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uns par les citoyens, d'autres par le premier consul, leş
autres par le sénat. Le sénat conservateur (que Sieyès ap-
pelait jury constitutionnaire) est une assemblée de quatre-
vingts personnes inéligibles à toute autre fonction (1), se
recrutant elle-même, chargée d'élire les législateurs, les
tribuns et les consuls, et d'annuler les actes inconstitu→
tionnels sur la réclamation du tribunat ou du gouverne-
ment. Un article spécial désigna Bonaparte comme pre-
mier consul; Cambacérès et Lebrun, ses deux acolytes, P
furent chargés avec Sieyès et Roger-Ducos de nommer,
sans attendre les listes d'éligibilité, la majorité du sénat,
qui se compléta ensuite de son chef. La constitution de
l'an viii, faite par des individus sans mandat, fut offerte
à l'acceptation du peuple, mais non plus dans les assem-
blées primaires comme les précédentes. Une loi du 23 fri-
maire chargea les consuls provisoires de faire ouvrir chez
les notaires, les juges de paix, les greffiers, etc., des re-
gistres où les citoyens pussent consigner leurs votes. Le
résultat, proclamé par les consuls le 18 pluviose an vIII,
fut l'acceptation par 3,011,007 suffrages contre 1,562.

Bonaparte, dès l'an x, demanda au sénat une réélection anticipée pour dix ans, espérant que les sénateurs le déclareraient spontanément consul à vie. Cette dernière proposition fut faite par des officieux, mais rejetée par la majorité (2). Bonaparte désappointé prit le parti de s'adresser directement à la nation; un arrêté signé par Cambacérès, le deuxième consul, décida que le peuple serait consulté sur cette question: Napoléon Bonaparte serat-il consul à vie? toujours au moyen de registres ouverts chez les fonctionnaires publics. Sur 3,577,259 votans, 3,568,885 répondirent affirmativement. Il ne résultait

(1) Le sénatus-consulte du 16 thermidor an x modifia cette disposition (art. 64).

(2) V. l'Essai sur la charte, de Lanjuinais (ancien sénateur), n°72.

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point de ce vote que la constitution dût être modifiée; cependant elle le fut après coup par un simple sénatusconsulte, qu'on se dispensa d'offrir à l'acceptation du peuple. Le sénat s'y chargea lui-même de régler par des sénatus-consultes organiques tout ce qui n'avait pas été prévu par la constitution, ou qui serait nécessaire à sa marche, et d'expliquer les articles susceptibles de différentes interprétations. « Sénateurs, leur dit-on à ce sujet, il faut fermer sans retour la place publique aux Gracques. Le vœu des citoyens sur les lois politiques auxquelles ils obéissent s'exprime par la prospérité générale; la garantie des droits de la société place absolument le dogme de la pratique de la souveraineté du peuple dans le sénat, qui est le lien de la nation. Voilà la seule doctrine sociale. » Le sénatus-consulte du 16 thermidor an x donnait en outre au sénat le droit de suspendre le jury pendant cinq ans, de déclarer des départemens hors de la constitution, d'annuler des jugemens, de dissoudre le corps législatif et le tribunat. Il établissait des colléges électoraux d'arrondissement et de département, qui présentaient des candidats pour le corps législatif, le sénat et le tribunat et d'autres fonctions; mais les électeurs étaient à vie et choisis, au moins ceux de département, parmi les six cents plus imposés ; le premier consul pouvait ajouter aux divers colléges un certain nombre de membres de la légion d'honneur. Le tribunat, déjà décimé auparavant, était réduit à cinquante membres.

Un complot tramé contre la vie de Bonaparte fournit bientôt une occasion naturelle de rendre le pouvoir héréditaire dans sa famille. Le 22 floréal an XII un nouveau sénatus-consulte organique confia le gouvernement de la république à Napoléon Bonaparte, empereur des Français, et acheva de désorganiser la constitution de l'an vIII. L'empereur fut entouré de princes français, de grands di

