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nisation féodale, qu'avec un suzerain faible les grands vassaux affectassent l'indépendance et la souveraineté, sauf à rentrer dans le devoir, quand le pouvoir suprême venait à échoir à un prince capable de faire respecter ses droits.

Mais, encore une fois, ce n'est là qu'un fait; quant au droit, je crois avoir invinciblement établi, par les textes cités aux appendices X, XI, XII et XIII, que, jusqu'à Grégoire VII, la Souveraineté de Rome et de l'Italie appartint, sans conteste, aux Empereurs d'Occident, francs ou allemands, et que le Pape, comme prince temporel, n'eut que les droits d'un simple vassal, de quelque influence qu'il pût d'ailleurs jouir comme chef spirituel de la chrétienté.

Le doute ne peut donc commencer qu'à partir de Grégoire VII; et, certes, à ceux qui auront vu, dans l'appendice XVII, les exorbitantes prétentions à la suprématie universelle que cet homme extraordinaire osa si hardiment faire entrer dans le domaine des faits, il semblerait naturel qu'il n'eût pas hésité à affirmer sa propre souveraineté sur Rome et sur les territoires auxquels semblaient lui donner droit les antiques donations dont la fausseté n'était point alors soupçonnée. Il n'en fut rien cependant; et, quelque étrange que cela paraisse, il est certain que, jusqu'à Innocent III, tout en proclamant leur suprématie universelle sur les Rois et les peuples, les Papes, pas plus que leurs contemporains, ne songèrent à contester aux Empereurs la souveraineté politique de Rome et de l'Italie. Cette contradiction apparente, qui a frappé et embarrassé plus d'un historien judicieux, me paraît s'expliquer par la grandeur même du but que se proposait Grégoire VII. Ce but dépassait de beaucoup la royauté même la plus absolue d'un territoire quelconque en Italie, et les prétentions de cette nature, qu'on élève aujourd'hui au nom de la Papauté, ne fussent pas montées à la hauteur de son dédain. Ce que voulait ce sublime ambitieux, ce n'était

pas une royauté matérielle, qui ne l'aurait fait, après tout, que l'égal des princes; ce qu'il voulait, c'était la souveraineté morale des intelligences, dans l'univers entier, une sorte de pouvoir censorial, exercé au nom de Dieu, sur les peuples et les Rois. Et certes, quand on considère les mœurs de la plupart des princes au moyen âge, l'absence de tout scrupule avec laquelle la politique de cette époque employait, pour arriver à ses fins, la violence et la trahison, le poignard, le poison, la violation des serments les plus solennels, on ne saurait nier qu'un tel pouvoir censorial n'eût pu rendre et n'ait en effet rendu de notables services à l'humanité et à la civilisation. Sans doute, par sa nature théocratique, ce pouvoir devait venir se heurter, tôt ou tard, contre la plus précieuse prérogative de l'âme humaine, la liberté de conscience; mais, au temps de Grégoire VII, il pouvait seul tenir lieu de cette puissance, alors inconnue, de l'opinion publique qui, de nos jours, pèse d'un poids toujours plus grand sur la conduite des princes et les conseils des gouvernements.

Toutefois il est certain, d'un autre côté, que sans prétendre eux-mêmes à la souveraineté temporelle, Grégoire VII et ses successeurs étaient nécessairement portés, dans l'intérêt même de leur suprématie morale, à souhaiter l'amoindrissement du pouvoir des princes, et surtout de celui de l'Empereur. C'est dans cet ordre d'idées, et par suite de l'interprétation abusive des textes sacrés, que Grégoire VII avait été conduit à s'attribuer le droit de disposer des couronnes (voy. ci-dessus, Appendice XVII). C'est dans cette ligne politique, et en vertu de ces droits prétendus, qu'à l'occasion des investitures (Appendice XVI) il fit élire, contre Henri IV, deux anti-Césars', et poussa la diète à modifier la

1. Rodolphe de Souabe (1078) et Hermann de Luxembourg (1081). — De son côté, l'Empereur opposait à Grégoire l'antipape Guibert, archevêque de Ravenne, sous le nom de Clément III.

Constitution de l'Empire, qui tendait à devenir héréditaire, en faisant proclamer le principe de la couronne élective, qui devait offrir aux Papes bien plus de chances de faire prévaloir leur suprématie.

Brunon. Hist. bell, saxon. (Freher, I) : – - « Hoc etiam ⚫ ibi consensu communi comprobatum, romani Pontificis auctoritate est corroboratum, ut regia potestas nulli « per hereditatem, sicut ante fuit consuetudo, cederet; ⚫sed filius Regis, etiamsi valde dignus esset, per electio« nem spontaneam, (potius) quam per successionis li« neam, rex proveniret. Si vero non esset dignus Regis • filius, vel si nollet eum populus, quem regem facere vellet, haberet in potestate populus.

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Après la mort de Rodolphe, tué dans une bataille contre Henri IV (1080), Grégoire VII donne les instructions suivantes à ses légats, à l'occasion de l'élection du nouvel anti-César, Hermann de Luxembourg.

