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l'édition officielle), où l'on déclare que toutes les lois, en ce qu'elles ont de contraire aux dispositions adoptées pour la réforme de la Charte, sont abrogées. En effet, on a laissé subsister l'article 68 (59) portant que les lois contraires à la présente Charte ne sont pas maintenues. Evidemment, si les deux actes sont identifiés l'un avec l'autre, l'une des deux formules abrogatoires devient superflue; leur concours s'explique tout naturellement si les deux actes sont distincts. Le préambule de l'ordonnance du 14 août vient encore confirmer ma proposition; il est ainsi conçu: Nous ordonnons que la Charte constitutionnelle de 1814, telle qu'elle a été amendée par les deux chambres le 7 août, et acceptée par nous le 9, sera de nouveau publiée. » Enfin il y a 46 articles de la Charte de 1814, maintenus tacitement par le texte qui supprime ou modifie les 30 autres. L'examen qui a été proposé de quelques uns d'entre eux a été repoussé par la question préalable, et ils n'ont pas été décrétés de nouveau; il faut bien leur conserver leur date première (1). Ainsi notre droit constitutionnel résulte de deux sources distinctes: la Charte de 1814 et la déclaration du 7 août 1830. Il y a bien des dispositions qu'on ne peut expliquer que par cette circonstance; telles sont l'abolition de la conscription, la garantie des ventes de biens nationaux, la restitution de ses titres à l'ancienne noblesse, l'amnistie des opinions et votes antérieurs à la restauration (v. art. 10).

La combinaison des deux actes aurait été une cause perpétuelle de confusion et d'embarras dans la pratique : on se rappelle combien on avait de peine sous l'empire à reconnaître quels étaient les principes en vigueur au milieu de ces constitutions et de ces sénatus-consultes organiques qui se détruisaient mutuellement. Mais la chambre

(1) V. pour une application, l'article 60.

ayant procédé par voie de suppression et de substitution expresse, en indiquant le numéro des articles, il a été facile d'effectuer l'amalgame que sa précipitation ne lui avait pas permis d'opérer elle-même. Tel est le but de l'ordonnance du 14 août 1830, contresignée Guizot, qui ordonne de publier de nouveau la Charte de 1814 amendée. On y a inséré la troisième partie de la déclaration; il aurait fallu y comprendre également la quatrième, qui établit l'hérédité de la couronne, et surtout la seconde, qui consacre le nouveau principe du gouvernement; mais l'impossibilité de le faire sans remanier le texte s'y est opposée. L'usage s'est établi de citer les articles par le numéro qu'ils ont dans le texte officiel du 14 août; le législateur l'ayant ratifié par son exemple (Voyez entre autres, la rubrique de la loi sur la pairie), j'ai dû m'y conformer. Je dirai aussi, comme tout le monde, la Charte de 1830, bien que la majeure partie doive régulièrement être datée de 1814, parce que la suppression du préambule de Louis XVIII modifie l'esprit général des articles conservés, en leur ôtant le caractère de concession. D'ailleurs les auteurs de la déclaration, en ne comprenant pas ces articles dans leur examen (Voyez art. 68), se les sont en quelque sorte appropriés et les ont couverts de leur responsabilité. On est en droit de leur demander compte de la non-conformité de telle ou telle disposition avec les nouveaux principes qu'ils ont établis. J'avertis donc que je supposerai tous les articles datés du 7 août 1830, dans l'appréciation que je tâcherai d'en faire, sans âpreté comme sans ménagement. Voici le résumé des réformes qu'a subies la Charte de 1814:

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Articles supprimés,
Articles ajoutés,

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Parmi les modifications, trois seulement offrent un intérêt de premier ordre (Voyez ci-après les art. 15, 32, 34, qui attribuent l'initiative aux deux chambres et placent les conditions de l'électorat et de l'éligibilité dans le domaine du législateur; il faut y joindre la loi de 1831, qui abolit l'hérédité de la pairie); trois sont d'une importance secondaire (Voyez art. 27, 35, 37); trois sont d'une utilité plus ou moins douteuse (Voyez art. 6, 7, 31); les autres sont presque indifférentes ou sans résultat. Parmi les suppressions, celle de l'art. 6 mérite des éloges; sur les quatre additions, il n'y a d'important que l'article dernier, qui renferme la promesse de plusieurs lois organiques.

Ajoutons à ce tableau la suppression du préambule de 1814, selon le vœu et dans l'intérêt du peuple français, auquel appartiennent essentiellement les droits qu'on disait lui octroyer. On a vu là, du moins assez généralement, la résurrection du principe de la souveraineté du peuple. Il aurait peut-être mieux valu emprunter à la constitution de 1791, comme le proposait M. Persil, les articles suivans qui auraient été placés avant l'article 12: « La souveraineté appartient à la nation; elle est inaliénable et imprescriptible. La nation, de qui seule émanent tous les pouvoirs, ne peut les exercer que par délégation. >> La consécration du principe aurait été incontestable ; mais M. Dupin ayant prétendu que la rédaction de la commission rendait sans objet la proposition de M. Persil, celle-ci ne fut même pas mise au voix.

Cependant le texte de la déclaration n'explique pas de quelle source dérivent les pouvoirs politiques; il parle seulement des droits des Français, ce qui peut s'appliquer a la liberté individuelle, la liberté de la presse, l'égalité

devant la loi, l'admissibilité aux emplois, etc. Mais comme la chambre des Députés déclare que ses décisions sont fondées sur le vœu et l'intérêt du peuple français, et que la Charte de 1814 doit cesser d'être considérée comme une concession, on arrive bien forcément à conclure que les pouvoirs établis par la Charte et confirmés par la déclaration, sont constitués selon le même vœu et dans le même intérêt.

On conçoit que le vœu d'un peuple puisse être opposé à ses intérêts véritables; aussi des publicistes prétendentils que la souveraineté du peuple doit céder devant son intérêt bien entendu ; néanmoins je pense que les deux principes se confondent, Le plus souvent la décision de l'opinion publique sera conforme à l'intérêt du public; dans les cas où elle s'en écartera, il vaudra toujours mieux travailler à l'éclairer que violenter la nation pour la rendre en quelque sorte heureuse malgré elle. D'ailleurs vaut-il mieux, pour reconnaître le véritable intérêt d'un peuple, s'en rapporter à quelques individus isolés, même en les supposant des philosophes du premier ordre, des sages exempts de tout amour du pouvoir, qu'à des représentans tirés de toutes les parties du territoire et revêtus de la confiance des citoyens? Je ne le crois pas. Enfin, il est constant que les lois n'inspireront un respect et un attachement général que lorsqu'elles seront, comme l'a dit Rousseau, l'expression de la volonté générale. En fait, la souveraineté du peuple se concentre parmi les gens, éclairés ; c'est une raison pour eux d'employer tous leurs efforts à propager et généraliser leurs lumières, afin qu'on ne les accuse pas d'aspirer au monopole des jouissances sociales.

Le principe de la souveraineté du peuple n'a pas grande importance considéré affirmativement, je veux dire comme attribuant un droit ou une faculté ; puisque

jamais des individus isolés ne pourront empêcher une nation de régler la forme de son gouvernement, lorsqu'elle le voudra formellement : démontrer qu'elle en a le droit, est donc aussi superflu que de démontrer qu'un enfant a droit de devenir homme. Il a plutôt une valeur négative, en ce sens qu'il exclut tout principe contraire; par exemple, celui qui fonderait l'autorité sur la grâce de Dieu, ou sur une possession immémoriale, ou même sur les lumières prétendues de ceux qui l'exercent.

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