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LE SEIGNEUR. Ils servent la patrie, l'un au premier rang, l'autre au second; tous deux ne peuvent être au premier. Si le soldat désobéit, il'est un rebelle ou un lâche. Si l'officier quitte son poste, il est un làche ou un traître. Si tous deux font de belles actions, tous deux peuvent devenir célèbres.

LE PAYSAN. J'entends cela parfaitement, mais ex- . pliquez-moi encore comment l'homme du peuple est l'égal du magistrat ?

LE SEIGNEUR. Rien n'est plus facile. Premièrement, le magistrat est élu par le peuple, secondement, le magistrat exécute les lois du peuple troisièmement, le magistrat veille à la sûreté du peuple; vous voyez donc qu'il est l'homme du peuple: il obéit donc au peuple, en même temps que le peuple obéit.

LE PAYSAN. Cela est clair comine le jour, cependant il me revient une difficulté. Lorsque j'ai choisi le magistrat, je l'ai choisi de préférence : donc j'ai trouvé qu,il n'étoit pas l'égal d'un autre ; donc j'ai trouvé qu'un autre avoit moins de droit que lui.

LE SEIGNEUR. Vous avez raison, mais cette égalitélà n'est pas celle dont il s'agit. Ecoutez-moi bien, il faut distinguer les DROITS, les FONCTIONS, les BIENS, les QUALITE'S.

Les DROITS sont égaux, parce qu'ils consistent dans la part égale que nous avons tous à la propriété, à lá sûreté, à la liberté, et à la vigilance des lois : les lois veillent également sur les chaumières et sur les châteaux.

Les FONCTIONS sont inégales, et doivent l'être, parce que si chacun n'avoit pas les siennes bien distinctes nous serions obligés de les remplir toutes à la fois, et

d'être même en même-temps laboureur, soldat, juge, prêtre, ministre, et roi.

Les BIENS de même, ne sauroient être égaux. Le travail amasse une fortune; l'industrie l'augmente; des héritages l'accumulent; l'économie la conserve. Tout au contraire, le paresseux demeure dans la mendicité, et le prodigue y tombe. Cela ne peut être autrement, et quand on partageroit les biens aujourd'hui, demain l'égalité cesseroit.

Mais la plus grande différence que la nature ait mise entre les hommes, c'est celle des QUALITÉS. L'un en naissant, a reçu un grand génie; l'autre n'a reçu qu'un esprit médiocre. L'un renferme dans son ame une valeur et une activité miraculeuse; l'autre est venu au monde avec des organes foibles, ou avec un cœur pusillanime. Enfin, sur cent mille hommes, il en existe quelques-uns de supérieurs, plusieurs de capables, une foule de médiocres, et un nombre d'ineptes. La société, doit juger les talens et les mettre à leur place. Quelquefois l'intrigue l'emporte sur le mérite; quelquefois même le mérite trop modeste ou peu sociable, sè nuit à lui-même ; mais aussitôt qu'un talent on une vertu sont reconnus, ilss sont payés ce qu'ils valent. Une comparaison va vous rendre cela évident. Vous avez plusieurs champs ; vous y semez les mêmes grains; ils viennent en abondance dans l'un et mesquinement dans l'autre. La culture est égales c'est l'image des lois La moisson est différente : c'est le résultat, c'est le fruit des qualités.

LE PAYSAN. J'ai tout compris, et l'égalité des droits et l'inégalité des choses.

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LE SEIGNEUR. Alors vous comprenez que l'égalité des

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droits n'autorise personne à détruire l'inégalité des choses. Depuis le prince jusqu'au manoeuvre, chacun deit remplir ses fonctions, chacun doit conserver ses biens chacun doit faire valoir ses qualités. C'est en cela que consiste l'union de l'ordre et de la liberté. Vivre sans crainte, travailler à son gré, élire ses magistrats, selon les lois, être élu soi-même, si on le mérite; voilà les droits de tout homme et de tout citoyen. Désobéir à ses supérieurs légitimes; nuire à ses concitoyens et à ses semblables; voler qui que ce soit et quoique ce soit ; blesset, tuer sans être en guerre ou en péril, voilà des crimes, voilà des attentats.

