Page images
PDF
EPUB

en fait, l'autorité temporelle des Pontifes romains avait conservé, de Grégoire VII à Innocent III, le caractère de vassalité qui avait été le sien depuis Charlemagne'.

[ocr errors]

$ 2. Caractères de l'autorité pontificale dans ses rapports avec les Romains à la même époque.

Pour compléter la démonstration, il faut maintenant jeter un coup d'œil rapide sur ce que fut, en pratique, par rapport aux Romains (quelle qu'elle fût d'ailleurs par rapport au pouvoir impérial), l'autorité temporelle des Papes, de Grégoire VII à Innocent III exclusivement, seule époque que nous considérions en ce mo

ment.

Une première remarque, qui ne me paraît pas avoir été suffisamment faite par les historiens, c'est qu'en transférant l'élection des Papes du peuple romain aux cardinaux, la Constitution de Nicolas II (1059) avait fait perdre à la Papauté son ancien caractère de magistrature nationale et populaire. Aussi, depuis cette époque jusqu'à la constitution définitive du pouvoir temporel en la forme monarchique, par Alexandre VI et Jules II, l'histoire politique du Saint-Siége est-elle, plus que jamais, une lutte incessamment renaissante entre le Pape, d'une part, et, d'autre part, tantôt le peuple, tantôt la noblesse romaine, que mécontentaient souvent les choix faits par les cardinaux.

Une seconde circonstance doit être prise aussi en grande considération par qui veut s'expliquer les anomalies singulières de l'histoire de Rome, à cette époque du moyen âge, c'est que, tandis que les autres cités italiennes se constituaient, les unes aristocratiquement, sous l'autorité des grandes familles, les autres en ces petites républiques qui ont laissé dans l'histoire un

1. Voy. ci-après, page 201, note 1, ce qui est dit de la dispense de vassalité accordée aux Papes comme seigneurs d'Avignon.

éclat bien supérieur à leur importance territoriale, Rome ne put jamais se constituer, pour un temps un peu ong, ni sous l'une, ni sous l'autre forme.-Ce n'est pas que les grandes familles manquassent, témoins les Orsini, les Frangipani, les Savelli, les Colonna, les Conti, les Gaetani, etc.; mais elles se neutralisaient par leur rivalité. Chez les Romains du moyen âge, il restait, d'ailleurs, de l'ancienne liberté et de l'ancienne majesté du peuple-roi, un souvenir très-vif, quoique fort peu éclairé, qui ne permettait pas qu'ils pussent supporter longtemps une autorité quelconque. Alternativement guelfe ou gibeline, Rome se tourne tantôt vers le Pape, tantôt vers l'Empereur, tantôt vers un Arnaud de Brescia ou un Rienzi, selon qu'elle croit y apercevoir le plus de chances de voir renaître son antique liberté et sa domination sur le monde. De là cette impatience de tout frein; de là ce peuple à la tête dure et au cœur implacable, dont saint Bernard nous a laissé un tableau si peu flatté; de là enfin ces petites révolutions dans lesquelles la médiocrité des résultats se dissimule, avec une bonne foi enfantine, sous la pompe des mots empruntés à un passé glorieux, qui, hélas! ne pouvait renaître.

Enfin, si on considère que les Romains venaient d'assister à toutes les hontes de la Papauté au dixième siècle (voir APPENDICE XIV), on s'en expliquera plus facilement comment ces Papes, qui faisaient trembler, sur leurs trônes, tous les Rois de l'Europe, major e longinquo reverentia, n'avaient cependant en Italie, à Rome surtout, qu'une autorité à peu près nulle, toujours contestée, pour ne pas dire méprisée.

1. Plus de deux siècles après l'époque qui nous occupe, Pétrarque avait encore conservé, au plus haut degré, ces illusions et ces aspirations plus généreuses qu'éclairées. On le voit chercher, avec une infatigable persévérance, la réalisation de son rêve favori tantôt auprès d'Urbain V, tantôt auprès de l'Empereur.

Sous le bénéfice de ces observations générales qui éclairent les faits de détail, il peut suffire maintenant de relever, sèchement et en quelques mots, un petit nombre de faits qui justifient surabondamment notre appréciation historique pour l'époque en discussion, laquelle comprend dix-huit Papes et cent vingt-cinq ans.

Grégoire VII (1073-1085). — Dès la seconde année de son pontificat, dans la nuit de Noël 1075, au moment où il célébrait la messe, à Sainte-Marie Majeure, l'église est tout à coup envahie par une troupe armée, commandée par Cencio ou Censius, préfet impérial. Blessé et tout sanglant, le Pape est arraché de l'autel et conduit prisonnier dans la tour de Cencio; il est délivré de vive force par les Romains, indignés d'un tel sacrilége. De 1081 à 1084, il reste presque constamment bloqué dans le château Saint-Ange (môle d'Adrien) par l'Empereur Henri IV, auquel s'étaient joints les Romains. Il est délivré par Robert Guiscard, qui, à cette occasion, brûle la ville, depuis Saint-Jean de Latran jusqu'au Colisée, et saccage impitoyablement le reste (1085); il va mourir à Salerne, exilé et presque prisonnier du Normand (1085).

