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En posant sur sa tête la couronne qui échappe aux Empereurs iconoclastes de Constantinople", Charlemagne succède à tous leurs droits; les rapports de l'Église et de l'État ne sont nullement changés; la souveraineté politique reste aux mains de l'Empereur".

Les donations de Pépin et de Charlemagne avaient sans doute attribué au Saint-Siége des possessions territoriales importantes; mais il est certain aussi que les Papes les tinrent, non à titre souverain, mais comme vassaux, feudataires de l'Empire, c'est-à-dire avec un pouvoir subordonné en droit, et plus ou moins étendu en fait, selon que l'Empereur était faible ou fort. Les preuves abondent.

Les monnaies, frappées à Rome sous les Carlovingiens, expriment très-bien cette combinaison féodale. Sur la face: Roma, avec le nom de l'Empereur en légende; au revers, le monogramme du Pape".

Le peuple romain et les Papes eux-mêmes prêtent serment de fidélité aux Empereurs 19.

16. Voir, à l'APPENDICE no IX, comment l'hérésie des Iconoclastes fit perdre aux Empereurs grecs la souveraineté de l'Italie. 17. Voir, à l'APPENDICE, no X, les textes qui établissent victorieusement que les Empereurs francs succédèrent à tous les droits des Empereurs grecs, et qu'à leur tour les Empereurs allemands succédèrent à tous les droits des Empereurs carlovingiens.

18. Voir ces monnaies au Cabinet des médailles de la Bibliothèque impériale.

19. Sur le serment de fidélité prêté aux Empereurs francs et allemands par le peuple romain et les Papes, voyez les textes rapportés à l'APPENDICE no XI.

Les missi dominici continuent à venir à Rome, comme dans le reste de l'Italie, pour y surveiller l'administration et rendre la justice; et nous voyons le Pape Adrien plaider devant l'un de ces missi, contre l'archevêque de Ravenne, pour certains biens situés dans l'exarchat 20.

L'élection des Papes par le peuple, puis par les cardinaux, doit être soumise à l'approbation de l'Empereur, et c'est seulement après cette approbation que l'élu peut être consacré ".

Les Conciles et les Papes reconnaissent la souveraineté de l'Empereur sur Rome et l'Italie".

Et cela dure en droit, sinon toujours en fait, jusqu'en 1346, époque où l'Empereur Charles IV renonce enfin, en faveur des Papes, à toute souveraineté sur la ville de Rome.

Ce qu'opéra l'Église en ces temps de subordi nation à l'autorité civile, qui donc ne le sait?

Humble sujette des Empereurs, elle fait, dans les sept premiers siècles, la conquête, non des riches provinces ou des cités opulentes, mais la conquête des âmes, des cœurs, des intelligences; d'abord celle du monde romain, qui l'avait tant

20. Sur le rôle des missi dominici à Rome et dans le reste de l'Italie, voir les textes rapportés à l'APPENDICE no XII.

21. Et non-seulement l'élection des Papes était soumise à l'approbation des Empereurs, mais souvent ceux-ci firent et déposèrent directement les Papes. Voir l'APPENDICE no XIII.

22. Pour les Papes, voir les textes cités dans les APPENDICES X, XI, XII et XIII; pour les Conciles, on peut citer notamment celui de Ravenne de l'an 898.

persécutée, puis, quand le monde romain croule de toutes parts, celle des barbares envahisseurs, païens ou ariens.

Investie d'une autorité morale immense, l'Église s'interpose efficacement entre les vainqueurs et les vaincus.

C'est la merveilleuse époque où, sans trésor, sans soldats, sans autre puissance que la double majesté du sacerdoce et de la vertu, saint Léon arrête, aux portes de Rome, Attila et ses Huns étonnés 23.

L'époque où saint Grégoire le Grand, ce sujet si soumis de l'Empereur Maurice, par la seule force morale de ses vertus, ménage la paix entre le Roi des Lombards et l'exarque de Ravenne, convertit à la foi les Anglo-Saxons, ramène de l'arianisme à l'orthodoxie les Lombards italiens et les Visigoths espagnols, acquérant ainsi à la catholicité l'Angleterre, l'Espagne et la plus grande partie de l'Italie".

