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APPENDICES.

I

Pièces indiquant l'opinion de catholiques notables sur le pouvoir temporel et sur la possibilité de modifier ce pouvoir dans l'intérêt même de la religion,

N° 1. Février 1860.

Adresse présentée à S. S. Pie IX.

L'adresse que nous reproduisons ici fut adoptée à Paris, au commencement de 1860, par une réunion de catholiques où figuraient plusieurs ecclésiastiques aussi distingués par leur science que par leur vertu, des membres de l'Institut, du Conseil d'État, de l'Université, etc., etc.1.

1. Le rédacteur de cette adresse (nous sommes autorisé à le déclarer) fut M. Eugène Rendu, aujourd'hui inspecteur général de l'Université, chez lequel la science, la hauteur des sentiments et la foi catholique la plus sincère et la plus éclairée sont comme un héritage de famille.

Les idées fondamentales de l'adresse avaient été déjà développées par M. Rendu dans une brochure, publiée en septembre 1849, sous le titre de Conditions de la paix dans les États romains, et dans laquelle l'auteur prédisait, avec une singulière sagacité, les inextricables difficultés où devait tomber le Saint-Siége, si la restauration s'accomplissait sous l'inspiration de principes contraires aux légitimes exigences de la nationalité italienne et aux irrésistibles tendances de la société moderne.

M. E. Rendu a publié, depuis, deux études non moins remarquables sur le rôle de l'Autriche dans les affaires de l'Église. La première, lue à l'Académie des sciences morales et politiques, a paru sous le titre de : L'Italie et l'empire d'Allemagne. La seconde

Revêtue, en quelques jours, de plusieurs centaines de signatures, elle fut envoyée à Rome pour être déposée aux pieds du Saint-Père.

Une traduction italienne de la même pièce, traduction qui était l'œuvre d'un homme aussi dévoué à l'Église qu'à la science, de l'illustre Tommaseo, fut couverte des signatures de membres du clergé lombard, piémontais et « Paris, le 22 février 1860.

toscan.

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« Très-Saint Père,

« Les catholiques soussignés croient accomplir un devoir en déposant à vos pieds, avec l'expression de leur amour pour le Vicaire du Christ, les pensées que, dans les circonstances présentes, leur inspire un inviolable attachement à l'Eglise. Le silence leur paraîtrait une trahison de la cause qu'ils défendent, plus qu'un hommage à une autorité qu'ils révèrent. Le dévouement consiste, pour eux, non à flatter, mais à servir.

« Très-Saint Père, la domination de l'Autriche sur l'Italie est brisée. Que le plan d'une confédération vienne ou non à prévaloir dans le règlement des affaires, l'Italie restera libre du joug étranger; désormais elle n'appartient qu'à elle-même.

« Ce fait, qui est irrévocable, domine la situation, et les conséquences en sont décisives. La fortune de la guerre, ou, pour parler chrétiennement, la Providence, a déplacé le point d'appui sur lequel reposaient les gouvernements de la Péninsule; c'est maintenant en Italie, et non ailleurs, qu'il faut trouver ce point d'appui.

« Les catholiques soussignés ont la conviction que la forme sous laquelle s'est exercé le pouvoir temporel depuis 1815 ne répond pas à un besoin si pressant. Ils viennent vous supplier de reconnaître que ce qui était

(L'Autriche dans la Confédération italienne) présente l'histoire de la diplomatie et de la police de la cour de Vienne dans les États du Pape depuis 1815,

hier, dans les États de l'Église, en harmonie avec les conditions générales de l'Italie, ne peut plus s'adapter à sa situation présente. Ils viennent vous demander, non pas, certes, très-saint Père, de vous dépouiller de vos provinces, mais d'en mettre le gouvernement d'accord avec des faits qui ne sauraient plus être maîtrisés. Dieu les garde de solliciter de Votre Sainteté une abdication! mais ils osent réclamer d'elle une de ces transactions fécondes qui sauvent les pouvoirs en les renouvelant, et que la politique de Rome a toujours connues.

« Les catholiques soussignés croient que deux principes doivent être consacrés désormais dans le gouvernement des États de l'Église.

