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temporel, même celui du Saint-Père, est livré aux fluctuations des affaires de ce monde. Suivant les décrets de la Providence, il a existé, s'est accru ou a diminué. Il n'y a pour lui rien d'immuable, rien ne saurait l'envelopper dans l'immobilité spirituelle. Il faut donc se résigner à avoir pour lui le bon sens des gouvernements temporels et défendre le temporel du Saint-Siége avec les moyens temporels de ce monde. (Très-bien!)

En présence de ces faits, de ces raisons plus éclatantes que le jour, il est impossible que les yeux ne s'ouvrent pas enfin à Rome. On vous demande, Messieurs, dans votre Adresse, l'expression nette de votre pensée à cet égard: il ne faut pas vous dissimuler que le rejet des paroles de l'Adresse sur ce point serait un embarras énorme de plus dans la voie déjà si difficile des négociations et des influences. Connaissez bien le terrain sur lequel il faut agir... Au-dessous de cette sphère spirituelle dans laquelle nos respects maintiennent le SaintPère, il y a la sphère du gouvernement temporel, qu'il nous est permis de juger par la raison et d'apprécier avec les yeux de la politique.

Eh bien! l'influence de la France dans ce milieu gouvernemental a besoin d'être fortifiée; ce milieu ne lui est pas sympathique; il faut bien que vous le sachiez : il ne suffit pas de contempler de loin l'auréole qui enveloppe le trône du Saint-Père; au-dessous de cette auréole il y a des hommes et leurs faiblesses. Dans la sphère temporelle de ce gouvernement se retrouvent et s'agitent comme ailleurs toutes les passions, les entraînements de la nature humaine.

Nos ambassadeurs connaissent depuis longtemps cette Rome souterraine ; ils en savent les détours, les embarras et les difficultés. Permettez-moi de vous dire en peu de mots ce qu'ils en pensent.

Je ne citerai pas ceux dont la parole vive et énergique doit rester dans le secret de la correspondance diplomatique. Je n'en citerai qu'un seul, parce que, pré

cisément à raison de sa bienveillance bien connue envers la Cour de Rome, sa parole sur ce point aura encore plus d'autorité. M. de Rayneval, le 25 août 1849, écrivait :

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« Je ne puis dire que cette nouvelle (celle de l'inter«vention française pour rétablir le Pape à Rome) ait été « reçue avec une très-grande joie; elle a surpris et offusqué; je l'ai souvent répété : on subissait notre « concours, on ne le désirait pas. Un refus de la France, qui eût laissé le champ libre à l'Autriche et à Naples, « eût comblé tous les vœux de la Cour de Gaëte. J'en excepte le Pape qui de tous nourrit le moins de pré

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«ventions contre nous. »

A ce passage bien significatif, quoique sur un fait spécial, M. de Rayneval, dans d'autres dépêches, ajoutait d'autres détails tout aussi significatifs.

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Le 14 octobre 1851, il signalait ce qu'il appelle, permettez-moi cette confidence épistolaire, ce qu'il appelle le parti clérical et ultra, ce sont ses paroles. « Ce parti, ajoutait-il, entrave les moindres actes du Gouverne«ment pontifical........ Je veux parler du parti clérical par « excellence, du vieux parti qu'on appelle justement rétrograde, qui compte dans ses rangs la majorité des « cardinaux et des prélats.

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Tel est le terrain, Messieurs, sur lequel doit agir notre influence. Des convictions et des antipathies politiques, des croyances religieuses, des intérêts personnels menacés ou froissés, car ces grandes révolutions ne se font pas sans y porter atteinte : telles sont les difficultés avec lesquelles il faut que nous comptions. Le SaintPère est bien au-dessus de ces misères : mais, pour la partie temporelle de son administration, il est entouré, il est conseillé, influencé naturellement, nécessairement par le milieu dans lequel il vit.

Ce milieu, nous pourrons, je l'espère, obtenir sur lui l'ascendant de la raison et de l'intérêt pontifical bien compris, mais à une condition, c'est qu'on ne puisse

dire que, sur la question, les grands corps de l'État sont divisés, qu'il existe dans le Gouvernement, dans les Chambres, des influences contraires aux volontés du Gouvernement lui-même et qui approuvent et soutiennent les résistances romaines. Si cette espérance était donnée, ces résistances redoubleraient; le statu quo est si facile, il est si commode de fermer les yeux et de dormir quand le péril n'est pas éclatant, quand le terrain ne se mine que sourdement! Gardons-nous de nous prêter à ce sommeil funeste, il y va des intérêts de la France et de la catholicité.

