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Fie IX), je dis que vous êtes bien plus justement obligé de racheter tant de pauvres âmes, qui « sont un trésor pour l'Église, qui s'appauvrit

« extrêmement quand elles lui sont ravies.

« Mieux vaut donc laisser aller l'or des choses « temporelles que l'or des choses spirituelles. << Faites ce qui se peut, et vous serez sans reproa che devant Dieu et devant les hommes. Vous

a

triompherez bien mieux de ceux-ci en les sou<< tenant avec le bâton de la bonté, de l'amour et de la paix, qu'en les frappant avec la verge de « la guerre.

« La paix, la paix donc, très-saint Père, pour « l'amour du Christ crucifié; et ne prenez pas garde à l'ignorance, à l'aveuglement et à l'orgueil de vos enfants.

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« Ouvrez, ouvrez bien l'œil de l'entendement « pour voir deux sortes de maux, à savoir le « mal de la grandeur, de la domination et des biens temporels que vous croyez étre obligé de recouvrer, « et, d'autre part, le mal de voir la grâce se per« dre dans les âmes, avec l'obéissance qu'elles doi« vent à Votre Sainteté ; et vous verrez que vous êtes bien plus tenu de reconquérir les âmes. . Entre ces deux maux, très-saint Père, vous * devez choisir le moindre et fuir le plus grand'.

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Ne dirait-on pas, Messieurs, une lettre écrite d'hier, une lettre adressée au Pape Pie IX ?

9. Voir, APPENDICE no IV, le texte italien de la lettre complète.

N'est-ce pas le langage, qu'avec moins d'autorité que saint Bernard, moins d'onction que sainte Catherine, mais avec un dévouement non moins pieux, notre Gouvernement n'a cessé d'adresser au Saint-Père ?

La paix, la paix, Saint-Père. Certes, vous avez bien le droit de regretter vos villes perdues, la Romagne, l'Ombrie, les Marches, mais vous êtes bien plus tenu de rétablir la paix dans cette Italie, que votre résistance risque de plonger dans tous les excès révolutionnaires, au grand péril des âmes, qui, dans ce déplorable conflit, perdent, peu à peu, le respect et l'amour qu'elles doivent à Votre Sainteté. La paix, la paix donc, pour qu'il ne soit pas dit dans un intérêt purement temporel, le Père commun des fidèles a risqué de compromettre la liberté de sa patrie et la paix de l'Europe.

que,

Vous savez ce qu'on a répondu".

M. le Président. Voulez-vous vous reposer quelques instants, monsieur Bonjean?

M. BONJEAN. Je vous remercie, monsieur le Président, je n'en sens nullement le besoin.

II

Ce que saint Bernard avait si nettement aperçu du haut de son génie, taillé sur le patron des

pro

10. Voir, APPENDICE no XXVIII, l'extrait du dernier discours de M. Billault, contenant l'historique et l'appréciation des refus obstinés de la Cour de Rome.

phètes de l'Ancien Testament, ce que sainte Catherine avait senti avec son cœur de femme et de sainte, l'histoire entière de l'Église le confirme

avec le plus irrésistible éclat.

Dans une question de cette importance, ma conscience ne me permettait pas de marchander ma peine depuis deux ans que cette question s'agite, j'ai passé bien des jours et bien des nuits à méditer l'histoire de l'Église, pour arriver à dresser le bilan, aussi exact que possible, du pouvoir temporel.

Aux époques où il était nul ou sans importance, comme à celles où il s'est trouvé constitué à des degrés divers, j'ai demandé : Qu'avez-vous produit pour l'indépendance du Saint-Siége? Quels fruits avez-vous portés pour la religion?

