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Sur les fragments tirés du livre IV, chapitre 11, le vénérable archevêque s'est plaint que j'eusse omis un passage où il est dit que le pape a les deux glaives, spirituel et matériel; et que si le pape ne doit pas tirer lui-même le glaive matériel, ce glaive peut être tiré au moins au signal donné par le pape (tuo nutu, non tua manu).

La réponse est facile.

D'abord, dans un discours il est évident que l'orateur doit borner les citations aux passages les plus saillants; et certes c'était déjà une étrange témérité que de citer de tels passages devant un corps politique tel que le Sénat!

D'un autre côté, dans la phrase qui précède la citation, j'avais dit : Saint Bernard rappelle la doctrine des deux glaives; or cette doctrine, tant disputée au moyen âge, est si connue que ce simple rappel pouvait bien suffire dans une assemblée comme le Sénat. Au surplus, pour donner satisfaction à mon vénérable critique, j'ai rétabli ici le passage omis, en le faisant précéder de guillemets; on verra que l'omission était loin de compromettre le sens.

J'ajoute ceci, qui est beaucoup plus important, au sujet de la doctrine des deux glaives. Si saint Bernard reconnaît au pape le droit au glaive matériel, sous la condition de ne pas le tirer lui-même, mais de le faire tirer par l'empereur, c'est que le grand saint croyait à l'authenticité de la donation de Constantin ainsi qu'aux fausses décrétales, c'est qu'il considérait le pape comme étant à la fois successeur de Pierre (glaive spirituel) et successeur de Constantin (glaive temporel): or, comme aujourd'hui la fausseté de ces pièces est incontestable, le droit du pontife au glaive temporel n'a plus de base historique ni dogmatique, et c'est ce que proclamerait certainement saint Bernard si, revenant sur la terre, il apprenait que, si le pape est successeur de Pierre (glaive spirituel), il n'a aucun titre à se dire successeur de Constantin (glaive temporel).

Je renvoie au surplus les partisans du glaive temporel à ce beau passage du second discours sur l'histoire ecclésiastique, où notre savant et pieux Fleury établit, avec tant de force et d'onction, que c'est par la douceur, non par les rigueurs temporelles que l'Église seulement le droit de combattre ses ennemis.

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Depuis que mon discours a paru au Moniteur, j'ai reçu d'un critique anonyme une lettre, d'ailleurs trèsconvenable, dans laquelle on essaye de mettre saint Bernard en contradiction avec lui-même, en opposant à la doctrine émise dans le traité De consideratione les deux lettres aux Romains pour les engager à se soumettre au pape Eugène, et celle au roi Conrad qu'il doit réduire les Romains rebelles. est facile.

pour lui

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La réponse

Tout en considérant la domination temporelle comme peu conciliable avec la mission apostolique, saint Bernard ne mettait pas d'ailleurs en doute le droit d'Eugène III sur les Romains; car comme tout le moyen âge il croyait aux fausses donations et aux fausses décrétales. Dans une telle croyance, il était donc tout naturel qu'il écrivît les lettres dont il s'agit. A cette réflexion générale, il convient d'ajouter quelques observations plus spéciales.

Les lettres aux Romains ont fourni à notre savant Fleury l'occasion de remarques judicieuses. Après avoir dit que la souveraineté du pape sur Rome repose sur une longue possession, et que la plupart des souverains n'ont pas de meilleur titre que la longue possession, il continue ainsi : « On eut donc raison de condamner << Arnaud de Bresse (pour Brescia) qui révoltait les « Romains contre le pape, soutenant, en général, qu'il n'était permis au clergé de posséder ni seigneuries, ni terres, ni biens immeubles, et qu'il ne devait

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subsister que d'aumônes et d'offrandes volontaires. « J'avoue toutefois que j'aurais souhaité trouver, dans « les auteurs du temps d'Arnaud, les raisons par les« quelles on réfutait ses erreurs; car les deux lettres de saint Bernard aux Romains sur ce sujet ne sont que des déclamations pathétiques, où il n'entre point en preuve et suppose le droit du pape incontestable. Aussi ne révoquait-il pas en doute la donation de Constantin comme nous venons de voir. Cette pièce, re« çue pour vraie, établissait le fait et le droit particulier du pape; et pour le droit du clergé en général, il était « certain comme je viens de le montrer.» (Quatrième discours, no 9, in fine.) — D'après les passages que j'ai soulignés, ne semble-t-il pas qu'au fond le savant abbé doutât un peu du droit du pape, et surtout de l'équité d'une sentence qui fit brûler à petit feu, sur la place du Peuple, un infortuné coupable d'avoir contesté des droits qui ne reposaient que sur des pièces depuis reconnues fausses? Pour moi, j'aurais trop d'intérêt personnel à protester contre une telle jurisprudence, si, Dieu merci, le temps n'était point passé où l'on brùlait les gens pour des opinions.

