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noncer entre l'Empereur et ses fils. C'est là peut-être le premier usage bien constaté des fausses décrétales; et comme on le voit, il était tout en faveur des prétentions de la Cour de Rome.

En quelque lieu donc et en quelque époque qu'aient été fabriquées les fausses décrétales, un fait doit rester certain, c'est que leur auteur était un zélé partisan du pouvoir pontifical.

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Voici maintenant, sur les effets des fausses décrétales, les opinions de quelques savants français; elles ont été critiquées comme exagérées dans le Manuel de Walter (S 92).

BALUZE.« Du temps de Charlemagne, on inséra dans le recueil des canons certaines lettres qu'on attribuait aux plus anciens évêques de Rome, mais que, dans la vérité, Riculfe, archevêque de Mayence, avait acquises d'un marchand espagnol, et qu'il fit le premier circuler dans les Églises d'Allemagne, de France et d'Italie. Dès ce siècle, il y eut beaucoup de contestations sur l'autorité de ces lettres; les évêques de France les repoussaient comme inconciliables avec les anciennes lois. Cependant la fortune de Rome prévalut, et l'empire de ces fausses décrétales s'établit: elles furent employées comme des pièces authentiques par la plupart de ceux qui compilèrent des recueils de canons. Parmi ceux qui se sont abstenus d'en faire usage, le savant Antoine Augustin nous fait remarquer Raban, d'abord abbé de Fulde, puis archevêque de Mayence après Ergerius, et par conséquent l'un des successeurs de Riculfe. Mais on voit que ces lettres étaient d'un grand poids en 991, c'est-à-dire au temps où se tint à Reims un concile contre Arnoul, archevêque de cette ville. »

DOM CONSTANT. Ce savant bénédictin fait sur les décrétales d'Isidore les réflexions suivantes.

« A peine peut-on dire comment les mensonges d'Isidore ont été pernicieux à l'Église. Ils ont affaibli les nerfs de la discipline, confondu les droits, détruit ou corrompu les lois, multiplié les troubles et les procès, fondé la discorde, qui, à la honte du clergé et au scandale des fidèles, a poussé, dans le cours des siècles, de si énormes rejetons.... Mais il n'est pas étonnant qu'au temps d'Isidore on n'ait pas été précautionné contre une fraude si grossière. L'antique discipline était déjà bien altérée, par un effet de cette fatale destinée des choses humaines, qui veut que le meilleur établissement n'ait qu'une durée plus ou moins courte. Joignez à cette cause l'ignorance publique au huitième siècle, l'imperfection des connaissances historiques, l'absence absolue de la saine critique. L'erreur d'abord cachée, s'est propagée par degrés; et, sous les auspices de noms imposans, elle a, durant le sommeil léthargique de nos ancêtres, affermi son pernicieux empire.

FLEURY revient souvent sur les funestes effets des fausses décrétales; nous relèverons seulement, en abrégeant beaucoup, ce qu'il en dit au commencement de son quatrième discours.

1° Il est certain que, dans les premiers siècles de l'Église, les conciles, au moins les conciles provinciaux et ordinaires, se pouvaient tenir sans la permission du Pape, témoin le concile de Nicée, qui ordonnait de tenir deux conciles par an, dans chaque province. Les fausses décrétales ayant dit qu'aucun concile ne pouvait avoir lieu sans l'ordre du Pape, il ne s'est presque plus tenu de conciles provinciaux, depuis le douzième siècle, quoique ces réunions fussent le moyen le plus efficace d'entretenir la discipline.

2o Il est dit à plusieurs reprises, dans les fausses décrétales, que les évèques ne peuvent être jugés que par le ·le Pape seul, ce qui est absolument contraire à la tradition constante des premiers siècles, où l'on rencontre nombre d'évêques jugés et déposés par les conciles pro

vinciaux, sans aucune participation du Pape, témoin Paul de Samosate, évêque d'Antioche, déposé par les évêques d'Orient. C'est en se croyant, de très-bonne foi sans doute, seul juge compétent des évêques, que Grégoire VII et ses successeurs les firent venir si souvent du fond de la France, de l'Allemagne et de l'Angleterre; pratique qui engendra tant d'abus.

3o Ce sont encore les fausses décrétales qui ont attribué au Pape seul le droit de transférer les évèques d'un siége à un autre.

4° C'est en se fondant sur leur autorité qu'a été aussi réservé au Pape seul le droit d'ériger de nouveaux évêchés, droit qui, suivant l'ancienne discipline, appartenait en propre au concile provincial.

