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DISCOURS

PRONONCÉ PAR

M. BONJEAN

SÉNATEUR,

DANS LA SÉANCE DU 28 FÉVRIER 1862.

MESSIEURS LES SÉNATEURS,

Comme Membre de la Commission, je me suis associé et je m'associe encore à la double pensée exprimée dans le projet d'Adresse :

Confiance entière dans la politique conciliatrice de l'Empereur;

Regret que cette politique ait échoué devant les résistances des uns, les impatiences des autres.

En faisant ainsi la part, aussi égale que possible, entre les deux parties, nous restons fidèle au rôle de conciliateur dont nous avons assumé la tâche passablement ingrate, par dévouement pour le Saint-Siége, par sympathie pour l'Italie.

Et, véritablement, Messieurs les Sénateurs, je ne saurais comprendre comment notre excellent collègue, M. de Ségur-d'Aguesseau, a pu voir, dans notre

médiation, un outrage au Pontife, une conduite qui l'ait fait rougir pour le Gouvernement de son pays.

Non, Messieurs, il ne saurait y avoir outrage à parler de conciliation et de paix au représentant sur la terre de Celui qui, même pour la défense de son innocente vie, ne permit pas que l'on fit usage de l'épée, au successeur de ce Pierre à qui il fut dit: Remets ton épée au fourreau.

Non, monsieur de Ségur-d'Aguesseau, vous n'avez point à rougir pour le Gouvernement de votre pays....

M. LE PRÉSIDENT. Adressez-vous au Sénat et non pas directement à un de vos collègues. La voie dans laquelle vous entrez conduirait à des interruptions qu'il faut éviter de provoquer.

M. BONJEAN. Je n'ai voulu rien dire de blessant pour M. de Ségur-d'Aguesseau, qui connaît bien ma vieille amitié pour lui.

Je reprends la forme impersonnelle et je dis : Non, nous n'avons point à rougir pour le Gouvernement de notre pays; car, s'il est une action sainte devant Dieu, honorable devant les hommes, n'est-ce pas ce rôle de médiation, de pacification, de conciliation que l'Empereur n'a cessé de remplir avec un si complet désintéressement et une si parfaite abnégation?

L'Adresse dit donc précisément ce qu'il y avait à dire, en restant fidèle à ce rôle de conciliateur qui sera, dans l'histoire, après que les passions se

seront calmées, l'éternel honneur du Gouverne

ment impérial.

Voilà, Messieurs, tout ce que j'avais à dire, comme Membre de la Commission. Maintenant, c'est en mon nom personnel, à mes risques et périls, que je demande au Sénat la permission de lui soumettre quelques réflexions sur la grave question qui préoccupe, qui passionne les esprits.

Si la querelle entre le Gouvernement pontifical et le royaume d'Italie avait pu rester purement italienne, après avoir fait office de bons voisins, en offrant notre médiation, nous pourrions rester en repos, nous en remettant à l'expérience et au temps de triompher des résistances comme des impatiences.

Malheureusement, les loisirs d'une telle neutralité ne nous sont pas permis.

D'une part, voilà treize ans que nous sommes à Rome, pour protéger le Saint-Père, et, au train dont vont les choses, on ne saurait dire à quel moment il y aura moins d'inconvénients d'y rester que d'en sortir.

D'un autre côté, et ceci me préoccupe plus que tout le reste, il est certain que la querelle entre le Saint-Siége et le royaume d'Italie est devenue, dans notre propre pays, la cause d'une agitation, ou tout au moins d'une émotion d'autant plus digne de fixer notre attention, qu'elle semble se rattacher à tout ce qu'il y a de plus respectable en ce monde, les convictions religieuses.

A ce double titre, nous avons intérêt à ce qu'une telle situation ait un terme, et un terme prochain. Nous avons droit de rechercher et d'apprécier les obstacles qui, jusqu'ici, se sont opposés à une

conciliation si désirable et si désirée.

Pour éviter, autant qu'il dépend de moi, tout ce qui pourrait passionner le débat, au lieu de rechercher quels sont les droits et les torts respectifs des deux parties, je porterai directement l'examen sur les principes eux-mêmes : si la discussion en est plus pâle, plus froide, vous en êtes, je crois, tout consolés d'avance.

Messieurs les Sénateurs, il y a certains points essentiels, sur lesquels nous semblons tous d'accord et qu'il convient de tirer hors ligne :

1° Nous voulons tous que l'arrangement à intervenir assure au Souverain Pontife sûreté, dignité, indépendance;

2o Nous reconnaissons tous que le Pape ne doit être le sujet d'aucun prince;

3o Presque tous aussi, je le crois, nous pensons que Rome doit continuer à être la résidence inviolable de la Papauté.

Mais, d'accord sur le but, nous différons sur les moyens.

Pour les uns, la seule solution possible et légitime est de maintenir ou même de rétablir purement et simplement le pouvoir temporel, tel qu'il a existé depuis plusieurs siècles, et d'y employer l'influence morale de la France, d'abord, puis,

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