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s'applique surtout à l'ordre judiciaire.- La loi paraît n'a voir fixé nulle part un âge auquel doive cesser l'exercice des emplois : il est même des fonctionnaires qu'elle déclare inamovibles pour les rendre indépendans du gouvernement qui les nomme (article 49). Elle s'en remet en quelque sorte à eux du soin de donner leur démission lorsqu'ils se sentiront impropres à servir l'Etat. Je pense que c'est à tort. L'amour-propre inné chez l'homme, lui permet difficilement de s'avouer à lui-même l'affaiblissement de ses facultés; d'ailleurs ses intérêts pécuniaires et ceux de sa famille s'opposent souvent à ce qu'il consente à échanger un traitement lucratif contre une modique pension de retraite. On préviendrait tout embarras en déterminant l'âge auquel une fonction quelconque cesserait de plein droit (1).

La loi est trop sobre de conditions de capacité distinctes de l'âge : la méthode du concours ou de l'épreuve publique des candidats, jusqu'à présent exclusivement appliquée aux fonctions de l'enseignement, est susceptible d'être étendue davantage (v. article 48). C'est certainement le meilleur moyen d'écarter la paresse et la médiocrité excessive. Il y a une précaution à prendre en adoptant le système de la capacité, si raisonnable d'ailleurs ; c'est de faciliter à la masse l'acquisition des connaissances exigées; autrement, si les gens riches étaient seuls à même d'y aspirer, on créerait sans s'en douter une véritable aristocratie de fortune.

Le but de la loi, en admettant des causes d'incompatibilité, est de garantir la bonne exécution du service, d'assurer l'indépendance de certaines fonctions (V. article 32), d'empêcher la cupidité d'accumuler les traitemens. Il

(1) Dans l'état de New-York, tout juge âgé de soixante ans est obligé de donner sa démission.

existe des dispositions légales qui prohibent le cumul des salaires au delà d'une certaine quotité (loi du 28 avril 1816, article 78). Elles sont mal observées et les exceptions sont beaucoup trop nombreuses.

La fixation des traitemens n'est point étrangère à l'admissibilité aux emplois; car lorsqu'ils sont trop faibles pour suffire à l'entretien raisonnable du fonctionnaire, il en résulte une espèce d'exclusion pour les hommes personnellement dénués de fortune (V. article 48). En revanche, lorsqu'ils sont trop élevés, ils grèvent le trésor public outre mesure; la législation actuelle est loin d'être irréprochable sous ces deux points de vue. Une disproportion extrême règne entre les divers traitemens. Il y a des fonctionnaires qu'on paye fort cher, sous le singulier prétexte qu'ils ont besoin plus que d'autres de représen– ter, c'est-à-dire d'afficher un certain luxe aux yeux du public et à ses dépens. Chose étrange, on ignore encore généralement en France que les emplois et les magistratures de toute espèce sont institués dans l'intérêt exclusif de la nation, et nullement pour satisfaire la vanité, l'ambition et l'avarice de ceux qui en sont revêtus. On les considère presque partout comme un moyen indispensable pour faire figure dans le monde; aussi la tourbe des solliciteurs s'accroît-elle incessamment. « Chacun, dit Paul-Louis Courier (lettre II au Censeur), chacun maintenant cherche à se placer, ou, s'il est placé, à se pousser. On veut être quelque chose.....! On est quelque chose en raison du mal qu'on peut faire. Un laboureur n'est rien; un homme qui cultive, qui bâtit, qui travaille utilement, n'est rien. Un gendarme est quelque chose, un préfet est beaucoup; Bonaparte était tout. Voilà les gradations de l'estime publique, l'échelle de considération suivant laquelle chacun veut être Bonaparte, sinon préfet, ou bien gendarme. »

ARTICLE IV. Leur liberté individuelle est également garantie, personne ne pouvant être poursuivi ni arrêté que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu'elle pres

crit.

La liberté est la faculté (1) de faire ce qu'on veut; ses qualifications varient dès lors avec les objets de la volonté. La liberté 'individuelle est la faculté de se mouvoir, de changer de place; la liberté religieuse est celle de professer hautement ses opinions religieuses; la liberté de la presse est la faculté de manifester sa pensée par la voie de l'impression (voir les trois articles suivans). -La liberté illimitée n'existe nulle part; chez les sauvages elle est restreinte par la nature des choses, plus forte que la volonté de l'homme; chez les peuples civilisés, elle est en outre restreinte par les lois qui, dans l'intérêt de la communauté, s'attachent à prohiber les actes nuisibles. En revanche, elle est plus également répartie entre les individus; dans l'état sauvage le plus fort fait prévaloir sa volonté sur celle du plus faible, même au détriment de celui-ci; l'état social fait disparaître cette inégalité, en couvrant le faible de sa protection. D'ailleurs les limitations que la loi apporte à l'exercice de la volonté doivent être en plus petite quantité possible; toutes celles qui sont le fruit d'un pur caprice législatif, et ne procurent aucun avantage à la communauté, causent un mal; car le bonheur souverain pour l'homme serait de satisfaire tous ses désirs; plus on l'en empêche, plus on le rend malheureux. Il est donc vrai de dire que la liberté doit être le principe; la gêne, l'exception. Tout ce que la loi ne défend

