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lueur de mille flambeaux, on donnait le modèle d'une conspiration ourdie contre un souverain. Au moment où les jours du roi des Français étaient menacés par une odieuse tentative d'assassinat, on représentait des conspirateurs au milieu des fêtes, les traits masqués et un homme qui tirait un coup de pistolet à bout portant, sur son prince, son suzerain, son maître. Detels exemples devaient-ils être tolérés sur un théâtre royal, à la face de tout un peuple? Était-ce bien, était-ce habile de lui montrer de tels spectacles?

Cette année il y eut un salon de peinture au Louvre. Ces solennités désormais trop fréquentes pour permettre les grandes œuvres de l'art, avaient pour but de rappeler quelques-unes des habitudes de la monarchie. Le 1 janvier déjà on avait exposé les produits des manufactures royales, les porcelaines de Sèvres, imitations de ces belles coupes, de ces admirables chinoiseries, vases du Japon que l'on trouve à l'époque de Louis XV et de Louis XVI. La peinture sur porcelaine devenait un art, les roses y brillaient de leur éclat, les copies des tableaux de Coypel et de Vatteau s'y montraient avec leurs vives couleurs. Dixhuit mois s'étaient écoulés depuis la clôture du dernier salon et l'on annonçait de belles toiles pour l'exposition nouvelle; comme les artistes travaillaient vite, ils désiraient toute l'éclatante cérémonie du salon, sorte de grande voie pour se communiquer au public. M. Horace Vernet exposa cette année sa Rencontre de Michel Ange et de Raphaël dans le Vatican, en présence du pape Jules II: la pose de Raphaël était théâtrale, celle de Michel Ange commune; M. Vernet qui avait si long-temps habité Ro me devait garder plus de souvenir

du type des artistes du xv et du xvr° siècle. M. Schoeffer exposa sa Marguerite à la messe, M. Johannot son tableau de l'Entrée de mademoiselle de Montpensier à Orléans, un peu fantastique comme une scène de l'Arioste ('). MM. Steuben, Eug. Devéria avaient jeté quelques fresques; M. Ingres, un portrait, celui de M. Bertin l'aîné, le directeur du journal des Débats; il n'était pas jusqu'au vieux comte de Forbin, artiste jusqu'à son lit de mort, qui ne crayonnât une vue d'un bazar souterrain au Caire. La sculpture avait donné le pécheur napolitain de M. Duret, un peu grimaçant; le Caïn de M. Etex, dont le type était trop moderne pour un des fils de la première création; le Sybarite de M. Pradier, œuvre de mérite un peu maniérée, avec un amour trop grand de la forme et de la chair. La foi des artistes n'était pas assez vive pour produire de grandes choses; beaucoup avaient du talent et peu avaient la croyance qui distinguait les artistes du xvi° siècle : et pourtant ils en singeaient les manières ou les mœurs. Combien d'entre eux étudiaient les mémoires de Benvenuto Cellini pour copier les costumes de la vie artistique? Ils se drapaient à l'italienne, ils avaient des scopètes, des poignards, mais au demeurant tous soupiraient après une douce et tranquille position !

Les négociations de bourse et d'affaires n'étaient-elles pas le type de l'époque? Cet égoïsme avait son bon côté, sa conséquence prosaïque mais conservatrice; il devait amener par la force des choses un calme, un attiédissement dans toutes les passions énergiques, de manière à préparer la paix des masses en rattachant tous les inté

(1) En effet ce tableau ressemblait à une vignette destinée à illustrer

l'Orlando furioso ; je crois qu'il est au musée de Versailles.

rêts à l'ordre. On commençait les premiers essais des chemins de fer; l'esprit d'association faisait des progrès; on s'occupait de caisses d'épargnes, de compagnies d'assurances, d'un mutuel appui à se prêter dans les pertes et les bouleversemens de fortunes. De là devaient résulter une nouvelle tendance sociale et des garanties pour l'avenir; quand tous les intérêts seraient liés aux fonds publics, aux caisses de prévoyance, il se ferait dans les esprits un besoin général de repos et de quiétude qui seconderait la force passive du gouvernement. Un peuple peut bien vivre quelques années avec des poèmes épiques, il les compose et se les récite à lui-même: mais ces époques, nécessairement exceptionnelles et qui absorbent pour long-temps les forces vitales d'une nation, cèdent bientôt devant les intérêts matériels, garantie du calme et du repos pour les gouvernemens et les peuples.

