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gue camaraderie; tandis que de temps à autre quelques voix brutes, mais dévouées aux centres, venaient demander à M. Berryer de donner sa démission, puisqu'il n'était pas dévoué de cœur à la Révolution de Juillet (*).

Après les conspirateurs avoués venaient les complices. C'était une situation qu'aimait assez M. de Lafayette, parce qu'elle permettait une certaine quiétude, une manière commode d'échapper à toute responsabilité: M. de Lafayette avait des craintes et des ressentimens; si une certaine retenue ne lui permettait pas de s'associer aux meneurs trop avancés de la démocratie, aux fils des vigoureux Jacobins, il eût été bien aise de voir démolir le pouvoir qu'il appelait parjure; le jour où MM. Voyer d'Argenson, Audry de Puyraveau et Cabet eussent remporté la victoire, M. de Lafayette se serait trouvé avec eux, cherchant la popularité en brisant l'œuvre du 9 août. Jusqu'à ce triomphe, il se contentait de conseiller par la parole, sans agir; il approuvait, adhérait (), et autour de lui se groupait un certain nombre de députés, descen

(1) Cette question de serment avait été engagée surtout par M. de Cormenin qui insistait sur ce principe que, pour les députés, il n'y avait de pouvoir supérieur que la souveraineté du peuple.

(2) C'est ce qui rendait toujours un peu ambiguë la parole M. de Lafayette; ainsi il disait à la tribune:

« Le véritable républicanisme, est la souveraineté du peuple; ce sont ces droits naturels et impres

criptibles qu'une nation entière n'aurait pas le droit de violer; la souveraineté nationale est supérieure à toutes combinaisons secondaires du gouvernement; elle doit être toujours vivante, et jamais être reléguée aux archives... On ne peut pas s'attendre à ce que moi, qui à la fin de 1792, ai cru devoir défendre la liberté contre la République, je défende jamais la monarchie contre la liberté... >>

(Séance du 3 janvier 1834.)

dant par degrés jusqu'à M. Laffitte. Pour eux, mieux valait le triomphe du parti républicain que ce qu'ilsappelaient une monarchie de bon plaisir. Non-seulement ils déposaient la même boule dans le scrutin, mais assis aux mêmes festivals du peuple, ils portaient les mêmes toasts audacieux.

Ceux que j'appelle les mécontens, parmi lesquels je place M. Odilon-Barrot, s'étaient associés au parti Lafayette par le compte-rendu, et néanmoins une légère nuance les en séparait. Les complices avaient pris la monarchie comme un essai malheureux qui n'était pas le dernier et le seul mot de la situation; puisqu'on n'avait pu réaliser une royauté entourée d'institutions républicaines, on pouvait essayer toute autre forme politique. Le parti des mécontens se composait d'hommes trop pratiques, tels que M. Barrot, M. Mauguin ('), pour ne pas s'en tenir aux conditions du gouvernement représentatif, sauf à le corriger par les réformes; correspondant ainsi au parti whig en Angleterre. Leur guerre était donc aux ministres et non pas au roi. Sans doute, il n'y avait pas attachement personnel, conviction à toute épreuve, mais un sentiment, un instinct que la combinaison monarchique était la meilleure, la seule possible en France, et que la dynastie nouvelle était la plus favorable au développement d'un système libéral : c'était un aveu.

De ce parti à la coterie des amendeurs, il y avait encore une distinction: j'appelle la fraction des amendeurs, une partie assez considérable dans la Chambre

(') Entre M. Barrot et M. Mauguin il y avait conformité de prin

cipes à travers des antipathies de personne et de formes.

alors qui, tout en se séparant de la gauche, se plaçait vers un milieu, entre les ministériels et les opposans; deux types qui se retrouvaient dans M. Pagès (de l'Ariége) et M. Bérenger ('). Quand le débat était bien animé, le gant jeté, ceux-ci venaient apporter une modification, un amendement, une atténuation à la loi, de manière à en dénaturer le sens ou à en empêcher les conséquences répressives, rôle qui appartenait autrefois au tiers parti. Celui-ci maintenant rattaché au pouvoir par la présidence de M. Dupin, soutenait fermement toutes les mesures de répression, les exagérait même, car alors le tiers parti avait bien plus peur de la république et du désordre que les doctrinaires eux-mêmes; il aurait poursuivi, frappé, proscrit les républicains avec acharnement parce qu'ils troublaient sa quiétude, témoin le cri de détresse poussé par M. Viennet. Moins le tiers parti avait la pensée d'une direction morale, plus il avait la volonté d'une vigoureuse répression matérielle; et ceci explique l'attitude de ce parti dans toutes les lois de la session.

