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de 1835, paraît remettre en vigueur l'article 8 de la loi de 1819, qui protége la morale religieuse; cependant depuis qu'il n'y a plus de religion de l'Etat, la morale religieuse est chose essentiellement variable. Enfin, je ne sais avec quelle restriction il faut entendre la défense de faire l'apologie d'un fait légalement qualifié délit; mais je crains que son interprétation littérale ne rende désormais coupable la publication des ouvrages de nos plus habiles criminalistes. Et, en effet, comment critiquer une loi pénale, sinon en disant qu'elle punit trop sévèrement ou qu'elle ne devait pas punir du tout? Dans le dernier cas on fait évidemment l'apologie du fait qualifié délit. Le législateur n'entendait probablement pas empêcher de provoquer, dans des termes convenables, la réforme des lois; mais il fallait le dire, d'autant mieux que les dispositions pénales qui laissent trop à l'arbitraire du juge, outrepassent généralement leur but par la crainte qu'elles inspirent de voir incriminer la phrase la plus innocente (1). En somme, le meilleur parti est d'affranchir de toute entrave la discussion exempte de provocation et d'injure. « Là où il n'y a pas de liberté pour l'erreur, il n'y en a pas pour la vérité. » Quelle que soit la puissance des hommes chargés de faire les lois, ils sont, en tant que logiciens, aussi faillibles que les autres ; ils doivent donc s'abstenir d'employer leur puissance pour faire prévaloir leurs opinions. Une proposition se prouve par des argumens et par des décrets accompagnés de peines plus ou moins rigoureuses. Tout le monde est aujourd'hui du sentiment de Galilée, emprisonné pour avoir dit

terre tourne.

que

la

(1) Le lièvre de Lafontaine craignait que quelque inquisiteur n'allát interpréter à cornes la longueur de ses oreilles.

ARTICLE VIII. Toutes les propriétés sont inviolables, sans aucune exception de celles qu'on appelle nationales, la loi ne mettant aucune différence entre elles.

Dans le sens le plus étendu, on appelle propriété tout droit exclusif à certains avantages, ce qui comprend, outre les biens proprement dits, les créances, les noms, les titres, etc. On nomme propriété, dans un sens plus restreint, la réunion des droits de jouir et de disposer d'une chose conformément aux lois (Code civil, art. 544). Ces droits, lorsqu'ils sont séparés, prennent le nom d'usufruit, d'usage, de nue-propriété, etc. Dire que la propriété est inviolable, c'est dire qu'on ne peut dépouiller un propriétaire de son bien, sans son consentement (V. Déclarat. des droits de 1791, art. 17). Présentée dans des termes aussi généraux, la proposition serait inexacte : en effet, d'après la Charte elle-même, l'Etat peut exiger le sacrifice d'une propriété, pour cause d'intérêt public (art. 9); l'obligation de payer l'impôt repose sur une violation de la propriété (art. 2); diverses peines, telles que l'amende et la confiscation spéciale, n'ont pas d'autre base. Enfin, un principe du droit privé, veut que tous les biens d'un débiteur soient le gage de ses créanciers, qui peuvent, à défaut de paiement, les faire saisir et vendre, pour se satisfaire sur le prix (Code civil, art. 2093, 2204, Code de procéd., titres des saisies). Le droit de propriété souffre encore une foule de modifications partielles sous le nom de servitudes, pour motif d'utilité blique ou privée (Code civ., art. 649, 661, 682, etc.). La première partie de l'article 8 ne doit donc pas être isolée de la seconde : les rédacteurs ont simplement voulu dire que les acquéreurs de biens nationaux obtiendraient la même protection que les propriétaires dont les biens ont une origine différente, ou, en d'autres termes, que les

pu

ventes de domaines nationaux seraient irrévocablement maintenues (V. Constitut. du sénat, art. 24). ›

Les biens nationaux se composent des biens ecclésiastiques attribués à la nation par la loi du 2 novembre 1789; et des biens confisqués sur les émigrés en vertu de diverses lois de la révolution. La confiscation est une peine odieuse, parce qu'elle rejaillit sur la famille du condamné, et la Charte a bien fait de la supprimer (art. 57); mais elle a été autorisée par la loi à diverses époques ; et dès lors les acquéreurs des biens qui en ont été frappés, ont un titre Tégitime; s'il en était autrement, il n'y aurait pas de raison pour dépouiller uniquement ceux qui ont acquis les biens confisqués pendant la révolution ; il faudrait également s'adresser aux possesseurs de biens confisqués sous l'ancien régime ou en vertu du Code pénal de 1810 à 1814. Quoi qu'il en soit, toutes nos constitutions ont cru devoir trancher la difficulté par une disposition spéciale, à cause de son importance; et la Charte de 1814 devait d'autant moins se taire sur ce point, que les émigrés achevaient alors de rentrer sur le territoire français avec des prétentions qui ont abouti plus tard à la loi du 27 avril 1825, en vertu de laquelle 30,000,000 de rentes, au capital d'un milliard, ont été employés à indemniser les propriétaires de biens confisqués. Cette mesure, dont il est inutile aujourd'hui de discuter le mérite, a eu pour effet de consolider définitivement les acquisitions de biens nationaux; aussi la promesse de l'article 8 pouvait disparaître de la Charte, en 1830, sans inconvénient grave.

