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tés parmi les capacités électorales. De singulières contradictions se heurtaient dans l'esprit de M. Dupin : il n'était pas ennemi du clergé, il aimait à voir les curés s'asseoir à sa table seigneuriale, ou lui donner l'eau bénite dans le banc d'honneur; et avec cela il repoussait toutes les dispositions qui pouvaient grandir l'influence morale du clergé. M. Guizot venait de présenter un projet sur l'instruction élémentaire : il s'agissait d'élever la génération d'un pays catholique, à lui apprendre les commandemens de Dieu; or n'était-il pas naturel que dans le programme que traçait le législateur il fût déclaré que cet enseignement serait moral, religieux, et comme conséquence, n'était-il pas simple de dire encore que, pour surveiller l'enseignement religieux, le curé ou le ministre d'un culte reconnu par la loi ferait partie des comités (1)? Tout cela fut contesté, discuté; il y eut de longues déclamations pour prouver qu'il fallait que l'enseignement fût absolument séparé du clergé, et je dois cette justice à M. Guizot, qu'il eut alors le courage et l'honneur de faire l'éloge à la tribune de l'enseignement des Frères de la doctrine chrétienne. De telles vérités excitèrent des murmures au sein d'une opposition assez mal apprise, assez arriérée, pour faire de la religion et de la politique avec les couplets de M. Béranger. Ce fut avec grand' peine que plus tard M. Gui

() M. Guizot soutint cet article avec une grande fermeté; il fut secondé en cela par toute la pairie qui, elle aussi, croyait essentielle l'action religieuse dans l'éducation. Malgré toutesles préventions M.Guizot fut aussi le plus grand protecteur

des frères des Ecoles chrétiennes. D'ici à quelques années on verra l'heureuse influence de cette éducation; déjà la jeune génération de douze ans est meilleure que celle que la Restauration nous a laissée incrédule et railleuse.

zot put obtenir un système d'enseignement élémentaire dans les conditions morales et religieuses, tel que la société le réclamait impérativement (').

C'est qu'au fond, rien n'était plus vulgaire que les opinions de toute cette Chambre; ces opinions se ma— nifestaient non-seulement dans les projets de loi dont le gouvernement s'était réservé l'initiative, mais encore dans ces mille propositions individuelles qui se croisaient incessamment. Les projets que la majorité avait rejetés ou modifiés dans la session dernière étaient remis en discussion: ainsi, nouvelle proposition pour le divorce, reprise par M. de Schonen; liberté pour le mariage des prêtres et l'union entre le beau-frère et la belle-sœur; monumens et pensions pour les vainqueurs de la Bastille; on s'en donnait à l'aise sur toutes les questions morales et politiques. Y avait-il à diminuer le traitement d'un archevêque, tout aussitôt exhortation d'économie; le clergé était trop riche! et M. Dupín, qui réunissait, je crois, au traitement de 10,000 francs par mois (*), comme président de la Chambre, celui de procureur général à la Cour de cassation, n'avait que de dures paroles pour un évêque qui, par an, touchait 10,000 fr. destinés aux aumônes dans son diocèse. Quand le tiers parti avait fait quelque bonne lâcheté politique, quelque arrangement personnel qui le compromettait avec la gauche, on était bien sûr qu'il rachetait sa popularité par des bana

() M. E. Salverte eut la niaiserie de demander qu'on enseignât aux enfans une sorte de catéchisme de la Charte dans les écoles primaires. N'était-ce pas assez de l'apprendre par les journaux !

(2) Le traitement du président de la Chambre était d'abord de 5,000 f. par mois; M. Dupin le fit porter à 10,000 fr., et de plus il se fit allouer ce même traitement pendant une prorogation.

lités vieillies contre la religion, le trône de la branche aînée, ou l'aristocratie. Ce fut à cette action du tiers parti qu'on dut ensuite l'abolition des majorats, celle de la pénalité pour l'usurpation des titres de noblesse; comme si la stabilité de la possession territoriale, des noms de famille, n'était pas la première condition du système monarchique !