La lettre à Conrad mérite plus d'attention. Pour décider ce prince à intervenir en faveur d'Eugène, saint Bernard lui montre que la cause du pape est aussi la cause du prince; qu'en effet Rome n'est pas seulement le siége apostolique, qu'elle est aussi la capitale de l'empire (Nonne ut apostolica sedes, ita et caput imperii Roma est?); qu'ainsi, même en laissant de côté l'intérêt de l'Eglise, il est de l'honneur de Conrad, comme Roi, de ne pas laisser décapiter son empire (ut ergo de Ecclesia taceam, num honor regi est truncum habere imperium?). C'est pourquoi, continue la lettre, ceins ton glaive et César se rende à lui-même ce qui apvartient à César (sa capitale), et aussi à Dieu ce qui est à Dieu (le siége apostolique): car César a le double intérêt et de défendre sa propre couronne et de protéger

que

l'Église « Quamobrem accinge gladio tuo super femur << tuum, potentissime, et restituat sibi Cæsar quæ Cæsaris «< sunt et quæ sunt Dei Deo. Utrumque interesse Cæsaris «< constat et propriam tueri coronam et Ecclesiam de«fensare.» (Edit. Gaume, epist. 244, tom. I, col. 514 et seq.).

Ainsi au temps de saint Bernard on posait comme un principe hors de discussion la souveraineté de l'empereur sur la ville de Rome, et on admettait sans difficulté que Rome pouvait être en même temps et le siége apostolique et la capitale de l'empire. Voilà un argument fort inattendu à l'appui de la prétention des Italiens d'avoir Rome pour capitale du royaume d'Italie.

IV

Lettre de sainte Catherine de Sienne à Grégoire Xl'.

Santissimo, et Reuerendissimo padre in Christo Iesu. La uostra indegna et miserabile figliuola Caterina serua et schiaua de' serui di Iesu Christo, scriue dalla santità uostra nel pretioso sangue suo, con desiderio di ueder ui giunto alla pace, pacificato uoi, et li figliuoli con uoi. La qual pace Dio ui richiede, et uuole, che ne facciate ciò che potete. Oime non pare che S. Maestà uoglia, che noi attendiamo tanto alla signoria et sustantia temporale, che non si uegga quanta è la distruttione dell'anime, et il uituperio di Dio, il quale seguita per la

1. Nous reproduisons cette lettre, en son entier, d'après l'édition de Venise, Domenico Fari 1584, en conservant l'orthographe de cette époque.

guerra. Ma pare che uoglia, ch'apriate l'occhio dell'intelletto sopra la bellezza dell'anima, et sopra il sangue del suo figliuolo, del cui sangue lauò la faccia dell' anima nostra, et uoi ne sete ministro. Inuitaui dunque alla fame del cibo dell' anime, percioche colui che ha fame dell'honore di Dio, et della salute delle pecorelle per ricuperarle, et trarle dalle mani de i demonij, ui lassa andare la uita sua corporale, non che la sustantia. Ben che potreste dire, Padre santo, Per conscientia io son tenuto di conseruare, et racquistare quello della santa Chiesa. Oime io confesso bene, che ciò è uero: ma parmi pure, che quella cosa che è piu ara, si debbia meglio guardare. Il thesoro della Chiesa è il sangue di Christo, dato in pretio per l' anima; et questo sangue non fu pagato per sustantia temporale, ma per salute dell'humana generatione. Si che poniamo, che siate tenuto di conquistare, et conseruare il thesoro, et la signoria delle città, le quali la Chiesa ha perduto, dico che molto maggiormente sete tenuto di racquistare tante pecorelle, che sono uno thesoro nella Chiesa : et troppo ne impouerisce, quando ella le perde. Non che impouerisca in se, percioche il sangue di Christo non puo diminuire ma perde un adornamento di gloria, il quale riceue da i uirtuosi, et obedienti, et sudditi a lei. Meglio è dunque per uoi lassar andare l'oro delle cose temporali, che l'oro delle spirituali. Fate quello che si puo, et sarete scusato dinanzi a Dio, et a gli huomini del mondo. Voi li batterete piu col bastone della benignità dell'amore, et della pace, che col bastone della guerra, et ricuperarete il uostro spiritualmente, et temporalmente, restringendosi l' anima mia fra se, e Dio con gran fame della salute nostra, et della riformatione della santa Chiesa, et del bene di tutto quanto il mondo. Non pare che Dio manifesti altro rimedio, ne io ueggo altro in lui, che quello della pace. Pace, pace dunque per l'amor di Christo crocifisso, et non risguardate all'ignorantia, cecità, et superbia de gli figliuoli nostri. Con la

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