Nous n'aurons pas de nos efforts une grande reconnaissance. Lors de la reprise de Rome, «j'en ai malheureusement la triste certitude, écrivait M. de Rayneval, nous marchons à un état de choses hérissé de difficultés; nous versons notre sang; on ne nous en saura aucun gré; nous restaurerons le Pape, et nous aurons toutes les peines du monde à obtenir quelques concessions à nos idées. Ces dispositions fàcheuses n'ont pas changé, et vous voyez quels obstacles il y a à

vaincre.

L'illustre orateur auquel j'ai déjà fait allusion vous disait : Avec la Cour de Rome, il n'y a qu'un moyen d'obtenir, c'est d'être ardent, énergique, résolu; de la mettre en face des difficultés matérielles.

Je n'irai pas aussi loin; c'est cependant un conseil qui se retrouve fréquemment dans nos correspondances diplomatiques, et peut-être sera-t-il bon de le pratiquer dans une certaine mesure.

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En feuilletant cette correspondance diplomatique qui, à la fois, inspire un grand intérêt et une profonde tristesse, car je ne connais rien pour l'homme d'État, en même temps que pour le chrétien, de plus triste que cet aveuglement continu, bien intentionné sans doute, mais bien périlleux, et ouvrant la porte aux éventualités les plus dangereuses, — j'ai trouvé dans la parole d'un très-éminent cardinal romain, très-intelli

gent, très-rompu aux affaires, excellent appréciateur de l'esprit de son gouvernement, un passage qui ne me paraît pas sans intérêt au point de vue de la conduite que nous avons à tenir aujourd'hui.

Dans une dépêche du 20 décembre 1832, M. de Saint-Aulaire, notre ambassadeur, rendait compte d'une conversation qu'il avait eue avec S. Em. le cardinal Bernetti, alors ministre dirigeant de la politique pontificale. Il s'agissait de cette éternelle question des Légations, de ce pays sans cesse soustrait par l'insurrection au pouvoir du Pape, et sans cesse rendu par les baïonnettes autrichiennes à l'autorité pontificale. L'Europe, la France notamment, insistaient pour que quelques concessions fissent cesser ce périlleux état de choses.

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« Le cardinal, dit M. de Saint-Aulaire, s'exprimant avec plus d'abandon qu'il n'a coutume de le faire, m'a répondu à peu près en ces termes : Mon opinion personnelle est que cette sécularisation est iné«vitable; elle aura lieu un peu plus tôt ou un peu plus tard; mais jamais le Pape ne la prononcera, et il aura

<< raison :

« 1° Parce qu'il ne lui convient pas d'assumer sur lui les haines que provoquera une existence ruineuse et « humiliante pour les cardinaux;

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«

« 2° Parce que cette mesure proclamée spontanément par le Pape, a pour conséquence prochaine la destruction complète du gouvernement ecclésiastique; si c'est le vœu du peuple qui pousse aujourd'hui la prélature hors des Légations, le même vœu s'exprimera demain « dans les Marches avec non moins de violence, et après-demain dans l'Ombrie. Pourquoi le Pape refu

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«

«

« sera-t-il aux uns ce qu'il aura accordé aux autres? « La condition sera meilleure en cédant aux grandes puissances; blessé par elles dans les droits du Souve« rain indépendant, au moins n'aura-t-il pas donné à « ses peuples une preuve encourageante de sa faiblesse. « Il lui vaut mieux se résigner à la volonté formelle

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«ment exprimée de l'Europe, que de s'avouer vaincu par ses sujets et de se laisser arracher une conces

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sion plus fatale encore par sa conséquence qu'en elle-même. »

En d'autres termes, la politique du cardinal Bernetti, qui est bien celle de la Cour de Rome, en face de nécessités inévitables, se résumait en ces paroles caractéristiques, transmises ces jours derniers par un autre homme éminent : « Ne pas offrir, ne pas accepter, mais suNous ne voulons pas en arriver là. Ce n'est pas la force, mais la raison, mais les exigences du plus simple bon sens que nous invoquerons.

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XXIX

Lettres et proclamations de S. M. Napoléon III; — Lettres, proclamations, allocutions et encycliques de S. S. Pie IX au sujet de la question romaine.

10 février 1848.

N° 1. Proclamation de S. S. Pie IX aux Romains. (Actes de Pie IX, éd. Lecoffre, 1852, II, 166.)

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Romains! il ne reste sourd ni à vos désirs ni à vos craintes, le Pontife qui, depuis deux ans, a reçu de vous tant de preuves d'amour et de fidélité. Nous ne cessons pas de méditer comment ces institutions civiles que Nous avons créées sans y être contraint par aucune force, mais uniquement guidé par le besoin du bonheur de nos peuples et l'estime pour leurs nobles qualités, peuvent se développer et se perfectionner sans porter atteinte à ce que nous devons à l'Église.

«Avant que la voix publique l'eût demandé, Nous avions déjà tourné Nos pensées vers la réorganisation

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