Dans les centres même, ce n'était plus ce calme de la force, cette attitude digne et ferme qui doit être l'apanage d'une majorité gouvernementale; c'était aussi de la colère ardente, expressive; il y avait des effrénés du centre, trépignant des pieds, montrant les poings, prodi guant l'injure au moins autant que le parti républicain. On se renvoyait des paroles acerbes, des provocations incessantes: c'était de l'animation comme dans un pugilat:

(') M. Bérenger devait avoir subi bien des déceptions depuis son rapport d'accusation contre les ministres de Charles X, que les griefs

VII.

avaient changé de nature! C'était au reste l'esprit aux amendemens " parce qu'il était timide, modéré et ne voulait rien compromettre.

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« vous êtes des conspirateurs, des anarchistes, disaient les uns; vous êtes des corrompus, des fatigués, des spéculateurs de conscience, répondaient les autres (1)». Oui, à cette époque on se serait proscritsi les mœurs du pays n'avaient pas été meilleures que celles des hommes chargés de préparer les lois. Toutefois, il serait injuste de ne pas faire la part du temps, de la position dans laquelle on se trouvait. De toutes parts on voulait en finir, on appelait un combat pourvu qu'il fût décisif, et le duel même était devenu presque une arme parlementaire.

Cependant le discours de la couronne avait gardé un caractère calme et modéré; le gouvernement annonçait à peine quelques mesures répressives, à travers des formules longues et développées, phrases habituelles dans ces sortes de solennité. On n'avait point alors adopté ce mécanisme (*) bref et précis qui constitue la méthode anglaise des discours de la couronne; le ministère avait besoin de tout faire entendre et de tout expliquer, parce qu'il devait ménager une majorité susceptible et discoureuse. Ce fut encore dans le sein du tiers parti que se forma la commission de l'adresse;

(1) C'était avec peine que la discipline se formait dans la Chambre, fort bruyante à cette époque; et le laisser-faire de M. Dupin, dans sa présidence, souvent ne laissait pas que d'augmenter le désordre.

(2) Voici quelles étaient les phrases du discours de la couronne sur les affaires étrangères.

<< Messieurs les pairs, messieurs les députés. Je suis heureux de

vous annoncer que nos relations avec toutes les puissances et les assurances que je reçois de leurs dispositions ne laissent aucun doute sur le maintien de la paix générale. La Péninsule a été le théâtre de graves événemens. Dès que le gouvernement de la reine Maria II a été rétabli à Lisbonne, j'ai renoué nos relations diplomatiques avec le Portugal. En Espagne, la mort du roi Ferdinand VII a appelé la princesse sa

elle désigna M. Etienne pour son rapporteur comme par suite des traditions de 1830. L'adresse était plus longue encore que le discours de la couronne, avec des phrases retentissantes et vulgaires qui pouvaient offrir mille sens, et dont voici les plus saillantes. « C'est en suivant toujours les voies de la justice et de la modération, c'est par une politique ferme et loyale, une vigilance sans relâche, un ensemble de mesures sagement combinées, et une direction soutenue imprimée à l'administration du pays, que votre gouvernement triomphera des factions qui s'agitent avec tant d'audace. La France élève une voix unanime pour mettre fin à toutes les manœuvres, à tous les obscurs complots qui tendent à arrêter ses nobles destinées..... L'activité de l'administration, la fermeté de la magistrature, le courage de la garde nationale et de l'armée, notre loyal concours, sont d'imposantes garanties pour la répression de ces tentatives anarchiques que repousse d'ailleurs l'opinion du pays, et qui sont frappées d'impuissance par la réprobation publique... La France accueille avec gratitude l'assurance que Votre Majesté lui donne du maintien de la paix générale, si

fille au trône ; je me suis empressé de reconnaître la reine Isabelle II, espérant que cette prompte reconnaissance et les rapports qu'elle établissait entre mon gouvernement et celui de la reine régente, contribuerait à préserver l'Espagne des déchiremens qui la menaçaient. Déjà le calme paraît renaître dans les provinces où la rébellion avait éclaté. Le corps d'armée dont j'ai ordonné la formation protége nos frontières à tout événe

ment. La Suisse a été momentanément troublée par des dissensions que la sage fermeté de son gouvernement a bientôt apaisées. Je me suis empressé de lui rendre les services qu'elle pouvait attendre d'un allié fidèle et désinté– ressé. L'empire ottoman a été menacé de grands périls; je me suis attaché à presser une pacification que réclamaient à-la-fois les intérêts de la France et la stabilité de l'ordre européen. Je continue

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