Pour donner l'impulsion à son parti et à ses idées, M. Dupin ne se contentait pas de cette pluie de lazzis jetés du haut du fauteuil de la présidence, il montait à la tribune pour dire son opinion ou pour lancer quelques propositions inconsidérées avec un si grand souci de son public, qu'il étudiait à l'avance toutes ses intonations, toutes ses démarches en véritable artiste. qui vise à un succès. Lorsqu'il se défendait de dire son avis sur l'état de siége, il s'élançait à la tribune pour faire accorder une pension à la veuve du général Daumesnil, noble et brave existence; M. Dupin saisissait l'à-propos d'une légende populaire avec habileté; tout en maintenant sa position ministérielle, il caressait le côté national de l'histoire. C'était au reste un esprit saisissant, vif, fort insupportable au pouvoir, ne voulant ni le prendre ni le seconder avec franchise, échappant à toutes les situations avouées, toujours deux mains tendues, l'une pour menacer, l'autre pour demander et appuyer: on ne pouvait marcher avec lui et on ne pouvait se passer de lui.

La véritable loi politique, le cabinet l'avait présentée à la Chambre des pairs, afin de ne point heurter témérairement la majorité: elle était relative à l'état de siége, régularisation légale d'un système qui pût permettre au gouvernement de suspendre la con

stitution dans certaines circonstances. C'était, en d'autres termes, le rétablissement de l'article 14 de la Charte, effacé en 1830. Les bons esprits commençaient à sentir le vide et l'inefficacité répressive des idées de 1789; le système représentatif ne pouvait être pour la France qu'un de ces essais passagers que des idées plus sérieuses et pratiques remplaceraient plus tard. Quand ce système était sincère et loyalement appliqué, c'était un trouble; et quand il n'était pas un trouble, c'est qu'il n'était plus sincère, qu'il restait une simple forme et souvent une corruption.

On avait donc à se débattre contre une idée, un costume qui n'allaient point à la nation; et si à ce point de vue la loi présentée à la Chambre des pairs était une chose utile, elle devait trouver des résistances dans le parti de la constitution que nul n'osait encore attaquer de face: souvent chacun reconnaît qu'une chose ou une idée est fausse, déplorable dans ses conséquences, et néanmoins on la garde par orgueil ou par impuissance de la remplacer: la génération de 1789 a tous les amours-propres d'auteur pour ses œuvres; bonnes ou mauvaises elle les garde; sortes de vanité qui souvent ont compromis la destinée d'un peuple. La Chambre des députés était en plein dans ces idées; ses séances furent occupées par des projets sur la responsabilité ministérielle et des agens administratifs; garantie compromettante ou puérile; dangereuse pour un État quand elle est appliquée et tout-à-fait inutile quand elle reste dans la majesté muette d'un article de la constitution. Tout fut singulier dans ces votes: on éleva des colonnes mémoratives pour les vainqueurs de Juillet et l'on avait peur de leurs idées! on vota des pensions aux gar

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des françaises insurgées contre leurs officiers, quand on avait tant besoin de maintenir la discipline militaire (').

La discussion la plus capitale dut se rattacher naturellement à la détention de Madame la duchesse de Berri. Le ministère avait d'abord eu l'intention de présenter un projet de loi à la Chambre des députés pour statuer sur le sort de la princesse; marche simple et toute tracée s'il s'était agi d'une Chambre composée des élémens graves et conservateurs du pays. Mais qui pouvait répondre d'un vote raisonnable dans les préoccupations passionnées de cette majorité? Des haines vieilles, enracinées se réveillaient contre la duchesse de Berri et en général contre tout ce qui touchait la maison de Bourbon; il ne s'agissait pas seulement de la gauche, de M. Dupont (de l'Eure) ou de M. Barrot, le gouvernement en aurait pris son parti, mais le ministre aurait encore soulevé contre lui tout le côté de M. Dupin, de M. Étienne, le centre gauche lié momentanément au système politique du gouvernement. Le centre gauche pour se conserver dans l'opinion populaire devait soutenir l'égalité devant la loi, il éprouvait une joie bourgeoise à invoquer ce principe contre une fille de France, et sous ce prétexte, le gouvernement ne serait plus resté maître du sort de la duchesse. Le conseil des ministres discuta longtemps sur la résolution à prendre, et un système mixte fut préféré: puisqu'il était impossible d'éviter un débat sur un fait aussi capital que celui de l'arrestation de la duchesse de Berri, préoccupation

(') Ces discussions occupèrent la première partie de sa session les séances de la Chambre durant (Décembre 1832 et janvier 1833).

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