Je passe à dessein, sacrifiant l'argument capital qu'elles fourniraient à ma thèse, les hontes du

23. Et ce n'est pas seulement l'évêque de Rome, ce sont tous les évêques en général qui inspiraient ce respect aux vainqueurs. Théodoric disait de saint Épiphane : « Ecce homi« nem cujus totus Oriens similem non habet: quem vidisse << præmium est, cum quo habitare securitas. » (Amédée Thierry, Derniers temps de l'Empire romain; Vie d'Epiphane, par Ennodius.)

24. A. Thierry, Conquêtes des Normands, pour la conversion des Anglo-Saxons. C'est du Roi Reccarède lui-même et du concile de Tolède que Grégoire obtient que les Visigoths re

dixième siècle, si fatal à l'Europe, plus fatal encore à la Papauté.

Comment, sous la double influence des richesses dues à la libéralité des Empereurs francs et de l'éclipse du pouvoir impérial, sous les faibles successeurs de Charlemagne et dans l'interrègne entre les Carlovingiens et les Empereurs saxons; comment, surtout, sous l'influence des fausses décrétales et des fausses donations de Constantin et de Louis le Débonnaire, la Papauté enrichie devient la proie des ambitieux, l'apanage, pendant soixante ans, de trois femmes impudiques, puis d'Albéric et de Crescentius!... C'est une lamentable histoire qui n'est que trop connue.

Laissons dormir leur sommeil aux Théodora et aux Marozie, aux Sergius III, aux Étienne VI,

aux Jean XII et autres tristes héros de cette triste époque, et passons à l'ère si différente qu'ouvre à

noncent à l'arianisme. Brunehaut, Childéric II et autres princes du temps, quand ils se sentaient en faute, tremblaient en recevant les lettres du saint Pontife. Aussi Grégoire le Grand se plaint-il d'ètre assujetti à des occupations qui sentent plus les devoirs d'un prince que ceux d'un pasteur. (Præf. lib. II Homil. ad Ezechiel.)

25. Voir, APPENDICE XIV, quelques détails sur la Papauté au dixième siècle. En soixante et onze ans, de 885 à 956, on compte vingt et un Papes, dont deux, bien affermis par leurs factions, ont régné, Jean X, quatorze ans, Agapet I", dix ans; restent quarante-sept ans à répartir entre les dixneuf autres, ce qui donne, pour chacun, une durée moyenne deux ans et demi; et cependant presque tous étaient fort jeunes. A la même époque, les progrès de l'Église latine s'arrêtent en Suède et chez les Slaves; en 988, sous Vladimir, la religion grecque s'introduit en Russie.

de

Ja Papauté la réforme monastique, montant sur le trône de Saint-Pierre, avec l'inflexible Hildebrand.

Quelle époque, Messieurs les Sénateurs, quelle époque!

Ce n'est plus sans doute la sereine pureté des premiers siècles, mais c'est incontestablement le plus étonnant spectacle de la supériorité des forces morales sur les forces matérielles.

Sous Grégoire VII et ses successeurs, du milieu du onzième à la fin du douzième siècle, la Papauté devient l'arbitre souverain de l'Europe.

Les Papes ont le pied sur le cou des Rois. Le fier Empereur Henri IV attend trois jours, les pieds dans la neige, à la porte du château de Canossa, que Grégoire veuille bien lui donner audience. Le fougueux Frédéric 1er tient en frémissant l'étrier à Adrien IV.

A la voix d'Urbain II, au cri Dieu le veut! la Papauté précipite la chevalerie d'Europe sur l'Asie musulmane, et prévient peut-être ainsi l'envahissement de la chrétienté par les races mongoles.

A la même époque, la Bohême et la Pologne achèvent d'entrer dans l'Église latine, et les Hongrois comptent leurs premiers Rois chrétiens.

Et cette Papauté, qui dispose ainsi en souveraine des peuples et des Rois, a-t-elle, elle-même, une souveraineté, un territoire, des trésors, des sol

26. Voir Voigt, Histoire de Grégoire VII.

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