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(1) Cette faculté devient un droit, quand elle est consacrée par la loi.

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pas, soit directement, soit par l'intermédiaire des autorités qu'elle établit et dans le cercle de leurs attributions est permis ; et nul ne doit être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas, avec la même distinction (1).

En garantissant la liberté individuelle, la Charte n'entend pas parler d'une liberté sans limite, car elle suppose expressément qu'on en peut être privé suivant les cas. En disant qu'elle la garantit également, elle interdit seulement au législateur d'accorder une protection plus étendue aux nobles qu'aux roturiers, ou pour parler plus exactement, à ceux qui ont des titres et des rangs qu'à ceux qui n'en ont pas (V. les articles précédens). Du reste la liberté des magistrats est plus spécialement protégée que celle des autres citoyens (V. articles 12, 29, 43, 44; Code d'instruction criminelle, articles 479 et suivans). L'âge et le sexe ont aussi motivé un privilége dans certains cas (Code civil, articles 2064, 2066; Loi du 17 avril 1832, articles 2, 4, 6, 12, 18, 40; Code de procédure, article 800, 5o).

Quelle garantie résulte de l'article 4 pour la liberté individuelle des Français? - Une seule et bien faible: elle consiste dans l'obligation imposée au législateur de prévoir les cas où l'arrestation doit avoir lieu, et de prescrire la forme suivant laquelle on doit y procéder. Le législateur ne pourrait se reposer de ce soin sur le pouvoir exécutif. Après cela qu'il multiplie les cas d'arrestation jus qu'à l'infini, qu'il simplifie les formes à l'excès, on ne pourra l'accuser de violer la constitution, puisque nulle limite ne lui est tracée. Le même vague se trouve dans l'article 7 de la déclaration des droits de l'homme de 1 1791: c'est qu'alors on était préoccupé du souvenir des lettres de

(1) V. Déclaration des droits de 1791, art. 5, et la critique de Bentham.

cachet, au moyen desquelles les Français d'avant 1789 étaient emprisonnés sans forme de procès, et qui s'étaient multipliées à tel point que les moindres employés des ministres en avaient à leur disposition (r). On croyait beaucoup faire en substituant l'arbitraire législatif à l'arbitraire ministériel. Toutefois, on inséra dans la constitution de 1791 un certain nombre de dispositions protectrices qui ont passé dans les constitutions suivantes et qu'on regrette de ne pas retrouver dans la Charte, dont le texte n'empêche nullement de suspendre la liberté individuelle, comme cela s'est fait au commencement de la restauration. Quoi qu'il en soit, il faut jeter un coup d'œil rapide sur la législation actuelle pour voir si, conformément au vœu plutôt qu'à l'injonction de la Charte, elle garantit réellement la liberté, c'est-à-dire, si elle se borne à autoriser l'arrestation dans les cas où l'intérêt public le commande, et si les formes qu'elle prescrit protègent suffisamment les individus contre la négligence ou la prévarication des fonctionnaires publics. Et d'abord, je dois signaler un vice de rédaction dans le texte de l'article 4, bien qu'il s'occupe uniquement de l'arrestation et de la poursuite (qui n'a pas une relation nécessaire avec la liberté individuelle) il s'applique sans aucun doute à la détention et à l'action de retenir en prison quelqu'un qui s'y trouve déjà (2). En effet, la détention n'est au fond, selon l'expression de Lanjuinais, qu'une arrestation continuée. Il serait bizarre que la prolongation de l'illégalité fût suffisante pour la légitimer. Mais il n'est pas aussi fa

(1) « Aucun citoyen n'est assuré de ne pas voir sa liberté sacrifiée à une vengeance; car personne n'est assez grand pour être à l'abri de la haine d'un ministre, ni assez petit pour n'être pas digne de celle d'un commis des fermes. » Remontrances faites à Louis XV par Malesherbes, au nom de la cour des aides, le 14 août 1770.

(2) Ce qu'on appelle recommandation en matière civile.

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