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5 Mais l'une des plus grandes plaies que les fausses décrétales aient faites à la discipline de l'Église, c'est d'avoir étendu à l'infini les appellations au Pape. paraît, dit Fleury, que le faussaire avait cet article fort à cœur, par le soin qu'il a eu de répandre par tout son ouvrage la maxime que non-seulement tout évêque, mais tout prêtre et en général toute personne qui se voit vexée, peut, en toute occasion, en appeler directement au Pape.» Cette nouvelle maxime engendra d'innombrables abus, contre lesquels s'élevèrent avec force saint Bernard et Ives, évêque de Chartres. Mais le séjour, souvent très-prolongé, de ces nombreux plaideurs était, pour la ville de Rome, une source de richesses, et, plus que toute autre cause, ces appellations contribuèrent à introduire cette fausse opinion que l'autorité du Pape était sans bornes.

que

6o C'est enfin en s'appuyant sur les fausses décrétales que le Décret de Gratien a établi en principe les immunités des clercs, et notamment les clercs ne peuvent en aucune occasion être jugés par des laïques; maximes dont, plus tard, Innocent III tira les conséquences les plus outrées dans sa lettre à l'Empereur de Constantinople, ainsi que dans une bulle célèbre.

Sans pousser plus loin cette revue, on peut affirmer que les fausses décrétales firent, pour la suprématie spirituelle du Siége de Rome, autant et plus que les fausses donations, pour la souveraineté temporelle: ce que la religion y a gagné, je l'ai dit, en ce qui concerne le pouvoir temporel; d'autres pourront établir le même compte pour la suprématie spirituelle.

Le fabricateur des fausses décrétales a pourtant trouvé un apologiste dans un compilateur des lois ecclésiastiques, Christ. Lupus. « Au huitième siècle, dit ce canoniste, la majesté du Saint-Siége et la juridiction sacerdotale étaient méprisées dans les Gaules et dans l'Allemagne, en Espagne, et même en Italie: pour les relever, un pieux fidèle a imaginé des épîtres ou décrétales qu'il a décorées des noms des plus anciens évêques romains.

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IX

Conséquence politique de l'hérésie des Iconoclastes.

Dans le Discours, page 28, il est dit : « En posant « sur sa tête la couronne qui échappe aux Empereurs « iconoclastes de Constantinople, Charlemagne.... »

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C'est en effet l'hérésie des Empereurs iconoclastes, autant que le lâche abandon où ils laissaient l'Italie, qui amena la reconstitution, sur la tête de Charlemagne, de cet empire romain d'Occident qui, pendant plu sieurs siècles, devait jouer un si grand rôle dans les affaires de l'Église.

Dès cette époque, les Italiens étaient fort attachés aux images des saints; la peinture et la statuaire religieuse occupaient de nombreux artistes, dans les couvents sur

tout; aussi l'édit de 730, par lequel l'Empereur Léon [Isaurien ordonnait la destruction des images, fut-il le signal d'un soulèvement général des esprits, qui ne tarda pas à se traduire en révolte ouverte sous les pontificats de Grégoire II, Grégoire III, Zacharie, Étienne II, et sous les Empereurs Léon l'Isaurien, Constantin Copronyme et Léon l'Arménien.

Je n'ai point à raconter cette histoire qu'on peut lire dans Fleury, livres XLII et suiv.; je veux seulement noter deux points.

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Avant de secouer l'autorité impériale, les Papes firent les plus louables efforts pour ramener à l'orthodoxie, ou tout au moins à la tolérance, les stupides Empereurs de Constantinople. Anastas. Gregor. Vit. II, c. xcIx : Compescuit tale concilium (la révolte projetée par les Italiens) Pontifex, sperans conversionem principis. Blando omnes sermone, ut bonis in Deum proficerent actibus et in fide persisterent, rogabat. Sed ⚫ne desisterent ab amore vel fide romani imperii admonebat. » L'Empereur restant sourd à ses prières, le Pape se décide à suivre le mouvement. Baronius dit, en effet: « Dignum posteris idem Gregorius reliquit exemplum, ne in Ecclesia Christi regnare sinerentur hæretici principes, si, sæpe moniti, in errore persistere, "obstinato animo, invenirentur.» Confer. Theophan. p. 336-343; Nicephor., p. 37, 38; Gregor., epist. 2, ad Leon. Imp., dans les Annales du concile de Nicée de Mansi, tome XII, p. 969 et 1199.

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Le rusé Roi des Lombards, Luitprand, avait offert ses secours aux Romains contre l'Empereur; mais les Papes se défièrent de ce protecteur, trop voisin pour n'être pas dangereux; ils préférèrent recourir aux Rois francs; de là, les demandes de secours à Charles Martel, Pépin et Charlemagne; puis le patriciat de Rome conféré à Pépin et à Charles (754-774), enfin la couronne impériale placée sur la tête du dernier (800).

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