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Gregor. Epist., IX, 3 : « Nisi enim ita obediens « et sanctæ Ecclesiæ humiliter devotus ac utilis, quemadmodum christianum regem oportet, fuerit, procul dubio ei non modo sancta Ecclesia non favebit, sed etiam contradicet.

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Et l'anti-César, docile aux inspirations du légat, prête au Pontife de Rome le serment suivant :

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Concil. ed. Labbe, X, 279:

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Fidelis ero ab hac hora B. Petro, ejusque Vicario.... per veram obedientiam... et eo die, quo illum primitus videro, fideliter per manus meas miles sancti Petri et ejus

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Quoi qu'il en soit, il me sera facile de justifier le point de vue historique qui a été contesté, en prouvant par des textes irrécusables que, de Grégoire VII à Innocent III, comme par le passé, le pouvoir temporel romain continua à être resserré par une double limitation, savoir par le haut, la souveraineté des Empereurs; et, par le bas, tantôt l'organisation municipale de la ville de Rome, et tantôt l'aristocratie romaine.

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$1.- Autorité des Papes des onzième et douzième siècles, dans ses rapports avec le Saint-Empire-Romain-Germanique.

I. Voici, en premier lieu, les témoignages qui établissent la souveraineté impériale de 1073, avénement de Grégoire VII, à 1198, avenement d'Innocent III.

Il faut d'abord rappeler deux faits déjà signalés dans les appendices précédents.

On a vu (AppendICE XIII, page 154) que Grégoire VII, lui-même, n'avait point voulu se laisser consacrer, avant que son élection n'eût été approuvée par l'Empereur; ce qui constate non-seulement la suzeraineté temporelle de l'Empereur, mais même son droit d'ingérence dans les affaires de l'Eglise.

Le second fait est la lettre déjà citée, dans laquelle saint Bernard, pour décider le Roi Conrad à venir au secours d'Eugène III, contre les Romains révoltés, soutient que cette révolte n'est pas moins attentatoire aux droits de l'Empereur qu'à ceux du Pape ; qu'en effet, si Rome est le Siége Apostolique (Sedes Apostolica), elle est aussi la capitale de l'Empire (caput Imperii) (voy. cidessus, pages 95 et 96, APPENDICE III, § 4). Il est impossible assurément d'imaginer une reconnaissance plus explicite des droits de l'Empire.

Cette même circonstance (l'expulsion d'Eugène III par Arnaud de Brescia) fournit d'autres témoignages non moins positifs.

pas

Si le Pape en appelait à l'autorité de l'Empereur contre les Romains, ceux-ci ne restaient inactifs; et, comme tant d'autres républiques italiennes de la même époque, ils s'efforçaient de placer sous le patronage de l'Empire leurs libertés municipales. Ils adressèrent donc à Frédéric Ier, successeur de Conrad, une lettre dont voici quelques extraits :

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Otto Frising. De rebus gest. Fred. I, lib. I, c. 28.Et quidem regnum et imperium Romanorum, vestro « a Deo regimini concessum, exaltare atque amplificare cupientes et in eum statum, quo fuit tempore Con«< stantini et Justiniani, qui totum orbem vigore senatus « et populi romani suis tenuere manibus, reducere : « Senatu pro his omnibus Dei gratia restituto, et eis, qui vestro imperio (les Papes) semper rebelles erant, quique tantum honorem romano Imperio subripuerant, magna ex parte conculcatis : quatenus ea, quæ « Cæsari et Imperio deberentur, per omnia et in omni« bus obtineatis, vehementer atque unanimiter satagimus atque studemus. —Appropinquet itaque nobis imperia« lis celeriter vigor : quoniam quidquid vultis in urbe obtinere, poteritis : et ut breviter ac succincte loqua« mur, potenter in urbe, quæ caput mundi est, ut opta«mus, habitare, omni clericorum remoto obstaculo,

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liberius et melius quam omnes fere antecessores vestri dominari valebitis. »

C'est aussi la souveraineté impériale que les Papes invoquent pour arriver à réduire la liberté municipale dont jouissaient les habitants de Rome.

C'est Lucius II qui dénonce à l'Empereur la folie des Romains qui prétendent faire de leur patrice un véritable prince. - Lucii Epist ad Conrad. Reg. (Otto Frising, Chron. VII, c. 31, dans Mansi, XXI, p. 609). —

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Populus romanus nullas insaniæ suæ metas ponere volens, senatoribus, quos ante instituerant, patricium adjiciunt, omnesque ei tanquam principi subjiciun

<< tur. »>

C'est ensuite Eugène III qui, en 1152, dénonce à Conrad les Romains comme voulant faire d'Arnaud de Brescia un Empereur, et qui conclut un traité, par lequel il s'engage à rétablir, à Rome, les droits impéEug. P. Epist. ad Wilib. abb. 1152. << Unum autem (Arnaud de Brescia) quem volunt Im

riaux.

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