Victor III (1086-1087) reste à peine quelques jours à Rome, pour s'y faire sacrer, en est ensuite chassé et va mourir au Mont-Cassin.

Urbain II (108-1101), élu à Terracine, vient à Rome, où il ne vit d'abord que des aumônes de ses partisans. Tiré de là par la comtesse Mathilde, en 1094, il reste hors de Rome jusqu'en 1098, y meurt en 1099.

Pascal II (1099-1118), arrêté avec son clergé le 12 février 1111, est retenu prisonnier par Henri V, pendant soixante et un jours, avec six cardinaux, au château de Tribucco; maltraité, menacé, il reconnaît à l'Empereur le droit d'investiture; puis, l'Empereur parti, se rétracte. En 1117, Henri V revient à Rome, y est reçu comme en triomphe; le Pape est obligé de fuir à Bénévent, puis au Mont-Cassin, il meurt en 1118.

Gélase II (1118-1119), à peine élu, est attaqué, pendant qu'il dit la messe, par les Frangipani, partisans des Empereurs; chassé une seconde fois, s'enfuit; se retire en France; y vit d'aumônes, y meurt (1119). Calixte II (1119-1124), fils du comte de Bourgogne, élu en France, à Cluny, n'entre à Rome qu'en 1121; termine la querelle des investitures. C'est de tous les Papes de cette époque celui dont l'autorité semble avoir été le mieux établie. Il fit raser les tours des Cenci et des Frangipani.

Honorius II (1124-1130), n'offre rien de particulier, sinon que son élection avait eu lieu au milieu d'un tumulte excité par les Frangipani.

Innocent II (1130-1141), chassé de Rome par l'antipape Anaclet, se réfugie en France, puis en Allemagne ; ramené à Rome par Lothaire (1133), n'y peut rester après le départ de l'Empereur, se retire à Pise (1134); revient à Rome après la mort d'Anaclet (1138). Fait prisonnier par Roger II de Sicile,, voit commencer la révolution d'Arnaud de Brescia; frappé d'impuissance, il meurt de chagrin (1143).

Célestin II (1143-1144), élève d'Abailard, bien accueilli par les partisans d'Arnaud, meurt après cinq mois de pontificat.

Lucius II (1144-1145) invoque, contre Arnaud, l'Empereur Conrad III; à la tête de ses partisans vient attaquer le Sénat au Capitole; est blessé à mort en montant à l'assaut.

Eugène III (1145-1154), trois fois chassé de Rome par les Arnaudistes, en 1145, 1146, 1149, erre de retraite en retraite, en Italie, en France, en Allemagne; rentre en 1150, en se soumettant à la Constitution d'Arnaud; se brouille de nouveau avec la République (1152); meurt, sans pouvoir, en 1153.

Adrien IV (1154-1159), seul Pape anglais, réduit par la République à la cité léonine; rétabli après le supplice d'Arnaud, par Frédéric II, sur les cadavres de

mille Romains; se maintient par sa prudence, meurt

en 1159.

Alexandre III (1159-1181), le plus italien des Papes et l'un des plus grands, chassé par Frédéric Ier, en 1162, va en France; rentre à Rome en 1165; en est encore chassé en 1167; revient en 1170; après la paix de Venise (1177), rentre à Rome, se réconcilie avec le Sénat, meurt paisible en 1181.

Lucius III (1181-1184), obligé de quitter Rome une première fois en 1183; rentre; est sommé par les Romains de faire la guerre aux habitants de Tivoli, refuse, quitte Rome et va mourir à Vérone.

Urbain III (1185-1187), mal avec les Romains et l'Empereur, et presque prisonnier des Véronais, meurt à Ferrare, le 19 octobre 1187.

Grégoire VIII (1187) n'occupe le Siége que deux mois, meurt à Pise, 19 décembre 1187.

Clément III (1187-1190), élu à Pise, entre à Rome l'année suivante, obtient du Sénat les droits régaliens, à la condition de laisser détruire la citadelle de Tusculum.

Célestin III, sans puissance réelle à Rome, ne peut empêcher le sac de Tusculum; il subit une sorte de constitution municipale. (Voir APPENDICE no XIX, p. 204, la charte de 1191.) Sous ce pontificat, l'autorité publique, confiée depuis près de cinquante ans à un Sénat de cinquante-six membres, est remise à un sénateur unique1. C'est une sorte de république qui ne reconnaît en réalité ni Empereur ni Pape.

1. Qu'était le Sénat de Rome à cette époque de l'histoire? — Pour les attributions, le Sénat en avait incontestablement de fort étendues et qui dépassaient de beaucoup ce que nous appelons de nos jours le pouvoir municipal. Quant au nombre des membres, il a varié; il était de cinquante en 1167, sous Frédéric I°r; de cinquante-six, sous Elément III et Célestin III; en 1192, ce Sénat collectif fut remplacé par un sénateur unique, qui fut un certain Carus homo. Cet état de choses fut maintenu par Innocent III (voir ciaprès § 3). A partir de 1238, on trouve généralement deux séna

« PreviousContinue »