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LE PAYSAN. Encore une petite explication, Monsieur : les fonctions n'étant pas égales, comment saurai - je qu'elle est la plus respectable? Comment apprendrai-je à les estimer juste ?

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LE SEIGNEUR, Votre demande est déja d'un esprit juste. {

Je vais y faire une juste réponse,

Les fonctions sont des services publics ou des services particuliers: les services publics sont plus respectables que les particuliers.

Les fonctions supposent des talens rares ou des talens communs : des talens rares sont plus estimables que des sales communs. ɔ

Les fonctions produisent des avantages bornés et vulgaires, ou des avantages étendus et distingués: ces der-, niers l'emportent sur les autres dans l'opinion..

Aintile respect, ainsi l'éstime, doit toujours être en raison de la RARETE ET DE L'UTILITE'. Un laboureur est un mantebvre utile au monde ; mais tout homme peut devenir laboureur. Un soldat est un instrument nécessairé à la pátrie; mais tout citoyen peut devenir soldat.

Un grand général d'armée, un grand administrateur, un grand roi, un grand écrivain, sont en même-temps des hotumes très-utiles et fort rares. Le fer est un métal important. mais commun. L'or est un métal moins commun et plus recherché. L'église de notre village est un édifice consacré à Dieu, tout de même que l'église fameuse de Saint-Pierre de Rome; mais tous les villages ont une église comme la nôtre, et l'univers n'en a pas de comparable à celle de Saint-Pierre. En un mót, les fonctions et les qualités différent entre elles, comme les richesses: un sac d'écu est fort bon, mais ne vait pas un sac de louis, et encore moins un sac de diamans.

LE PAYSAN. Je retiendrai vos distinctions, Monsieur. Je nie souviendrai sur-tout que les droits sont inséparables des devoirs. Mais pour aider ma mémoire, pourriez-vous me donner un écrit où cela se trouvât en abrégé ?

LE SEIGNEUR. Venez avec moi dans la chambre où j'ins

truis moi-même mes enfans.

lls montèrent tous deux à un petit sallon, élevé au milieu du jardin et placé loin de tout bruit. Les enfans n'y étoient pas en ce moment. Le sallon avoit, at licu. de tapisserie, une bibliothèque de livres choisis. Parmi plusieurs tables d'étude, on en distinguoit deux qui étoient en marbre. Sur l'une étoit gravé l'abrégé de la déclaration des droits; et sur l'autre, labrégé des devoirs correspondans. Voici ces deux abrégés, tel qué les lut le paysan.

TABLE DES DROITS DE L'HOMME

ET DU CITO Y E N.

Les hommes sont égaux en droits.

Ces droits inaliénables sont: la liberté, la sureté, la propriété et la résistance à l'oppression.

La liberté est le droit de dire, d'écrire et de faire ce qu'on veut, sans nuire à autrui, ni à l'état, ni à soimême.

La sûreté est le droit d'être protégé par la force publique contre les malfaiteurs, convaincus par le juge.

La propriété consiste à faire de son bien ce qu'on veut, lorsqu'on n'est pas en état de démence ou de

minorité.

La résistance à l'oppression est le droit de s'armer contre la violence manifeste, et la contrainte illégale et tyrannique.

La nation seule est souveraine; tout pouvoir public est délégué par elle, et doit être employé pour

elle.

Tout dépositaire d'un pouvoir public est responsable envers la nation ; mais ne doit être jugé qu'au tribunal qu'elle a établi pour cet objet.

La nation seule ou ses représentans, librement élus, peuvent faire les loix, établir les impôts.

La loi est l'expression unique de la volonté générale. et la règle suprême de tous les pouvoirs particuliers. On ne peut élire ni être élu, on ne peut juger ni être jugé on ne doit obéir ni désobéir qu'en vertu de la loi.

OTEZ CES DROITS, UN PEUPLE EST ESCLAVE.

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