A l'égard des biens ecclésiastiques, le maintien de leurs acquéreurs avait déjà été stipulé par l'article 13 du concordat de l'an Ix. D'ailleurs qui pourrait en réclamer la restitution? ce n'est pas, à proprement parler, le clergé qui en était propriétaire; c'étaient des biens frappés d'une substitution perpétuelle au profit du culte catholique,

avec exemption de toute charge étrangère à leur destination; seulement, le clergé, en sa qualité d'interprète de la puissance divine, réglait librement la quotité des sacrifices réclamés par l'Etat dans des besoins urgens, sacrifices qui devaient être calculés de manière à ne pas porter préjudice à la destination essentielle des biens ecclésiastiques. «Notre amour pour la patrie, disait le clergé, deviendrait criminel, si nous en suivions les mouvemens aux dépens du dépôt qui nous est confié. Nos dons ne sont permis qu'autant qu'ils seront libres et volontaires (1). Alors même que l'assemblée constituante n'aurait pas eu à combler le déficit que lui léguait l'ancien régime, elle aurait été conduite à s'emparer des biens ecclésiastiques, par la nécessité de remettre dans le commerce une masse d'immeubles, dont la valeurs'élevait à plusieurs milliards, et qui ne contribuaient pas aux charges publiques, uniquement pour le profit d'une croyance particulière ou plutôt de ses ministres, qui, à l'aide de ces richesses immenses, pouvaient facilement s'ériger en puissance indépendante de l'Etat.

L'intérêt général commande impérieusement de multiplier les propriétaires. Dans ce but, il convient d'assurer l'égalité des partages de succession, et de limiter la faculté de tester dont le libre exercice permet à des générations qui s'éteignent, de lier, sans sacrifice de leur part, les générations suivantes au maintien de principes qui changent quelquefois dans l'intervalle. Ainsi il faut faut prohiber les substitutions dont le seul avantage est de perpétuer l'éclat des titres nobiliaires, et les libéralités illimi

(1) Remontrances du clergé sur ses franchises; le 15 juin 1788. -Une vente d'une portion des biens de l'Eglise avait déjà eu lieu en 1563, en vertu d'un édit qui fut enregistré le 27. mai dans un lit de justice. On s'opposait à la vente parce que le consentement du pape, demandé par le roi, n'arrivait pas.

tées au profit d'établissemens ou de corporations dont l'utilité pour la masse n'est pas suffisamment constatée. Telle était la disposition des articles 896 et 910 du Code civil, modifiés par la loi du 17 mai 1826 sur les substitutions et celle du 2 janvier 1817, relative aux établissemens religieux légalement reconnus. Il leur est permis d'acquérir des biens par donation, legs ou autrement, avec l'autorisation du roi, et de les aliéner avec la même autorisation.

ARTICLE IX. L'État peut exiger le sacrifice d'une propriété pour cause d'intérêt public légalement constaté, mais avec une indemnité préalable.

Après avoir posé le principe de l'inviolabilité de toutes les propriétés, les rédacteurs de la Charte ont sans doute jugé nécessaire de spécifier l'exception qu'il doit souffrir dans l'intérêt général; mais, comme je l'ai fait voir tout à l'heure, il y en a bien d'autres encore. Il fallait ou les mentionner toutes, ou les passer toutes sous silence. Celle-ci se trouvait d'ailleurs consignée dans l'article 545 du Code civil; et il n'était pas à craindre qu'on fût quelque jour tenté de la supprimer, car on rendrait ainsi à peu près impossible toute espèce de travaux publics.

Le droit de l'Etat est subordonné par l'article 9 à deux conditions principales: la constatation légale de l'intérêt public et l'acquittement préalable d'une indemnité. — Pour remplir la première condition, il n'est pas besoin qu'une loi soit rendue toutes les fois qu'il y a lieu à expropriation; il suffit que l'utilité publique soit constatée suivant les formes générales établies par le législateur. Ces formes, aux termes de la loi du 7 juillet 1833 (art. 2), consistent 1° dans la loi ou l'ordonnance qui autorise l'exé

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