriarches antediluviens et le même déluge. Il suffisait ici d'effacer le sceau babylonien qu'ils ont imprimé sur leur histoire primitive, pour y retrouver celle de l'humanité tout entière.

Le temple de la déesse Syrienne à Hiérapolis, grâce aux explications même de l'incrédule Lucien, enseigne les vraies origines de l'idolâtrie. Elle a sa triple source dans la foi au vrai Dieu transformé en un Jupiter imposant et sévère, dans l'amour de la nature personnifiée en une Bonne Déesse, et dans ces terreurs du Déluge, que Boulanger a fait revivre dans l'Antiquité dévoilée par ses usages, livre étrange, où beaucoup de talent, une vaste et saine érudition et la vérité historique sont au service de la plus déplorable de toutes les erreurs.

L'histoire primitive des Phéniciens a été conservée par Philon de Byblos. Bien d'autres avant nous y ont cherché celle du monde antédiluvien. Elle y est en effet, mais sous une double forme : ce sont d'abord de simples traditions dans le genre de celles de la Genèse, puis vient un second récit de ces mêmes événements dans l'obscur langage des mythes. La découverte de ces deux histoires. identiques, l'une légendaire, l'autre fabuleuse, illumina tout le champ de nos recherches. Les fragments de Philon ou de Sanchoniathon devinrent en quelque manière notre inscription bilingue de Rosette. Le texte vulgaire nous fournissait le sens des mythes du texte sacré, et ces mythes étaient simplement de l'histoire en hieroglyphes parlés. Pour ne citer qu'un exemple, nous lisions à droite qu'il y avait eu de grandes sécheresses au temps de Gen=Caïn, et à gauche, que le Ciel avait tenté de faire périr les

premiers hommes,... sans doute par ces sécheresses. Ainsi se forma pour nous la première partie d'un dictionnaire de l'idiome mythique, qui se compléta peu à peu dans le cours de nos études; car à chaque pas s'offrait à nous une preuve nouvelle que toutes les nations ont connu ce même langage. Il devait donc être déjà plus qu'à demi formé lors de leur dispersion.

L'Égypte a, comme la Phénicie, ses deux séries parallèles de mythes et de traditions, de dieux et de rois. Son Panthéon est, à tout prendre, d'une interprétation facile; à côté de nombreuses divinités cosmogoniques apparaît Osiris, dont la vie est celle de l'humanité primitive. Mais l'histoire de ce peuple des énigmes nous a opposé longtemps une grande résistance. Ses dynasties, rangées en un si bel ordre de bataille, ses rois, dont les années sont comptées avec une si minutieuse exactitude, la nature des événements dont la mémoire est liée à tel ou tel de ces princes, l'autorité de noms aussi dignes de respect que ceux de MM. de Bunsen et Lepsius, tout était bien fait pour nous ôter l'espoir de retrouver dans les premières pages de ses fastes les destinées du monde antediluvien. Toutefois, Ménès était manifestement le même que le Manou de l'Inde ou Adam, et son successeur Atet ou Tet ne pouvait être que Seth. La Chine nous donna la valeur des rois suivants. Mais ce ne fut que lorsque la prétendue histoire de Nitocris se fût changée pour nous en un mythe diluvien que la lumière pénétra dans les dédales du labyrinthe.

La Chine antique, monothéiste ainsi que la Judée, n'a pas de mythologie. Les souvenirs qu'elle a conservés du monde Primitif, elle les a déposés, intacts dans ses hiéroglyphes, altérés en tête de son histoire nationale. Après les travaux des missionnaires et de M. de Paravey, il était aisé d'enlever aux premiers empereurs leur masque chinois et de lire sur leur front leurs vrais noms, qui sont ceux des patriarches antédiluviens séthites et caïnites.

Le peu de mythes qui se mêlent à leurs biographies sont écrits dans cette même langue symbolique qui a été usitée en Égypte et en Phénicie. La Chine donc, toute mongole qu'elle est, s'accorde admirablement, par ses quelques fables, avec le paganisme occidental, par ses nombreuses traditions avec la Genèse, et jette une vive lumière sur les véritables destinées de l'humanité primitive.

Au Japon, la plus ancienne religion nous présente quelques mythes et fort peu de légendes. Mais les uns et les autres ne font que raconter, dans le style de la Chine et de l'Occident, cette même histoire des temps antédiluviens.

A la race mongole qui a peuplé le Japon et la Chine, appartiennent les Aborigènes du Nouveau-Monde, qui tous ont gardé avec une extraordinaire fidélité la mémoire du Déluge, et plusieurs, celle de la révélation cosmogonique et de la chute de l'homme. Au Mexique, les traditions indigènes se sont unies à celles du bouddhisme.

Les Malais de l'Océanie, qui sont, comme les Américains et les Chinois, pauvres en mythes, nous surprennent parfois, comme eux aussi, par l'exactitude et la clarté de leurs traditions relatives aux temps primitifs.

Chez les Nègres de l'Océanie, ni mythes ni légendes. Chez ceux de l'Afrique, quelques fables et quelques traditions, qui sont en une complète harmonie avec celles des autres races, et qui sont d'autant plus précieuses qu'elles sont moins nombreuses.

En mettant le pied sur le sol qu'occupent en Asie les peuples caucasiques, on entre dans le vrai domaine des mythes. Là, l'esprit symbolique et mythique s'est développé avec une telle puissance qu'il a pour ainsi dire étouffé la naïve et fidèle tradition.

C'est en particulier le cas des Ariens de l'Inde, tel que le RigVéda les fait connaître. En Allemagne, en France, en Angleterre,.

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