gnitaires et de grands officiers de l'empire; les tribunaux devinrent des cours de justice. Le tribunat fut partagé en trois sections, et ne put plus discuter les projets de loi en assemblée générale (1). On soumit au peuple, toujours au moyen de registres, la proposition suivante : « Le peuple veut l'hérédité de la dignité impériale dans la descendance de Napoléon, Joseph et Louis Bonaparte, ainsi qu'il est réglé par le sénatus-consulte du 28 floréal an XII. » Sur 3,524,254 suffrages, 3,521,675 furent favorables; mais Napoléon n'attendit pas le résultat et prit sur-lechamp le titre d'empereur, par la grâce de Dieu et les constitutions de la république (2). Le 2 décembre 1804, celui que Lalande avait inscrit dans son dictionnaire des athées, se fit sacrer par le pape. Je m'abstiens de parler ici d'une foule d'institutions accessoires qui servirent à fortifier progressivement le despotisme impérial, comme le conseil d'état qui s'empara de la juridiction administrative; les préfets, que Napoléon appelait des empereurs au petit pied; le concordat qui ramena le clergé officiel et salarié ; les titres impériaux et la légion d'honneur qui reproduisirent sous un pseudonyme la noblesse et les ordres de chevalerie; les majorats; les juges auditeurs, et bien d'autres encore (3).

La puissance de l'empereur était trop bien affermie pour ne pas subsister au moins jusqu'à sa mort, si, dans ses conquêtes extérieures, il avait su toujours allier la modération et la prudence au génie ; mais son ambition démesurée ne lui permit pas de faire le moindre sacrifice pour les conserver.

́1) Le tribunat fat définitivement supprimé par un sénatusConsulte du 19 août 1807.

(2) Le mot république ne disparut guère que vers 1808.

(5) Ce qu'il y a de plus remarquable dans la marche rétrograde de Napoléon, c'est la mesure, la patience avec laquelle il a pro

En 1814, une levée en masse pouvait le sauver; mais il aurait fallu promettre quelques libertés à un peuple fatigué de la servitude. Napoléon tenait autant à son despotisme qu'à ses conquêtes; il perdit tout. L'empereur de Russie, maître de la capitale, se déclara en faveur des Bourbons, oubliés depuis quinze ans. Le 1er avril, sur la convocation de M. Talleyrand, trente sénateurs environ nommèrent un gouvernement provisoire, chargé de présenter au sénat un projet de constitution. Le 3 avril, le sénat, considérant que, dans une monarchie constitutionnelle, le monarque n'existe qu'en vertu de la constitu tion; que Napoléon avait déchiré le pacte qui l'unissait au peuple français, notamment en levant des impôts, en entreprenant des guerres autrement qu'en vertu d'une loi, en violant la constitution par ses décrets, en détruisant l'indépendance des corps judiciaires, en soumettant

cédé à tous ses envahissemens, « marchant, comme il l'a dit luimême, à la journée, sans s'écarter d'un point fixe, étoile polaire sur laquelle il se dirigeait pour conduire la révolution au port où il voulait la faire aborder. » (Mémoires écrits à Sainte-Hélène, t. 1, p. 248.) Le tableau suivant rend frappante la vérité de cette observation.

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la liberté de la presse à la censure arbitraire de sa police, en altérant dans leur publication des actes et des rapports entendus par le sénat, etc., etc., prononça la déchéance de l'empereur et l'abolition de l'hérédité dans sa famille, Le 6 avril, la constitution fut décrétée. Chose étrange, elle renfermait presque textuellement toutes les bonnes dişpositions de la Charte de 1814, en y comprenant les réformes faites en 1830, si ce n'est que le sénat était déclaré héréditaire! Elle devait être soumise à l'acceptation du peuple; et annonçait que Louis-Stanislas-Xavier, frère du dernier roi, serait proclamé roi des Français, aussitôt qu'il aurait juré et signé un acte portant acceptation de la constitution (1).

Ces deux conditions suffisaient pour que Louis XVIII, qui se disait depuis 19 ans roi de France et de Navarre par la grâce de Dieu, se souciât peu d'adopter l'œuvre du sénat. Il déclara le 2 mai 1814, à Saint-Ouen, qu'il ne pouvait accepter le plan de constitution proposé, parce qu'il était indispensable de le rectifier; mais qu'il convoquait le sénat et le corps législatif pour le mois de juin, s'engageant à mettre sous leurs yeux le travail qu'il ferait avec une commission choisie dans le sein de ces deux corps. Les ministres (car il y en avait déjà de définitifs) choisirent en effet des sénateurs et des législateurs qui eurent avec eux et d'autres commissaires royaux des conférences verbales (2). Le 4 juin, dans une séance où furent convoqués ceux des sénateurs que le roi voulait faire pairs, après des discours du roi et du chancelier, qui annonça une ordonnance de réformation, une grande Charte, que le roi lui ordonnait de mettre sous les yeux de l'ancien sénat

(1) Un article qui conservait aux sénateurs leurs dotations et leurs sénatoreries, servit à ridiculiser aux yeux des français un acte qui aurait peut-être changé la face de la restauration. (2) V. Lanjuinais, Essai sur la charte, no 93.

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