CHAPITRE III.

LA DIPLOMATIE.

QUESTIONS D'ORIENT, DE LA GRÈCE, DE LA BELGIQUE, DU PORTUGAL ET DE L'ESPagne.

(JANVIER A JUILLET 1833.)

Caractère diplomatique du duc de Broglie. Choix des ambassadeurs. - Ses rapports avec les cours. - - Véritable portée de la question d'Orient.

Les ci

vilisations égyptienne et turque. — Intrigues du pacha. — Le divan. — Appel des Russes par le sultan. M. de Varennes à Constantinople. Mission du comte Mourawieff près du sultan et à Alexandrie. — Politique de la France. — Mission de l'amiral Roussin. -Son attitude à Constantinople. -Traité proposé au pacha. —M. Mimaut à Alexandrie. — Refus de Mehemet-Ali. - La flotte et l'armée russes. - Mouvement de la diplomatie. Lord Ponsonby. - M. d'Ottenfels, internonce d'Autriche. — L'amiral Roussin. - Satisfaction au pacha. — Evacuation des Russes. — Traité d'Unkiar-Skelessi. Clauses secrètes. - Développement de la question grecque.

-

Royauté du

prince Othon. — L'emprunt et les garanties. — Affaiblissement de la question belge et de la conférence de Londres. Mission de M. Dedel à Londres. Blocus et traité définitif. —La flotte française et l'amiral de Mackau. tugal. Dom Miguel. Les emprunts. La cause de dom Pedro. pagne. Situation de la reine Christine et du parti de l'infant don Carlos. - Protestation — Ministère de M. Zea Bermudez. — Tendance modérée.

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Le duc de Broglie gardait la direction responsable des affaires étrangères depuis la formation du cabinet du 11 octobre. Avec la probité la plus haute, la loyauté la plus incontestée, de fortes études, une connaissance profonde du droit public européen, M. de Broglie avait peut-être l'esprit le moins capable d'habile

ment conduire la politique extérieure du pays. Très supérieur dans toutes les questions spéciales, le noble duc n'avait ni assez de ménagement ni assez de souplesse pour passer à travers les accidens dont la diplomatie est semée; nul n'avait des formes plus polies, et pourtant nul n'était plus antipathique, plus insupportable au corps diplomatique; les ambassadeurs aiment à s'informer, à s'enquérir, à causer sur les affaires générales, afin de se composer une opinion qu'ils transmettent ensuite à leurs cours, et M. de Broglie était silencieux, toujours grave, sans liant pour les hommes et pour les choses. A chaque ambassadeur il répondait nettement sur la question spéciale qui faisait l'objet d'une négociation, mais toutes les fois que celui-ci voulait causer sur la généralité des affaires de France, sur cet aspect des choses qui forme le fond des dépêches des ambassadeurs, M. de Broglie s'obstinait au silence, et l'on prenait pour du pédantisme ce qui n'était au fond qu'un sentiment de l'orgueil national peut être exagéré, lequel rendait impossible toute communication amicale et confidentielle (').

A part ce défaut de caractère dont la source demeurait honorable, M. de Broglie était parfait pour toutes les grandes affaires; il s'entendait avec une profonde délicatesse sur le choix des personnes, et sa première liste d'ambassades ne laissait rien à désirer (3). Lecomte de Saint-Aulaire passait de Rome à Vienne, les ques

(') Je crois que le corps diplomatique exagérait les défauts du duc de Broglie: pour lui ce n'était pas un homme commode.

(2) Voici quelles étaient ces nominations:

M. le comte de Saint-Aulaire, ambassadeur à Vienne.-M. le

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