« Ex fructibus eorum cognosces eos. »

Ce que les faits m'ont répondu, je ne saurais vous le redire ici avec détail, sans changer cette tribune en une chaire d'histoire; mais de ce vaste tableau, qui embrasse près de dix-neuf siècles, vous me permettrez peut-être, Messieurs, de dégager quelques traits généraux, qui suffiront pour vous prouver qu'à l'inverse d'Antée, la Papauté n'a jamais touché la terre sans perdre de sa force; et que les deux puissances spirituelle et temporelle ont été constamment comme les plateaux d'une balance, dont l'un ne peut s'élever sans que l'autre s'abaisse à l'instant.

Ne soyez pas trop effrayés, Messieurs, je ne vous demande pas une minute

par

siècle.

1. Considérons d'abord les temps où la souveraineté temporelle fut nulle ou à peu près nulle. Pendant les huit premiers siècles de l'Église, pas l'ombre de pouvoir temporel je n'ai sans doute, en effet, nul besoin d'écarter la prétendue donation par laquelle Constantin aurait donné au Pape la souveraineté de Rome et de l'Italie, puisqu'il n'est aujourd'hui personne, même à Rome, qui ne reconnaisse que c'est là une pièce apocryphe, fabriquée vers le milieu du huitième siècle, comme le furent, un siècle plus tard, les fausses décrétales d'Isidore et la fausse donation de Louis le Débonnaire". Pendant ces huit premiers siècles, les Papes vivent à Rome, d'abord persécutés et martyrs, puis protégés et favorisés", mais toujours sujets soumis et fidèles des Empereurs d'Occident ou d'Orient.

A partir de Constantin, les Églises commencent sans doute à posséder quelques biens provenant

11. Voir, APPENDICE no V, VII et VIII, le texte des deux fausses donations et des détails sur les fausses décrétales. Il est tout à fait digne de remarque que, des quatre donations (Constantin, Pépin, Charlemagne et Louis le Débonnaire), sur lesquelles la Papauté s'est tant appuyée, au moyen âge, pour fonder sa puissance temporelle, la première et la quatrième sont reconnues apocryphes; quant aux deux autres, la Cour de Rome n'a jamais pu en représenter ni l'original ni même aucune copie tant soit peu authentique.

12. On peut citer notamment la Constitution de Valentinien III, qui établit, au profit de l'évêque de Rome, non plus seulement la primauté honorifique (primatus honoris), mais aussi la primauté de juridiction (primatus juridictionis). Theod., Novell. tit. 24.)

des libéralités des fidèles, témoins les plaintes de saint Jérôme et la constitution de Valentinien, qui dut renfermer dans de justes bornes ce genre de libéralité; mais, encore une fois, non-seulement il n'y a nulle trace que les Papes aient été investis d'une autorité politique quelconque, mais tous les témoignages nous montrent l'Église entièrement soumise à l'autorité civile: L'Eglise est dans l'État.

L'Empereur Maurice avait rendu un édit qui interdisait aux fonctionnaires et aux soldats d'embrasser la vie monastique. Saint Grégoire le Grand yétait opposé; il ne le cacha pas; néanmoins il fit parvenir l'édit partout où il était nécessaire; conciliant ainsi, comme il le dit lui-même, l'obéissance qu'il devait au prince avec ce qu'il devait à Dieu : Utrobique ergo quæ debui exsolvi, qui et Imperatori obedientiam præbui, et, pro Deo, quod << sensi minime tacui".

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« Avec le secours du Seigneur » (écrivait, en 727, le Pape Grégoire II au duc de Venise), « nous « voulons demeurer inviolablement attachés au « service de nos mattres, Léon et Constantin, grands Empereurs1. »

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13. Saint Jérôme dit, en parlant de l'Église : « Divitiis major, sed virtutibus minor, » Valentinien, cod. Theod., XVI, 1, 20. A l'occasion de cette constitution, saint Jérôme disait avec tristesse « Nec de lege conqueror, sed doleo cur meruimus <hanc legem. (Epist. 34, ad Nepotianum.)

D

14. Gregor. Magn., lib. III, epist. 65, ad Mauricium Augustum.

13. Baronius, Annal. eccles., XII, 343.

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