Le premier est ce droit chrétien et laïque tout ensemble, dont vivent aujourd'hui les sociétés civiles, et dont l'application, nous le disons très-haut, a permis à la religion catholique de reconquérir, en France, le terrain qu'elle y avait perdu. La revendication de ce droit, les soussignés ne peuvent la considérer comme coupable de la part des peuples qui habitent les États romains. Tout en tenant compte des tempéraments que de suprêmes intérêts peuvent rendre désirables, ils ne condamnent pas à Bologne ce qu'ils approuvent à Paris. Le catholicisme ne leur paraît point intéressé à la conservation d'un système de gouvernement qui n'a ses raisons d'être que dans des faits sans rapport avec les exigences de la société moderne : à leurs yeux, le plus grand péril qu'il soit possible de créer au catholicisme serait de le constituer, dans la personne de son auguste chef et au nom d'intérêts humains, en lutte ouverte avec les forces morales et politiques auxquelles un développement providentiel assure, quoi qu'on fasse, la possession de l'avenir.

« Aussi, très-saint Père, les catholiques soussignés se séparent profondément de ceux qui voient dans les peuples des États pontificaux un bien, une propriété, que le siége de Rome aurait reçue comme une sorte

d'immeuble, et qui devrait être administrée et transmise comme telle. Ils établissent une différence fondamentale entre les biens et les propriétés de l'Église, qu'ils déclarent inviolables et qui sont en dehors de toute discussion, et cette société d'hommes que des causes diverses ont placée sous le gouvernement du saint-siége. Ils croiraient, en acceptant une telle assimilation, nonseulement faire injure à leur conscience et à leur raison, mais porter directement atteinte à la doctrine que l'Église catholique, pour la dignité et le salut du monde régénéré par elle, n'a cessé de professer sur les origines et sur les droits de la souveraineté.

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<< Ils savent, en effet, que les docteurs des siècles catholiques par excellence ont soutenu des principes absolument contraires à toute théorie despotique, à savoir que la souveraineté des princes dérive directement de la communauté civile, en d'autres termes, du peuple régulièrement consulté; ils se rappellent que, selon saint Thomas, tandis que le pouvoir spirituel est conféré immédiatement par Dieu à son représentant sur la terre, et par conséquent est indiscutable, la souveraineté temporelle, bien qu'ayant, elle aussi, sa raison première en Dieu, est déléguée pourtant, en vertu du droit humain, par la société elle-même, qui en détermine les conditions et peut en modifier l'exercice. Ils n'oublient pas qu'au seizième siècle un grand théologien, Suarez, a combattu, dans un livre approuvé par un pape (Defensio fidei catholicæ adversus anglicana sectæ errores), cette doctrine qui naissait alors : « qu'il n'y a pas de différence entre le pouvoir spirituel du souverain pontife et le pouvoir temporel du prince; que l'un et l'autre pouvoir, venant immédiatement de Dieu, sont à l'abri de tout contrôle de la part des hommes. » Ils répètent aussi avec le Docteur angélique que l'autorité publique a le droit de connaître des abus du pouvoir constitué : « Non privatá præsumptione aliquorum, sed auctoritate publica procedendum.

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« Les catholiques soussignés ne savent pas seulement que la doctrine de l'Église a de tout temps protégé la dignité morale des peuples, ils se redisent avec orgueil que toute l'histoire des Etats pontificaux est en parfait accord avec la vérité doctrinale.

«Dans des circonstances où leur filial dévouement est mis à de si douloureuses épreuves, ils ont pourtant ce bonheur de n'avoir qu'à en appeler du saint-siége au saint-siége, et de pouvoir, l'histoire même de la papauté à la main, demander à la papauté de chercher dans une transaction avec son peuple le gage de sa propre indépendance.

« Et en effet on calomnie le trône pontifical quand on lui donne pour appui dans le passé l'éternelle servitude d'un peuple. Les vrais titres du pouvoir temporel sont, à l'origine, non des parchemins étrangers, mais des actes de souveraineté nationale. Les papes furent en fait les chefs élus du peuple romain avant que le glaive des Francs pût graver une donation sur les tables du droit européen. C'est le peuple romain qui fut le véritable fondateur du pouvoir temporel des papes; Pépin et Charlemagne ne donnèrent à ce pouvoir que la sanction de leur épée. Or, en faisant acte de souveraineté, il ne semble point que ce peuple l'aliénât; on ne voit pas que Grégoire II s'indignât de n'être que le chef de la république romaine; que Clément III, Grégoire IX, Innocent VI compromissent la dignité de la tiare en garantissant par des chartes les libertés municipales des Romains; que Grégoire XI, Boniface IX, Martin V, etc., avilissent le pouvoir dont ils étaient dépositaires en reconnaissant aux villes des Romagnes et de l'Ombrie le droit de stipuler leurs franchises sous la souveraineté nominale du saint-siége; que Nicolas V, en s'engageant par le pacte de 1447 à respecter le gouvernement libre de Bologne et à recevoir à Rome l'ambassadeur de cette cité, faillît à sa mission de pontife; mais on voit qu'accueillant de plein gré des compromis

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